[Danseurs de Guerre] #9 feuilleton d'Heroic Fantasy
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[Danseurs de Guerre] #9 feuilleton d'Heroic Fantasy
- Tu aurais dû mettre tes mocassins à glands.
Barbara et Konrad longent le sentier sur le haut des falaises qui narguent la ville de leurs hauteurs venteuses. La lumière du crépuscule des trois lunes donne des reflets rouges et bleus à la crête des vagues qui s’agitent en contre-bas. De mémoire d’homme les barbares ont toujours marché pieds nus. Ce sont les impériaux - Barbara les appellent vardooziens - qui ont eu l’idée de proposer cette nouvelle activité à un chasseur de la tribu. Il s’agissait de tailler une partie de l’important stock de peaux et de fourrures. Ce trésor communautaire était gardé dans les maisons du Conseil de cité. Le chasseur se mit au travail, et devant un succès d’estime aussi rapide que l’arrivée d’une tempête de sable, devint artisan chausseur. Apprenant la nouvelle et envisageant les multiples opportunités de débouchés, les marchands de cités se sont arraché ses mocassins. Certains barbares arborent désormais ces chausses comme un trophée de prestige. Les glands fixés aux lacets sont sa marque de fabrique. Ceux qui marchent pieds nus, comme Konrad, se font de plus en plus rares. Depuis qu’ils ont quitté la porte de la cité, à haute voix, Barbara fait l’inventaire de chaque pièce de vêtement qu’elle aurait mieux fait de mettre et de toutes celles qui ne lui vont plus. Elle porte une robe longue de peau, confectionnée par elle, ainsi qu’un collier et une paire de boucles d’oreille du meilleur effet. Elle est maquillée. Ses amies vardooziennes, initiées aux dernières modes venues de la capitale de l’Empire, lui ont appris l’art de se farder. Le couple se rend à la fête de la Gueule du dragon. Aussi a-t-elle questionné Konrad sur les personnalités qui seraient présentes pour ce rassemblement annuel. Une fête traditionnelle que les barbares ouvrent à tous les peuples du désert, du Sharazd jusqu’aux côtes méridionales, en passant par le Nemed. Pendant toute leur ascension vers le surplomb de la mer, elle le sermonne de ne pas lui avoir présenté plus de membres de sa communauté, lors de leurs balades en ville. Konrad se penche sur un rocher au bord du chemin, le soulève, le déplace d’un pas, le laissant affleurer du trou sur lequel il était posé. L’entrée secrète ainsi révélée donne sur un réseau d’étroits tunnels et de grottes cisaillées d’anfractuosités. Il aide Barbara à descendre puis actionne le bâton qui repositionne le rocher à sa place. L’extrémité du bâton passe dans un trou de pierre et pousse le rocher sur son point d’équilibre, le faisant basculer très précisément sur son emplacement initial. Konrad allume une torche tandis que Barbara l’aide à s’éclairer d’un petit coquillage fluorescent qu’elle sort d’une bourse. Tandis qu’ils progressent dans les entrefilets chaotiques du souterrain, l’air se fait plus vif : ils arrivent dans une grotte de la taille de leur maison, donnant sur la mer, en à-pic de la falaise. Un cri strident retentit. Trois formes se détachent subitement des parois : elles battent des ailes, chaque extrémité de leurs corps allongé est pointue. Ce sont des saures-oiseaux, chacun de la taille d’un chariot. Leur tête est saillante aussi, terminée par une longue proéminence conique qui tient autant du bec que de la mâchoire. Leur façon de se dandiner sur le sol en se rapprochant et l’épaisseur lisse de leur peau chitineuse leur donne l’apparence de poulets qu’on aurait plumés.
- Dépêche-toi ! Qu’est-ce que tu as fait des graines !?
Barbara fouille frénétiquement dans son sac en bandoulières, en mettant l’espace le plus grand possible entre elle et les bestioles. Konrad tend sa main ouverte aux bêtes qui deviennent passablement énervées, voire agressives, resserrant toujours plus leur approche vers le couple. Chacune s'empare d’une graine dans la main du barbare et se calme aussitôt, alors qu’il leur adresse une caresse de bienvenue.
- Tu aurais pu me dire que c’était toi qui les avais!
