Le pommier de misère
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Le pommier de misère
(Version de Patricia Gaillard)
Figurez vous qu’il y a fort longtemps vivait, dans un village de notre bon Jura, une vieille qui s’appelait misère. Elle avait une maisonnette minuscule, un bout de potager qui lui permettait de subsister et comme elle n’avait ni blé ni four, elle mendiait son pain ou elle ramassait un morceau du pain dur qu’on jetait aux poules. Elle n’avait pas grand-chose. Pour dire la vraie vérité, elle avait encore quelque chose, dans un petit lopin clos, derrière son potager, c’était un arbre, un pommier, un très beau pommier, le plus beau du village, qui donnait de très gros fruits, rouges et luisants.
Bien sûr cet arbre attirait à l’automne les gamins du village, oh ils avaient bien des pommes chez eux, mais ils trouvaient meilleures, c’est bien connu, celles qui sont chez les autres. La vieille avait du mal à défendre ses pommes, mais comme l’arbre était généreux, il en restait quand même pour son hiver.
L’année où se déroule cette histoire l’hiver était si dur que les loups sortaient des forêts pour rôder autour des maisons du village. Tout le monde avait faim, misère encore plus que les autres. Elle était assise, un soir, devant sa cheminée, où brûlait une de ses dernières bûches. Dans une marmite en fonte noire, pendue au dessus du feu, mijotait une soupette de haricots et d’oignons. Une voisine lui avait cédé un morceau de pain dur qui ferait des croûtons honorables. La vieille ne savait pas ce qu’elle mangerait le lendemain, mais ce soir en tout cas elle serait déjà heureuse. Elle entendit soudain frapper à sa porte. Sursautant d’abord, car elle ne recevait jamais de visite, misère se leva, entrouvrit sa porte, dehors il faisait nuit, on entendait mugir un vent terrible et il neigeait à plein temps. Un homme se tenait debout dans cette tourmente.
"Ayez pitié de moi, je suis perdu, j’ai faim et froid."
La vieille, qui savait très bien ce que c’était que d’avoir faim et froid, ouvrit grand sa porte à l’étranger. Elle le fit asseoir, lui prêta un châle de laine trouée, et lui dit
"Vous tombez bien, la soupe est justement prête, nous allons la partager, elle n’est pas grosse mais je crois qu’elle est bonne."
Ils partagèrent la soupe, le pain dur, puis elle lui céda son matelas de paille et dormit sur le fauteuil devant les quelques braises qui mouraient.
Elle se réveilla avant lui, il ne neigeait plus, il faisait même un clair soleil, elle décida d’aller mendier de quoi nourrir son invité.. Mais quand elle se retourna pour prendre sa canne, elle le vit debout, son bâton dans la main, prêt à partir.
"Ma bonne misère je vais pour te remercier exaucer un vœu. Que désires tu ?"
La vieille était si étonnée qu’elle ne dit rien et resta la bouche ouverte .
"Veux tu du blé plein ton grenier ? Veux tu du pain plein ta bûche ? Veux tu être duchesse ? Veux tu être reine ? Veux tu des trésors ?
-"J’aimerais, dit timidement misère, protéger mon pommier qui me fait des fruits si beaux que les garnements me les volent. Si vous pouviez faire en sorte que quiconque montera dans mon pommier ne puisse plus en descendre sans ma permission, voilà qui m’arrangerait bien."
L’homme sourit, salua la vieille et s’éloigna sur le chemin neigeux…
Cette Année l’hiver dura longtemps, mais dans la petite maison la marmite noire donnait chaque jour une soupe, dans la huche il y avait régulièrement une miche de pain et le bûcher était sans cesse garni.
Puis le printemps succéda à l’hiver, l’été au printemps, et l’automne arriva. Le pommier de misère était couvert de pommes et très vite les gamins s’arrangèrent pour venir les chaparder. Ils restèrent tous coincés dans les branches griffues. Ils avaient beau se démener, crier, rien à faire, ils étaient prisonniers du pommier. La vieille attendit plusieurs heures avant de les délivrer, histoire de leur faire peur. Ils filèrent alors avec l’intention de ne plus revenir. L’affaire se raconta dans tout le village et au bout de quelques jours misère était devenue magicienne, sorcière, toutes ces choses que l’on dit quand on ne comprend pas ce qui se passe… Un soir de cet automne là, alors que misère était assise au soleil près de son cher pommier, elle entendit tinter la cloche de sa porte. Elle vit alors une visiteuse, tout habillée de noir, avec un visage jaune sous un capuchon noir et une faux dans la main. Bien sûr notre bonne femme reconnut la mort, vous l’avez reconnue aussi.
"Que viens tu faire ici ?
