Fleurs de lune
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Fleurs de lune
Avant-propos :
Ce qui suit est une extrapolation littéraire du processus créatif réel ayant conduit à la réalisation de la pochette de l'album "Moonflowers" du groupe "Swallow the Sun". Le clip du morceau "The void" offre une complément sonore et visuel indispensable à la lecture de cette micro nouvelle. Il m'a habité pendant toute la rédaction de la nouvelle.
Juha geignait sans discontinuer. Il s'était tailladé l'avant-bras. Une profonde incision au scalpel dans le sens de la veine, il s'agissait de tout déconnecter : Il n'en pouvait plus. Ses pensées harassantes, le manque de sommeil, les crises de paniques, il n'était plus qu'un pantin aussi désarticulé que morne. S'il n'était pas par nature quelqu'un de particulièrement jovial – on ne joue pas du doom metal par hasard - jamais il n'avait semblé aussi éteint.
La douleur expiatoire, libératrice, Juha l'avait donc convoquée sèchement : quand la lame avait commencé à s'enfoncer dans les chairs, des parties entières de son cerveau s'étaient enfin éteintes. Toute réflexion était ici vaine, tout se vidait, lui de son sang et le monde de son sens : l'alignement des planètes, la symétrie du cosmos. La mutilation comme guérison, l'instinct de survie en spectateur. La simple exécution du geste annihilait toute forme de raison, il ne restait que la pulsion.
Dents serrées, accompagnant la dissection de la veine, une plainte d'abord sourde, peinant à se débarrasser de l'emprise déclinante de la conscience. Puis la montée d'angoisse, soudaine et viscérale : de la salive, il produisait de plus en plus de salive, tellement que celle-ci débordait de ses lèvres dont il ne maîtrisait plus l'expression. Enfin, un cri terrible, aigu, déchirant. Une douleur instantanée, vive, qui lui fit lever les yeux vers le plafond, cherchait-il la rédemption ? Il n'y avait plus de créateur dans le firmament de son trois pièces, aucun Dieu à qui offrir ce sacrifice. Il ne restait qu'une bête assoupie qui s'éveillait peu à peu dans le clapotis du sang tiède qui s'écoulait du poignet coupé. L'odeur attisait ses sens : un animal naitrait bientôt, Juha revenait à sa nature primaire.
Son regard devint flou, il chancela un peu, il grognait, il haletait, Juha quittait enfin son humanité. Son esprit lui commandait de tenir, de se lever, de survivre : il lui intimait l'ordre de peindre. Et Juha peignit, difficilement mais ardemment, instinctivement. Son gémissement, qui ressemblait jusqu'ici à un râle lointain, montait. Il saignait maintenant abondamment, trop même. La matière première de son œuvre coulait encore dans un flot continu alors que le motif était, lui, achevé : une lune rouge et sale comme son désespoir. Un astre à l'agonie, lui.
Il ne lui restait plus qu'à y coller les fleurs de lunes, d'un gris-blanc altier... Aleah... elle était encore ici, malade, quand il s'en était allé les cueillir. Elles avaient séché discrètement, cinq années durant, dans les pages d'un livre. Aleah, elle, était morte, flétrie comme ces pétales célestes.
Le souffle de plus en plus court, la main gauche anesthésié par l'ondée chaude et poisseuse de son hémoglobine, Juha faiblissait. Sa main droite, tremblante, saisit une à une les fleurs de lune, accompagnant le crescendo d'un inexorable sanglot qui emportait tout. Plus de douleur, plus de fatigue, le vide avait tout avalé. Il colla une à une les fleurs de lune sur le tableau dans une mélopée heurtée, une psalmodie incompréhensible et chaotique de pleurs sonore, de rires mélancoliques et de cris désespérés. Il régressait à mesure qu'il blêmissait, il redevenait tour à tour cet adolescent éconduit, cet enfant qui a perdu son doudou, ce nourrisson qu'on prive de sein. Tant de mondes s'étaient déjà écroulés auparavant, tant de fois il avait eu ce chagrin, réflexe primitif... Pourquoi cela était-ce toujours plus douloureux ? Une défaite de la Raison, celle de trop, un genou ployé devant la nature profonde de l'Homme, et ce malgré l'armure des années.
C'était fini... Juha recula de trois pas, il contempla l'union du vermillon sidéral et du végétal au blanc fané ; et puis le fond noir - la mort – c'était tellement évident... Tandis qu'il tentait de nouer un chiffon autour de sa plaie, il s'écroula, le cœur fendu. Position fœtale, ultime abandon, Juha vociférait comme l'enfant sortant du ventre maternel, on l'avait arraché à l'amour comme on l'avait arraché à l'utérus presque cinquante ans auparavant. Il hurlait... il hurlait de ce cri primal qui n'a aucun destinataire, de cet appel impuissant face à l'oreille sourde des ténèbres, de cette exclamation amputée du langage qui n'était en définitive que son dernier réflexe vital.
Puis, vaincue, sa conscience déclina, avec seulement quelques hoquets erratiques en guise d'oraison.
Qui viendrait le chercher ?