Il enroule une lanière de cuir autour du cou de la plus jeune des créatures et d’une flexion de bras se projette sur le dos de celle-ci, puis tend la main à Barbara, en souriant. Quelques instants plus tard, Barbara est solidement cramponnée à ses hanches. Konrad mène le volatile en aplomb de la falaise. Celui-ci se laisse soudain choir dans le vide. Il faut bien le temps d’une respiration pour que la chute cesse et que les ailes se déploient. Le poulet nu et maladroit s’est métamorphosé en majestueux vaisseau de chair porté par une imposante envergure d’ailes membraneuses. Expert dans la maîtrise des courants aériens, le saure-oiseau a tôt fait de rejoindre les nuées. Le couple contemple Port-Kro qui devient rapidement un point minuscule à l’horizon. Le point d’arrivée est atteint avant le couchant. Le rassemblement a lieu en bordure de la Colonie, sur la crête des montagnes de l’Est, dans une vallée encaissée. A l’abri des regards, de l’Est comme de l’Ouest. Une vaste plate-forme d’envol, en altitude, donnant sur l’entrée d’une cavité souterraine permet aux invités qui arrivent par les airs, d’y déposer leurs montures. Barbara qui s’était tue depuis le départ de Port-Kro reprend ses récriminations :
- Bien que ces montures appartiennent à la tribu, tu pourrais les entretenir correctement ! Celle-ci n’a pas dû voyager depuis longtemps, elle fatigue et décroche régulièrement. Et tu tires sur elle trop fort, tu vas finir par la blesser !
Mais ? Qu’est-ce que tu fais !?
Range-toi là ! Là ! Tu ne fais pas attention ! On a failli s’abîmer. Regarde où tu vas !
Konrad fait se poser le saure-oiseau exactement là où il l’avait prévu, sans même effleurer les autres montures, qui pourtant commencent à être en nombre sur la plate-forme. Parmi elles, quelques griffons, montures appréciées des elfes, pointent leur bec affamé en direction des autres espèces. La cavité souterraine s’ouvre sur une cuvette naturelle entre plusieurs sommets, dont le fonds présente un couvert de végétation luxuriant. Des escaliers et multiples paliers ont été taillés autour de la cuvette circulaire, profonde de presque trois cents pas. Elfes et barbares festoient dans un village de tentes, campé sur trois petites collines dénudées qui en forment le centre. La plupart des guerriers de la tribu de Konrad, mais aussi d’autres tribus, sont là. Quand le couple arrive au pied d’une des collines, un vieux barbare couronné d’or marche vers eux et les accueille chaleureusement.
۞ ۞ ۞
Terminant de le serrer dans ses bras :
- Konrad ! Je suis content de te voir ici ! Ah ! Voici donc Barbara Brisetajoie. Tu es encore plus ravissante qu’on me l’a rapporté, fille !
Barbara offre timidement sa main à l’homme qui la prend elle aussi dans ses bras :
- Roi Ausric de Zamora, vous savez que Konrad vous admire…
- Tu as raison, fille, je ne suis plus roi que de Zamora. Et encore, seulement quand le gouverneur militaire me permet d’y séjourner ! Le Pèlerin Noir laisse le soin à nos tribus de me jeter définitivement aux rebuts, pour plus tard. Je suis bien ici, avec les Sonnbiels. Leur insouciance et leurs artistes me rappellent mes jeunes années...
Konrad s’assombrit et va s’exprimer, mais le monarque l’interrompt :
- Où est ta fille !? Elle doit être en âge d’acquérir sa première monture ? Les Sonnbiels dressent des félins. Si tu veux…
Barbara l’interrompt à son tour :
- Nous l’avons confiée à Sarah qui s’excuse ne pas venir.
Le roi étouffe un éclat de rire et se rabroue lui aussi.
- Rha ! Il parait qu’elle fraie avec ce soutaneux du Culte du dragon ? Plusieurs braves sont venus me demander que j’intervienne auprès d’elle pour qu’elle en choisisse un et qu’on en parle plus. Quand va-t-elle s’unir pour nous faire de beaux enfants !?
Conscient de la gêne du jeune couple, il ajoute :
- Bha ce n’est pas grave. Profitez de la fête. Allez mes enfants !
Tandis que Konrad et Barbara, bras dessus, bras dessous, gravissent la colline pour rejoindre un premier cercle de tentes où musique et danses battent leur plein, une monture ailée parvient péniblement à se hisser jusqu’à la plate-forme d’accueil. Il s’agit d’un griffon monté par Elwin Cehel et son ashok, Sylvan. Ce dernier se débat avec le mors et les éperons pour se poser sans encombre. La monture tient entre ses serres la dépouille d’un agneau, qu’elle s’empresse de dévorer, une fois celui-ci posé sur le sol. Elle garde un oeil agressif dirigé vers les montures les plus proches, pour marquer clairement la propriété de sa proie.
