L'art de se relier
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L'art de se relier
« Tout est relié ». Tel est le titre du livre que je parcours en ce moment, écrit par un journaliste scientifique et un ethno-botaniste spécialiste du chamanisme amazonien, qui s'attellent à tisser les liens entre les connaissances scientifiques, philosophiques et spirituelles pour montrer comment, de la physique quantique aux spiritualités, de la communication dans le règne végétal au chamanisme, Tout n'est qu'un seul et vaste réseau d'informations et d'interactions dans lequel nous sommes intrinsèquement reliés par de multiples intrications.
C'est aussi le point de départ de la réflexion personnelle qui m'interpelle depuis un certain temps. Je crois que nous sommes fondamentalement animés d'un besoin de reliance, et que ce que nous cherchons dans la vie, au delà de la satisfaction de nos besoins primaires, ce qui nous permet de nous éprouver en tant qu'être vivant, c'est de trouver ce à quoi/à qui nous relier et comment nous y relier.
Qu'il s'agisse d'une personne, d'un lieu, d'un objet, d'une œuvre d'art, d'un paysage, d'une activité, d'une idée, d'une histoire,.. toute l'intensité du fait de nous sentir vivant réside dans ce lien qu'on établit, dans cette relation qu'on développe, dans la manière dont on investit ces liens, comme participant de notre sentiment d'être au monde et de notre identité.
De la nature et de la qualité de ces liens dépend notre bonheur ou notre insatisfaction, notre sentiment de complétude ou de manque, notre degré d'ouverture ou de fermeture, le développement d'une relation saine et équilibrée ou au contraire une relation pervertie et déséquilibrée avec ce à quoi nous tentons de nous relier.
Il est pourtant surprenant de voir combien ces liens fluctuent dans le temps ; combien en fonction de notre état du moment, de nos humeurs, de nos préoccupations, de notre état de réceptivité et de notre disponibilité, ces liens peuvent s'établir naturellement et prendre une consistance et profondeur, ou au contraire peiner à se créer, rester volatiles et superficiels. Combien nous pouvons osciller entre des phénomènes d'attirance, d'aversion et de désintéressement au cours du temps, sans que nous ne le percevions toujours ni n'en comprenions toujours très bien les raisons.
La nature de ces liens ne dépend pourtant pas de notre volonté, comme une orientation choisie et décidée. C'est une interaction qui se déroule au delà de notre mental, suscitant notre intérêt dans une résonance plus ou moins intense avec les dimensions sensibles de notre être. Et en même temps, leur qualité et leur durabilité dépendent de l'attention que nous y mettons, de l'intention que nous posons, de l'effort et de l'investissement que nous choisissons d'engager. Alors, qu'est ce qui relève d'une action consciente et volontaire, et qu'est ce qui nous dépasse et qui fait appel à d'autres dimensions, sur quoi notre mental n'a que peu ou pas d'emprise ?
Je dois bien avouer que ces derniers mois, au fur et à mesure que je voyais un certain nombre de mes liens se déconstruire et s'interrompre, j'ai eu de plus en plus de mal à trouver cette capacité à me relier, à investir des liens et des relations, à me connecter et à me sentir vibrer avec ce qui m'entoure. Il ne s'agit pas juste de décider, la seule volonté ne suffit pas. Je dirais qu'il importe de savoir se rendre disponible à, mais il y a également une sorte de disposition personnelle, de force intérieure qui est présente en nous à un degré variable qu'on ne maîtrise pas.
Pour ma part, éprouvant de plus en plus de difficultés à me relier et me sentant de plus en plus isolé malgré tous mes efforts, j'ai fait le choix de changer de cadre et d'environnement, de me remettre en marche et d'aller regarder en face ce sentiment de solitude qui me prend si souvent, de cesser de le subir ou le fuir mais plutôt de l'explorer en profondeur, tenter d'en comprendre ses fondements, son illusion, et pouvoir le dépasser.
Car tout est relié ! Tout est en interdépendance, chaque chose et chaque être ne sont que les manifestations d'un Tout, et c'est parce que nous nous pensons séparés et indépendants du reste du monde que nous souffrons, nous disent la plupart des spiritualités. L'ego est une illusion qui nous enferme et nous coupe d'une dimension supérieure. Certes. Le comprendre intellectuellement est une chose ; mais l'éprouver et le vivre intérieurement au quotidien en est une autre.
Car si notre mental nous permet d'appréhender et de comprendre cette notion de reliance, sa nature même est à l'origine de notre séparation. Par sa position d'observateur extérieur, par son fonctionnement propre qui vise à nommer, classer, analyser, distinguer, différencier, il coupe et sépare : moi et le monde, moi et les autres, il ou elle, ceci ou cela. Nous nous percevons et nous nous pensons séparés de ce qui nous entoure, et c'est de cette pensée illusoire que viendraient toutes nos souffrances. C'est le fameux fruit défendu de l'Arbre de la Connaissance qui nous évince du Paradis.
