Livre : Le temps d'une révolution ! Feuilleton, épisode 2
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Livre : Le temps d'une révolution ! Feuilleton, épisode 2
Chapitre 2
Jamais je n'avais compris cette expression populaire et il fallait qu'Astrid fasse trembler mes six sens pour me retrouver ainsi dans les pommes, enfin, sur des pommes : des bleues, des jaunes. Fruits murs ou verts à la peau douce ou rosée, je voyageais dans ce terrain obscur du subconscient. J'ignore comment, mais ma balade ne faisait que commencer, à croire que la réalité devenait lointaine.
Après cette pluie de cidre, me voici dans une forêt de questions, un voyage curieux au cœur de points d'interrogation, inévitable lévitation qui m'attirait sans cesse vers l'attrait grandissant des points de suspension...
Vertiges de couleur psychédélique, je marchais, je volais, enfin j'allais de couloir en couloir, de porte en porte, sans rien à vendre et tout à découvrir, mais avec une obsession cependant, me sortir de cette impasse spatio-temporelle. Perdu dans mon inconscience, comme au sein d'une cuite au vin violet, je trouvais que le lieu avait des airs de mystère et des allures de labyrinthe.
D'ailleurs, depuis peu, je ne voyais que du bleu, aux spasmes d'orange très clairs. Vraiment curieux. Puis survint à ma droite une attaque de vert, moi qui sentais la soif venir, et des mauves lancinants. Enfin une porte et une question : qu'est-ce que l'existence ?
Pas de chance, de la philosophie, je n'allais jamais pouvoir guérir de ce contretemps, ouvrir les yeux et revoir ma douce. Non, emporté dans ce vent de folie, je ne voyais que des peaux de chagrin lumineuses, des étoiles diverses et des averses de gris aux rayures rosées. Tout était en mouvement, et j'étais le seul à l'arrêt. D'une seconde à l'autre, je m'attendais à voir le Grand Esprit, celui qui aspire nos consciences et définit nos vies, sans nous demander notre avis.
Sans réponse à cette première question, je fis demi-tour et rejoignis le pont. Une peur fidèle accompagnait tous mes pas et pour l'oublier, je pensai à un repas. Un gigot d'agneau aux morilles fraîches, une laitue de mer et des frites, pas d'excès, ce n'était pas le Jour de l'An. Mais je l'avais ma réponse, par le simple fait de chercher le fond de l'énigme, cette notion d'existence était enfouie dans ma notion de vie, et ma voie était cette petite voix qui avait faim, alors je retournai vers cette porte et, sûr de moi, je l'ouvris.
Me voilà, auprès d'un lac, un symbole de naissance. Ce lieu est si tranquille qu'il en devient magique. Perdu dans l'œil du monde, je cherchais à me réveiller, à entendre les cris des oiseaux.
Était-ce à cause de l'ouverture de mon appétit ?
Un miaulement sortait de l'ombre. Le passereau, petit oiseau-chat au plumage chatoyant se jouait de mes humeurs et m'attirait dans son piège. J'allais à la recherche de vie, donc de sons, prêt à mordre à l'hameçon. Toutefois, l'âme joueuse, mon for intérieur souriait. Je respirais l'envie de sortir de cette magnifique galerie, ce goût inné de liberté, sans doute.
Une chanson revenait de nulle part. L'oiseau de Jupiter prenait son essence et son vol dans ma raison. Le miroir aux traits bleus de cette masse d'eau inerte me soutenait dans cette nuit d'étincelles aux fluorescences rouges, vertes, jaunes. L'aigle aux couleurs d'absence me parlait, sans mauvais œil. Je l'accompagnais, et inventais des montagnes.
Des envies de pétrels et des tempêtes se levaient, le lac transformiste délivrait sa furie et des vagues océanes accompagnaient mes émotions. Mort, oublié, jamais je n'avais eu autant le sentiment de vivre au creux d'un rêve, mais j'en étais prisonnier et je recherchais en vain la douce colombe.