- Maître ! Je suis vraiment désolé. Je ne pouvais pas prévoir que…
- Ce n’est rien. C’est en faisant qu’on apprend. Quand tu sauras manœuvrer un griffon de manière correcte, tu seras en capacité de dompter n’importe quelle monture ! Tu étais distrait par un aussi beau paysage. Tu as volé trop près des prairies de montagne. Tu t’es laissé surprendre par ta monture qui a fondu sur la première proie facile à sa portée.
Après avoir solidement attaché le griffon à un anneau de métal fiché dans le roc, l’ashok aide son maître à descendre de selle. Puis il arrange les sangles de leurs deux sacoches harnachées, pour les transformer en sacs à dos.
- Tu sais Sylvan, ton vœu de silence est désormais inutile. Je t’autorise à prendre la parole quand bon te semble. J’ai remarqué que tu es plus fiable à l’action qu’à l’observation. Cependant cela ne t’autorise pas à parler sans réfléchir. L’Ambassadeur Sadok nous a encore une fois fait grand honneur de nous proposer de le représenter pour cette invitation conjointe des barbares et des elfes Sonnbiels. Il va néanmoins falloir nous montrer prudents et discrets. Les Sonnbiels passent pour des parias auprès de la majorité de ceux de notre peuple. Ils étaient autrefois des elfes des bois. Ils ont délibérément renié notre culture et nos traditions pour devenir nomades en se mêlant aux humains. Ils manquent de mesure, de retenue, mais tu verras : leur ouverture aux autres cultures leur a donné un sens exceptionnel dans certaines pratiques artistiques, ainsi que dans la magie de guerre.
Sylvan ne sut pas quoi répondre à cette injonction. Il choisi de rester silencieux.
Lui et son maître furent accueillis par deux représentants du chef de clan, un ner et une nîs. Une tente de protocole avait été préparée pour l’occasion. La conversation s’ouvrit sur des nouvelles de part et d’autre, autour de ce qui pouvait être aujourd'hui les préoccupations de chacun. Les Sonnbiels étaient plutôt intrigués que l’ambassadeur ait accepté l’invitation. Ils expliquèrent que des choses avaient changé depuis l’invocation du Grand Druide. Le nord de la Colonie avait recouvré sa grande forêt. Des elfes sylvains revenaient peu à peu. Ils s’installaient, malgré la présence des garnisons du Pèlerin Noir, disséminées un peu partout. Les Sonnbiels avaient longtemps été les seuls elfes que pouvaient côtoyer les humains dans cette partie du monde.
Les deux envoyés déclarèrent se sentir aujourd’hui obligés de renouer quelques contacts avec leurs cousins. Ne serait-ce que pour leur signifier qu’ils se sentaient toujours de la famille et qu’ils avaient peut-être autre chose à partager que la langue elfique. Elwin Cehel les rassura en déclarant que c’était avec la plus attentive bienveillance que le Souverain de la Grande Forêt regardait ses cousins de l’Est. Il n’omit pourtant pas d’ajouter que tout pouvait rentrer de manière plus éclatante dans l’ordre, à condition d’une allégeance claire et motivée. Et du règlement de vieux contentieux, concernant l’intégration dans le clan Sonnbiel, d’elfes noirs et de non-elfes. La majorité des cités elfiques étaient aujourd’hui fermées aux autres peuples, en particulier aux humains. Le grand monarque des elfes était connu pour son intransigeance sur le sujet. Elwin ajouta qu’il comptait sur les Sonnbiels pour inciter les barbares à accepter la création d’un port franc destiné à accueillir une liaison régulière avec les nefs elfiques en provenance d’Ebereth. Le ner et la nîs se gardèrent bien de formuler une réponse qui fut engageante pour leur chef. Le plaidoyer étant entendu, ils invitèrent le légat de l’ambassadeur Sadok et son ashok à assister au combat rituel de deux nouveaux danseurs de guerre. C’était une cérémonie rare, qui allait voir s’affronter un ner sonnbiel et une orquesse des tribus alliées. Tout dans l’allure des deux envoyés de Sadok faisait écart avec la douceur de vivre Sonnbiel. Pourtant les Sonnbiels les accueillirent comme s’ils étaient nés dans le clan. Elwin décida qu’ils poseraient leurs robes de bure à mi-pente d’une des trois collines. Suffisamment à l’écart pour préserver leur quiétude monastique, mais assez près pour ne rien manquer de ce qui allait se jouer, sans froisser leurs hôtes. La soirée était assez avancée. Des couples et de petits groupes, coupes de bière et d’hydromel à la main, les avaient imités. Les flancs de collines se remplissaient d’une foule gaie qui tombait peu à peu dans le silence de l’attente du début du combat. Autour des deux adversaires, occupés de se concentrer et de se préparer physiquement, un cercle de tambours s’était formé. La plupart des musiciens étaient Sonnbiels mais quatre d’entre-eux étaient des orques. Les Sonnbiels étaient admiratifs de la maîtrise instrumentale dont ceux-ci faisaient preuve. Les tambours de guerre avaient une place tout aussi importante que les danseurs de guerre dans la société orque.
