Le maître du jardin
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Le maître du jardin
Un roi avait rapporté, d'un voyage lointain, un rosier dont on lui avait dit :
"celui qui saura le faire fleurir atteindra l'immortalité."
Il était revenu en son château, avait confié l'arbuste à ses jardiniers et les chargea de lui prodiguer les meilleurs soins. Le roi rendait visite chaque jour au rosier et au premier printemps il attendit, ému, la floraison.
Toute la saison se déroula, mais au rosier ne vint aucune rose.
Le roi chassa donc les jardiniers incapables et lança une annonce à grands bruit de tambour. Le salaire était de taille, plusieurs hommes se présentèrent, prétendant posséder la vraie science des jardins. Il choisit le plus vieux, se disant qu'il tenait là, forcément, le plus sage.
Le printemps arriva, se déroula, mais au rosier ne vint aucune rose.
De colère le roi fit couper la tête du jardinier.
Le drame ne découragea pas grand-monde et on essaya ainsi sept fameux jardiniers.
Durant sept années cependant on ne vit pas la moindre rose et chaque année une tête roulait au parvis du château.
Un matin d'hiver, dans le voile cristallin du gel qui enrobait le jardin, on entendit résonner la cloche du château. Un homme très jeune, doux et souriant, à qui on ouvrit la porte, disait être un jardinier véritable. Sa mine n'était guère celle d'un magicien, mais le roi, découragé, accepta malgré tout ce nouvel horticulteur. Il lui montra les jardins, le rosier et lui rappela, tout de même, les sept téméraires qui avaient péri de trop de suffisance. L'homme demeura serein devant cette menace, il fut donc engagé.
Dès le lendemain il se rendit près du rosier, mais ne lui donna pas de soins, ne le toucha même pas. Je dois vous préciser, chers visiteurs, qu'un jardinier véritable est celui qui sait parler avec les arbres. Il se contenta de se mettre à genoux, pour être à la hauteur de l'arbuste et se pencha pour lui parler, avec amour, comme le ferait un frère.
- "Dis-moi, rosier, quel mal te ronge pour que tu ne puisses ainsi fleurir comme tu devrais le faire pour être véritablement toi-même ? »
Je ne vais pas vous dire que le rosier lui répondit avec des mots - dont on sait bien qu’ils ne sont pas le langage des plantes - cependant le rosier répondit comme répondent les rosiers et la terre de son pied, dégelée par un joli soleil, bougea un peu, fit un léger monticule et un ver blanc, gros et aveugle, s'extirpa lentement du sol. Le garçon le tira, sans lui faire de mal, mais c’est là qu’un rapace, tombé du ciel, fondit sur la bête et l’emporta avec lui. Le souci de ce rosier semblait à présent dissipé par la disparition de l’étrange animal.
Le jeune homme prodigua des soins attentifs à celui qui retenait ainsi depuis longtemps sa vigueur et sa force. L'arbuste devint en peu de temps aussi beau que peut l'être un rosier. Ses feuilles vernissées, d'un beau vert rosé, accueillirent bientôt au milieu d'elles des boutons allongés et ventrus, d'abord fermés, puis entrouverts, montrant des pétales encore sagement pliés. Un matin, le jour posa sa rosée sur une dizaine de fleurs, rose d'aube et simplement magnifiques. Le roi, prévenu, embrassa de grande joie notre bon jardinier. Tout le jour on fit fête, le roi était heureux. Il faut dire que l'immortalité n'est pas un bienfait ordinaire...
Quelques semaines plus tard le roi tomba si malade qu'on parlait d'appeler le prêtre près de lui. Le souverain, consterné, fit appeler le jardinier et lui murmura dans un souffle :
- "Dis-moi, mon garçon, toi qui a su faire fleurir ce fameux rosier, peut-être peux-tu dire pourquoi je meurs, quand je devais être éternel ?
- Sire le roi, vous avez mal compris, je crois, le message qu'on disait, ce n'est pas celui qui possède le rosier qui sera immortel, mais bien celui qui le fait fleurir..."
Le roi eut juste le temps d'ouvrir deux yeux consternés, que la mort le prit là, sans tact et sans patience, comme elle fait très souvent et sans distinguer les gueux des rois.
patricia Gaillard
je vous laisse aux méditations que réveille ce récit...
à bientôt
la gaillarde conteuse...