_Je viens faire mon travail, ton heure à sonné, tu dois me suivre…
-Déjà ?
-Tu devrais en être heureuse, pauvre et vieille comme tu es.
-Pauvre, je ne suis pas pauvre, j’ai de la soupe au feu, du pain dans la huche et du bois au bûcher et quant à être vieille je le suis moins que toi !
-Allons, ne fais pas tant d’histoires, décide-toi, je n’ai pas que ça à faire…
-Bon, dit misère, accorde moi au moins quelques minutes, afin que je m’attife un peu, je ne veux pas arriver dans l’au-delà avec une tenue négligée. Et tiens, je voudrais emporter trois pommes pour le voyage, monte donc dans le pommier et cueille les, pendant que je me prépare, nous gagnerons du temps.
-La mort qui trouve toujours très bien de gagner des minutes, pose sa faux contre le mur, et grimpe, presque légèrement, dans l’arbre… cueille trois pommes et ne peut plus redescendre. Elle s’énerve peste, jure, appelle misère qui arrive et voit la mort dans son arbre qui se débat comme un diable. Misère part d’un grand éclat de rire et dit
"Après tout je vais te laisser la haut, je ne suis pas pressée de mourir et les hommes seront bien contents d’être quelques temps débarrassés de toi !"
Et la mort resta perchée dans le pommier.
Les mois passèrent, plus personne ne mourait ni dans ce village, ni dans la contrée, mais pas le moindre mort non plus à Lyon, ni à Toulouse, à Paris, à Lille, à Strasbourg…
Les humains furent bien obligés de constater que, même s’ils n’en connaissaient pas du tout la raison, ils étaient devenus immortels…
Leur vieux rêve s’était enfin réalisé !!
Allez savoir comment...
Misère le savait bien sûr, mais elle se garda bien d’en parler, pour ne pas mourir…
Tout se passa bien durant dix, vingt, trente ans, mais on vit alors des vieillards de 120 ou 130 ans, sourds, aveugles, la mémoire à l’envers, qui se traînaient, décharnés, rabougris, ramollis, comme de grandes limaces… on vit alors que l’immortalité n’était pas un si grand bienfait. Et puis il y avait tant de vieillards, que les valides ne pouvaient plus rien faire d’autres que de s’en occuper, et même pas dans l’espoir d’héritage, car on n’héritait plus, bref, les humains, et les bêtes, qui ne mouraient pas plus, devinrent si nombreux que la terre ne put plus les nourrir et qu’il arriva une immense famine.
Les humains mirent alors autant d’énergie à retrouver la mort qu’ils en avaient toujours mis à la fuir. On avait toujours cherché des remèdes contre la mort, à présent on en cherchait contre la vie.
Or en ce temps là il y avait au village un médecin qui s’appelait le Dr de profundis. Un soir qu’il était allé en réunion avec les médecins des villages voisins, afin de réfléchir à ce grand problème, il était rentré tard et, longeant le muret du jardin de misère, il avait entendu une voix plaintive, qu’il lui semblait connaître…
"Oh mais qui me délivrera pour délivrer les vivants de l'immortalité ?"
Alors il leva le nez et vit la mort coincée dans le pommier… Il grimpa aussitôt pour la délivrer, mais bien sûr il resta coincé à son tour. On constata alors la disparition du Dr de profundis. Pourtant personne n’avait disparu depuis des années. Peut être avait il trouve le secret de la mort et l’avait-il gardé pour lui tout seul ? On fit des battues pour le retrouver, on arriva ainsi au pommier de misère.
"Au secours fit le Dr, je suis là et voyez, la mort est avec moi."
Et tous crièrent "Vive la mort !"
Celle-ci, peu habituée à ce genre d’enthousiasme, rougit et trouva cela très agréable.
Ils grimpèrent tous à l’arbre pour délivrer le Docteur et la mort, mais bien sûr ils restèrent tous coincés. Avec tout ce bruit, misère finit par arriver. Elle accepta de délivrer tout ce monde, à une condition : la mort ne viendra me chercher que le jour où je l’appellerai trois fois. Tope-là, dit la mort, trop contente de descendre enfin et de retrouver sa chère fonction. Elle emporta d’abord les plus pressés, mais devant le nombre elle se fit aider par une troupe de médecins, pour expédier le trop plein de vivants. Ils travaillèrent tous si bien ensemble que bientôt la vie sur terre retrouva son cours normal et chacun avait à nouveau l’espoir de mourir au jour et à l’heure que la destinée lui avait prévue.
À ce jour du 10 Août, misère n’a pas encore appelé la mort trois fois.
Voilà pourquoi, voyez vous, la misère est encore sur cette terre…
la gaillarde conteuse