- Tu ne verras jamais d’instruments à percussions dans le Cortège de fleurs qui accompagne le Roi de la Forêt. C’est là une particularité de notre peuple : seuls les instruments à cordes et à vents sont dignes d’intérêt dans notre culture.
Elwin avait remarqué l’émoi soudain de Sylvan. Les musiciens commençaient à se chauffer en vue du rituel. Les rythmes sonores qui se mettaient en place le mettaient mal à l'aise. Elwin souriait comme un bon père. Il avait perçu le trouble que causait le rythme envoûtant des tambours chez son ashok. Un flot d’émotions remontait des tréfonds de la conscience du jeune ner.
- Mais sache que d’une certaine façon, ce à quoi tu vas assister ce soir, constitue pour toi, une des initiations de la voie du Pan For. Toute initiation est un combat. Observe tes émotions. Vois comme le doute tente de jouer de ces instruments pour te faire régresser à ta condition première. A ton avis, qu’est-ce qui se joue là dans ton coeur ? - il pique de l’index la poitrine de Sylvan - Quels sont les adversaires qui vont livrer combat ?
- Le doute… et la raison ? Heu non, la peur ! Et…
- La peur n’est qu’un sursaut. Une étape sur la route de ton malheur. Ou de ton bonheur. Les adversaires prendront successivement plusieurs masques mais ils ne sont en définitive que l’ignorance qui lutte contre la plus grande Lumière en toi.
- Je comprends.
- Non ! Cesses de vouloir te convaincre. Vis les choses quand tu les vois. Tu es plus que ton cœur et ta tête réunis ! Si tu privilégies l’un plus que l’autre, immanquablement tu retomberas dans l’ignorance. Si la tête seule gouverne, la vertu cessera d’inspirer tes pensées. Elle est comme une princesse éconduite : elle te quittera définitivement. Elle ne peut souffrir d’un calcul. Aussi puissant soit-il. Si c’est ton cœur qui seul te guide, tu finiras par ne plus t’appartenir. Tes émotions ne doivent être que les agents très obéissants de ta vertu. Ce qui ne signifie pas qu’il faille les réduire en esclavage. Laisse-les vivre. Comme ce jeune berger à qui notre griffon a ravi un agneau : il veille sur son troupeau. Son attention n’est qu’aux bêtes qui s’égarent ou deviennent malades. Deviens le maître des couleurs. Tes émotions colorent tes pensées. Toi seul, ou devrais-je dire ta conscience éclairée, sait ce qui est bon pour toi. Sois le berger de tes pensées.
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Au cours de ce quasi monologue les accords d’instrument se terminent. Comme s’il s’agissait d’un signal le ner et l’orquesse vont planter chacun une lance ornementée et un poignard dans le sol, de son côté du cercle. Les deux belligérants s’enduisent le corps d’un baume huileux tandis que des officiants sacralisent le cercle d’eau et d’encens. Ils trempent des branches de gui dans une eau lustrale et répandent des gouttelettes partout où est passée la fumée d’encens. Tambours de guerre orques et sonnbiels, lyres, cithares, hautbois, cromornes, flûtes et psaltérions se mettent à jouer de conserve. Chaque adversaire se défie avec intensité. Puis s’agenouille, prend une poignée de terre, en souffle la surface devant lui, main ouverte, l’embrasse et la jette sur sa poitrine. Leur corps immobile, luisant au clair des trois lunes, semble vibrer puis s’agite. Leurs pieds glissent, frappent le sol. Un pas, puis l’autre. Leur danse commence. Ils se tournent autour, se jaugent. Chacun forme des acrobaties destinées à laisser une ouverture. L'orquesse lance les premières attaques. Pieds. Poings. Toutes sont esquivées par le ner.