La solution ne peut donc provenir de ce qui est à la source du problème, mais au contraire doit nécessairement convoquer les autres dimensions de notre être, qui n'est pas qu'une conscience pensante mais qui est aussi une conscience sensible, nous permettant de nous ressentir et de nous éprouver comme relié et faisant partie d'un Tout.
Tout l'art de se relier est donc de savoir utiliser notre mental à bon escient pour orienter correctement notre attention et nos efforts, et de savoir en même temps le déposer ou au moins le mettre en veille pour laisser s'exprimer les autres dimensions sensibles de notre être qui participent à notre conscience d'être au monde.
C'est l'art de respirer, de méditer, d'admirer et apprécier, d'être présent à ce qui est, de focaliser son attention, de percevoir et ressentir, d'être ouvert et réceptif à ce qui se manifeste, d'entrer en résonance, l'art d'aimer et se laisser aimer. C'est quitter le « je pense, donc je suis » pour tendre vers un « je ressens, donc j'existe ». Et c'est en se ressentant, non pas isolément mais comme relié et faisant partie d'un ensemble plus vaste, qu'on se remplir de joie et qu'on se sent vraiment vivant.
C'est aussi être capable de saisir les causes et les mécanismes qui nous éloignent de notre capacité à nous relier, et nous amènent à nous renfermer sur nous-mêmes. Nos préoccupations et nos difficultés du moment, ce qui nous disperse et nous emmène vers la tentation d'autre chose, nos blessures du moment et celles qui se réactivent, les barrières que nous érigeons pour nous en protéger, les mécanismes de défense que nous mettons en place, les masques et postures de façade que nous prenons, qui sont autant de freins à la création de liens authentiques et profonds.
Et toute la subtilité de cet art réside certainement dans la manière de savoir aussi rencontrer ces freins, de ne pas en nier l'existence et de ne pas nous laisser gouverner par eux, de savoir les contenir à leur juste place et de composer au mieux avec, de ne pas projeter et attribuer aux autres ce que nous ne voulons pas voir de nous meme, afin de nous relier de la manière la plus juste qui soit avec ce qui nous entoure. En somme, sortir d'un fonctionnement automatique, réactif et conditionné, pour aller vers plus de présence et de conscience à ce qui nous anime et à ce qui est.
Le besoin de se relier est un besoin fondamental pour l'être humain. Et notre société consumériste, qui l'a bien compris, nous propose des tas de choses attirantes et de substituts auxquels nous relier. Mais sa logique n'est pas de satisfaire durablement nos besoins, c'est au contraire d'en générer de nouveaux et de nous amener à en vouloir toujours plus, dans une logique de dépendance et de satisfaction artificielle et temporaire. (cf l'article la Sagesse Interdite)
A nous donc de sortir de nos conditionnements et d'utiliser notre intelligence mentale et sensible, pour savoir distinguer ce qui est authentique de ce qui est artificiel, ce qui est profond de ce qui est superficiel, ce qui est sincère et véritable de ce qui est de la poudre aux yeux et illusoire. Bref, à nous de comprendre où se situent nos besoins véritables, et d'apprendre à nous relier aux personnes et à ce qui nous entoure de la manière la plus saine et appropriée qui soit.
A l'image de cet oiseau très symbolique ici en Amérique du Sud, qui m'est justement apparu tout à l'heure au moment où je pensais à tout ceci, je voudrais appeler cet art de se relier l'art du colibri. Tel un rayon de soleil ou un arc en ciel (également apparus en suivant tout à l'heure, synchronicité ?), il nous apparaît de manière soudaine et fugace. Totalement insaisissable, dans un battement d'ailes d'une rapidité extrême, il nous illumine les yeux et nous ravit le cœur, le temps de butiner une ou deux fleurs, le temps d'un instant qu'on voudrait une éternité. Il focalise toute notre attention l'espace d'un instant, puis disparaît aussi rapidement qu'il est venu, nous laissant avec le souvenir de cet instant de toute beauté et d'intense connexion avec ce qui est. L'art de se relier intensément. L'art du colibri.
NB : Pour répondre à ceux qui s'interrogent ou qui me demandent ce que je suis parti chercher, pourquoi je fais tout ça, je leur répondrais exactement cela : continuer à explorer cet art de se relier, comprendre ce qui m'en rapproche et ce qui m'en éloigne, et pour cela aller à la rencontre de moi-même et m'éprouver dans mes différentes facettes. Avec le désir de continuer d'apprendre à me relier de la manière la plus juste, la plus sincère, la plus authentique et la plus profonde qui soit à ce qui m'entoure, et à celles et ceux qui souhaitent réciproquement se relier à moi.
C'est certainement là que se situe l'objet de ma quête et de ma recherche de sens, que j'explore depuis tant de temps et qui guide la plupart de mes choix. Avec mes réussites et mes failles, mes aptitudes et mes insuffisances.
C'est probablement aussi la finalité de ce blog, de ce que je recherche dans le voyage et dans mon travail d'écriture, et que je tente de vous faire partager par mes articles plus ou moins fouillés et réfléchis. J'espère y arriver quelques fois.
Je vous embrasse.