Le temps n'existait plus, j'étais en vacances. Ma conscience se heurtait aux murs de mon imaginaire et j'avançais en cadence, à l'écoute du moindre signe. Quelques pas de danse, l'oiseau rare peu bavard m'offrait sa délivrance oisive. Ce cygne me berçait et animait mes ampoules intérieures. Mais comment sortir d'ici ?
J'éprouvais le besoin de partager cette folie. Triste solitude, l'ennui de ne pouvoir communiquer, apprendre sans enseigner. J'allais m'asseoir sur un banc, mû par ce besoin éternel d'osmose, défini par ce mot : amour.Cette pause ne fut pas longue, bien que les temps fussent confus dans cet espace de ténèbres ponctué de lumières éclatantes. Je devais sortir de ce mensonge sans fin et retrouver mes couleurs, les bruits de mon cœur, mes désirs d'envies. Tiens, une autre porte. Je l'avais prise pour une fenêtre, et je cherchais la question. Le temps est une notion intérieure ou extérieure à soi ?
Oh la là ! vraiment pas de bol. Comme je navigue sur le plan d'eau de mon arrière- cour, alors que je ne sais même plus qui je suis, si j'ai un passé, de l'avenir, voilà que l'on me pose une question des plus complexes, sans notion de base mathématique. Ce qui est mon cas. Mis à part les dimensions et les projections de droites qui agissent sur nos perceptions en dessin. Que dire ? Le temps, ne serait-ce pas l'horloge de l'humanité et des mondes parallèles ?
Temps atomique ou séquence de rotations des planètes, c'est une unité de mesure gageant d'un postulat : un début et qui nécessite une fin. Ce qui écarterait la notion d'infini. Cosmos, galaxies, planètes, ne sont que des météores, des étoiles que brûle le temps et qui entraînent des vœux, si l'on voyage dans leurs métaphores.
Seul, l'être ultime, le créateur de créatures, la première pensée est hors du temps et de l'espace. Elle nous accompagne partout. Dans un sourire, au croisement d'une envie, au creux des racines d'un arbre, sur les pétales d'une fleur. La vie n'est que pensées et, sans celles-ci, tout est vide.
— Tu cherches quelqu'un, quelque chose ?
D'abord je n'avais vu que l'oiseau-lyre et je restai sans voix. Comment croire que ce petit être, à califourchon sur cette légende monstre, n'était pas un colibri mais une fée.
— Tu t'appelles comment ?
— Guillaume.
— D'où viens-tu ?
Alors là, que dire à ce petit animal ? Que je viens de la Terre, une planète qui a un soleil et de l'oxygène et des désirs de dieux, et que j'aimerais savoir où je suis ?
— De pas très loin, d'un lac et de son pont.
— Je peux t'aider, tu sais ?
Non, je ne le savais pas. Mais connaissait-elle les clefs de l'univers, les règles élémentaires du temps et des temps ? Je l'ignorais.
— J'aimerais aller derrière cette porte-fenêtre.
Elle se frotta le menton, ses couleurs complémentaires changèrent d'intensité, ses colonnes de jaune de cadmium et de vert de chrome devinrent terre de sienne brûlé et laque pourpre, et l'effet fut saisissant.
— Si tu veux, je peux répondre à ta question.
— Tu m'ôterais une épine du pied.
Là, je la devinai songeuse. L'expression que je venais d'employer l'intriguait et elle semblait perdue dans ses pensées. Pouvait-elle, vraiment, me venir en aide ?
— Tu n'as pas d'épine et pas de pieds.
Perplexe... Pas de pieds ? Mais si, j'ai un corps et des idées, que voit-elle sinon ?
— Je t'ouvre la porte puisque les réponses aux questions sont au fond de toi et que tu dois encore apprendre...
La fée avait ses pouvoirs et sans savoir quel subterfuge elle avait utilisé, ma perception fut victime d'une explosion de lumière. Enchanté, je devais m'habituer à ce lieu artifice et apprécier ses délices.