- Le baume dont ils s’enduisent est hallucinogène. Si un jour tu dois défendre la Grande Forêt d’une agression et pour cela partir à la guerre - ce que je ne te souhaite pas - il est important que tu saches ce qu’est un danseur de guerre. Il y a bien longtemps que l’on ne les a plus vus dans les armées régulières. Ils apparaissent quand les temps changent ou que les prophéties se réalisent. Quand les dieux décident de remodeler le monde à leur image. Ce sont des adorateurs des trois lunes.
- Est-ce donc cela le chamanisme, Maître ?
- Le chamanisme est porté par une tradition. Les chamanes sont des prêtres d’une communauté et de la nature. Eux, ils n’ont pas de prêtres, ce sont des combattants inspirés. Ils sont un peu comme les barbares quand ils se mettent en rage guerrière. Ils n’ont pas de chef, mais forment un groupe compact et solidaire dans une bataille. Ils obéissent au chef d’armée et quand ils ne sont pas en rage guerrière peuvent même utiliser le bouclier, l’arc ou l’épée. Mais quand un ner ou une nîs décide d’entrer dans cette caste, ils ne peuvent en ressortir qu’après une rage guerrière. Il ou elle se coupe alors les cheveux ras, ne porte rien de plus qu’un pantalon, le torse nu. Pour entrer en rage guerrière ils utilisent ce baume, mais se peignent aussi le corps ou se tatouent. Ils ne peuvent alors combattre qu’avec une lance ou un poignard. Ce qui les rend prodigieux est cette transe qui les amène à réaliser une danse guerrière transcendante qui les propulse entre deux mondes.
Pendant qu’Elwin achevait son explication et après s’être jaugés en faisant des pas chassés sur le côté, le ner et l’orquesse ont parcouru trois tours du cercle délimitant leur espace de combat. A chaque pas, ils cherchent l’angle qui leur permettra d’engager le combat avec un avantage. Ils guettent l’occasion. Puis l’instant vient, c’est le moment d’en venir aux mains. Ils s’agrippent, leurs mains s’ouvrent et se ferment, avec plus ou moins de force, leurs doigts s’entrelacent et se retirent aussitôt que l’autre cherche à tordre. La lutte au corps à corps semble manifester un certains statu quo dans leurs postures et ils choisissent très rapidement de se saisir de de leurs armes. En acrobates accomplis, ils sont à l’aise sur un bras ou sur un pied. Toujours en mouvement et dans le rythme que donnent les musiciens. D’abord à la lance. La nîs a fini par briser sa hampe en portant un coup de taille engageant toute sa force. Elle esquive quelques estocs de représailles du ner. Les estocs se concluent par un fauchage qu’elle évite en saut périlleux arrière. Elle parvient à récupérer son poignard et repart à l’assaut. Il s’en faut de peu pour que le sang gicle, au moment où elle lui assène un coup de revers. Mais il esquive à son tour et s’élance dans les airs au-dessus d’elle. En retombant, il se sert de toute l’inertie de son poids et de sa lance pour la transpercer du dessus, mais elle roule à temps sur le côté. Plutôt que d’en profiter pour se relever, elle lance sa jambe pour le faucher au moment précis où il retrouve ses appuis. Il bascule sans avoir le temps de frapper le sol pour amortir sa chute. Elle se relève d’un bond et cette fois c’est elle qui arrive en piquet la pointe de son poignard sur sa gorge. Elle l’arrête à fleur de peau. Toute l’assemblée présente retient son souffle en symbiose avec le ner. Il prononce le mot rituel qui proclame sa capitulation. Leur concentration se dissipe, comme s’ils revenaient d’un songe. On n’entend plus que leurs souffles entrecoupés. Puis l’assistance éclate de joie et d’applaudissements quand elle décide de l’aider à se relever. Ils saluent les musiciens et sortent du cercle.
- Ils n’étaient pas en rage guerrière. Mais ce combat, de ce que j’en ai compris va créer un précédent. Danseurs de guerre sonnbiels et danseurs de guerre orques sont désormais réunis dans une fraternité guerrière. Regarde. Ils ont fait appeler les tatoueurs.
- Comment peut-on se battre avec une telle intensité tout en dansant avec une telle grâce ? Et cette musique !
- Viens. Allons nous dégourdir les jambes.
