Cinq matins de trop
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Cinq matins de trop
De Kenneth Cook, j’avais lu deux recueils de nouvelles, Le Koala tueur et La Vengeance du Wombat, qui sont remplies de petites histoires tirées de faits réels et pleines d’humour. Son roman principal, Cinq matins de trop, est pour sa part à l’opposé de tout cela. Même si on retrouve des traces d’humour il est noir, dans ce roman le rire est jaune et cruel. Rien à voir donc avec les pitreries des recueils de nouvelles. Ici on parle de déchéance, de descente aux enfers, de fatalité.
L’histoire démarre à Tiboonda en plein désert australien. Tiboonda c’est simple, c’est le trou du cul du monde mais en pire. Il n’y a rien d’intéressant. Personne d’intéressant. Rien à faire. Et une putain de chaleur qui ne vous lâche jamais la grappe. Les deux occupations principales sont : survivre et transpirer. C’est à Tiboonda donc, que John Grant, un tout jeune instituteur est muté pour deux ans. Sa première année scolaire sur place vient de se terminer, et John a six semaines devant lui pour se changer les idées. Ses maigres économies et son salaire du mois lui permettent de repartir pour Sidney y passer quelques semaines au bord de l’océan tant rêvé. Le train l’emmène donc jusqu’à sa première étape, Bundanyabba, la capitale du trou du cul du monde. Même environnement horrible, à l’échelle juste supérieure. De là il repartira vers Sidney et la promesse d’un réconfort amplement mérité après une année de privations et d’efforts en plein outback australien. Mais c’est compter sans la malchance. L’enchaînement sera rapide et fatal. Boire une bière ou deux avec les autochtones plutôt accueillants tant que tu partages une chopine avec eux, manger un bout dans une gargote locale et jouer à pile ou face pour tuer le temps. Il suffira d’une soirée un peu alcoolisée, d’un léger manque de discernement et John va mettre le doigt dans un engrenage qui va le broyer aussi implacablement et sûrement que le soleil lui a tanné la peau une année durant.
Ce roman ressemble à un cauchemar éveillé. On sent tout ce qui va arriver, on sent que ça ne va pas être bon du tout, on sait qu’il suffirait de pas grand chose pour s’en sortir, qu’un petit effort suffirait à se réveiller, et pourtant rien n’y fait, la spirale de la déchéance vous entraîne avec le personnage principal. On ressent à travers lui toute une gamme de sentiments, avec en premier lieu de l’injustice, de la frustration, une immense impuissance face aux événements et pour finir une résignation forcée. Tout s’enchaîne très vite, tout se ligue contre John, et il lui aura suffit d’une petite faiblesse au départ pour ne plus arriver à se relever et prendre pleine face merde sur merde.
Le roman est court et se lit vite, le style est percutant et Cook sait mettre en mots des ambiances poisseuses et un environnement hostile. L’alcool, le jeu, la violence (vous avez déjà chassé le kangourou dans l’outback ? expérience peu ragoûtante je vous préviens de suite) seront les trois facteurs d’autodestruction d’un jeune instituteur qui n’avait pourtant rien demandé d’autre que des vacances au bord de la mer. Bundanyabba en a décidé autrement pour son plus grand malheur...
Pour moi qui idéalise l’Australie et la vois comme une terre de toutes les merveilles, ce roman a remis quelques pendules à leurs places, selon l’expression hallydaysque consacrée. L’outback décrit par Kenneth Cook est loin, très loin de donner ne serait-ce que l’envie de s’en approcher à moins d’une centaine de kilomètres. Que ce soit l’environnement, le climat ou ses habitants, tout pousse à fuir au plus vite.
Impossible de nier à ce bouquin une force et une efficacité imparables. Pour autant je n’irai pas à crier au livre culte ce dont il est pourtant régulièrement qualifié. Il me manque une certaine implication plus forte, un attachement plus profond au personnage principal qui m’est resté un peu étranger je l’avoue. Peut-être une certaine apathie de sa part, un manque de réaction, une naïveté qu’en tant que lecteur on ne peut pas partager tant on voit cela d’un œil spectateur. C’est certainement pour cela que ce roman ne m’a pas pris aux tripes comme il aurait pu le faire. Cela n’empêche pas qu’on a à faire à un livre très fort, très bien écrit et qui avance vite et bien. Il lui aura donc juste manqué une certaine dimension plus humaine pour être réellement marquant.
À lire pour ceux qui aiment qu’un personnage soit totalement à la merci du monde où il évolue, ceux qui aiment les enchaînements implacables de situations qui mènent à la catastrophe inévitable, ceux qui apprécient les récits où la fatalité l’emporte (ce qui est mon cas je le précise). À éviter pour ceux qui ne supportent pas la chasse sanguinaire aux kangourous, les orgies de bière et les pays où la poussière vous colle au visage comme vos vêtements pleins de sueur à la peau.
Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com