Les deux légats de la Grande forêt, après s’être rapproché des flambeaux, se dirigent vers la tente des danseurs de guerre. Les combattants sont allongés, torse nu, chacun sur une table couverte d’un drap. Des proches leur apportent des soins et les réconfortent. Le ner porte sur le côté gauche de l’abdomen un tatouage de main couleur sable, paume ouverte. L’orquesse porte un magnifique dragon de profil à quatre pattes, du même côté, sur le bas du dos. Les deux adversaires ont demandé, pour commémorer ce combat, de compléter leur tatouage avec celui de l’adversaire. Le Roi Ausric, accompagné de Konrad et Barbara vient saluer et féliciter les deux combattants. Il retire de sa couronne d’or les deux dernières pierres précieuses qui l’ornaient et les offre au ner et à l’orquesse en signe de gratitude. L’un et l’autre reçoivent le présent, visiblement touchés par le geste. Puis il tend sa couronne à Konrad :
- Tu la feras fondre. Quand ta fille sera en âge de chevaucher, je veux qu’avec cet or tu lui achètes une monture. Je me retire. Mais sans abdiquer. Notre peuple n’a plus besoin de roi. Il doit reprendre l’errance. Nos ancêtres ont toujours su se guider sans avoir à rechercher de traces dans le sable. Malgré les méandres du vent et la colère des dragons, c’est de nos propres mains que nous façonnons notre destin. Sois fier ! Les trois lunes nous contemplent avec admiration : parce que nous sommes libres ! La liberté ! C’est cela qui est notre sang et qui le fait palpiter dans nos veines. C’est ce qui fait de nous des Barbares ! Et seuls ceux qui marchent à nos côtés sont légitimes pour partager le feu sacré de notre foyer. Si d’aventure, ou d’ordinaire, même un dieu, se présente à ta table, sans y avoir été invité : chasse-le ! Choisis bien tes amis, car tes ennemis, eux, t’ont déjà choisi.
La royale stature d’Ausric enserre de ses bras, avec ce qu’il lui reste de force et de vigueur, la forte carrure et la stupeur de Konrad. En lui tapotant les épaules et les omoplates, comme si la royale personne voulait le rasséréner par cette empoignade bravache et virile.
Ainsi chacun des danseurs de guerre se fait recopier le tatouage de l’autre avec un symbole entre eux qui les uni : un diamant dessiné sur ses huit faces, issu de la couronne d’or de Zamora. L’ashok Sylvan trace un croquis des tatouages pour immortaliser cette singulière façon de rapprochement entre les peuples. Quand il eut fini, il feuillette son journal et revient plusieurs pages en arrière, cherchant quelque chose. Enfin il compare la page qu’il vient d’achever au fusain et celle d’il y a trois jours. Dans l’ouvrage qui constitue un atlas de Port-Kro dans la bibliothèque du Gouverneur, il a reproduit les vues en coupe de plusieurs bâtiments de la ville. Dont la silhouette élancée de la Tour anti-magie. Un agrandi de la partie constituant le phare révèle la forme de la Gemme qui constitue désormais le feu éclairant la nuit, et remplace le brasier d’autrefois, une gemme énorme et taillée sur huit faces. La même taille de facettes de pierre que celle des joyaux de la couronne d’Ausric, reproduites sur les tatouages.
Konrad s’est mis à l’écart. Il s’assoie et examine le couvre-chef royal sous tous les contours, pensif.
Barbara et Ausric semblent bien s’entendre. Elle le questionne sur sa famille, sa descendance. Les yeux clairs du vieil homme luisent d’émotions quand il évoque ses petits-enfants et les exploits qu’il souhaite les voir accomplir. L’air du soir devient plus frais, les invités s’éparpillent en cortèges. Certains partent, d’autres restent.
- Tu oublies cette idée de monture. Quand tu l’auras fait fondre par l’orfèvre, fais-en un lingot et place le auprès du préteur Tolodei. Avec l’argent qu’il fera fructifier, nous offrirons un vrai avenir à notre fille, dans la meilleure école de magie.
Konrad réuni ses mains et croise les doigts pour faire un marchepied à Barbara qui s’installe sur le dos du saure-oiseau. Le couple part avec les derniers invités. Les Sonnbiels continuent la fête. Ils lèveront le camp demain. Ausric, qui a accompagné Konrad et Barbara jusque sur la plate-forme, a refusé les transports qui lui ont été proposés pour rentrer auprès d’une des tribus. Il reste avec les elfes du désert et déclare qu’il reprendra la route avec eux. Chacun sait désormais qu’il se tient à la disposition de tous. Non plus comme un souverain, mais comme l'aïeul avisé que l’on affectionne et que l’on respecte.
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