Après tout, j'avais le temps, et mes factures d'électricité attendraient... avant d'être payées. Difficile d'expliquer cet univers : cinq poteaux, arbres aux troncs translucides et feuillages multicolores plongeaient leurs racines dans un lac de glace acide, des volutes arc- en-ciel fuyaient en tout sens.
Effet transparence et diffusion dans les sens, de bleus : turquoise, cyan, outremer et céruléen, transpercés de fumées orangées, jaune Océan et vert lumière. Des reflets pourpres, violets, circulaient dans les airs, aux côtés de blancs suggérés et d'ocres jaunes, d'ambres brûlés, d'alizarines cramoisies. Tout était en mouvement, sauf ce miroir qui me glaçait le sang. Où allais-je trouver une sortie ?
Je cherchais à revenir en arrière, or je pouvais constater simplement que le paysage quitté, celui traversé précédemment, avait fui, évaporé. Aussi sensible que l'impression des secondes sur le cadran d'une montre, je ne pouvais pas reculer, obligé d'aller de l'avant, sans repères et ne sachant pas rappeler la fée qui venait de m'offrir ce mirage.
Un rat dans une cage de laboratoire ; j'avais des envies de fuite, mais je sentais bien que le temps n'était rien. Une illusion. Seules mes cellules m'enfermaient dans la prison de l'obsession de vivre. Comme tous les humains, j'avais cette peur inerte en mon sein, de vieillir.
Je sais que l'éternité n'est pas une solution, que la nature cruelle nous oblige à nous bouffer les uns les autres, bêtes sauvages ou élevées à la chaîne. Le propos ne se trouvait pas là, là c'était un principe de chaîne alimentaire, rien de plus. Mais quelle beauté étrange que ce paysage tout en couleurs volatiles.
Pas un seul panneau de signalisation et ses souvenirs de femmes, de flammes, cette perte de connaissance. Je décidai d'avancer, sachant pertinemment que le recul ne m'avancerait à rien. Peu placide et nullement désireux de disparaître dans ce lac acide, je me projetai dans ces arbres.
Pour un peu, des ailes venaient de me pousser. La légende du Minotaure m'accompagnait, et j'aurais bien joué au fil d'Ariane, araignée d'un seul jour. Tisser ma toile et m'offrir un parachute, aller de couloir en couloir sans valise, et y trouver la paix.
Le silence n'était pas roi, une cacophonie peu ordinaire me suivait, une sorte de cocotte- minute de sons bizarres, des chansons de baladins et de contemporains, du classique, du jazz et pas de java. J'avais cette impression folle de voler de feuilles en feuilles, des rouges aux veines mandarine, celles qui se dessinent en automne.
Par moments, je trouvais l'endroit idyllique, romantique, si joli et quasi magique par l'évocation de toutes ses couleurs. Si ce lieu fût partage, il eût été mon Utopie, mais isolé entre rêve et réalité, qui pouvais-je inviter ?
Au lieu de cela, ces chênes étaient ma prison et j'avais peur d'y trouver ma tombe. Je devais me faire une raison, trouver de la logique à cette histoire, ne pas me plaindre de sentir mon cœur battre et recevoir ce florilège d'odeurs ensorcelantes.
Avais-je répondu à l'énigme ? Le temps vit en soi si on en a conscience. Mais avez- vous vu une montre à la patte d'une tortue ? Non, pourtant rien ne prouve qu'elle ne se trouve pas lente et qu'elle ignore le passage des minutes. Le temps, c'est ce cercle de particules qui tourne autour de l'univers et vous entraîne dans sa tourmente, années-lumière ou trou noir.
Ce sentiment pénible, mais si vrai, d'exister. D'être aussi puissant qu'une puce. Les quatre saisons sont bien plus que des ingrédients garnissant une pâte italienne, elles établissent des règles de circulation des airs sans droit de douane. L'unité absolue du temps n'a pas de lieu d'être, ici et dans les mondes parallèles, car au fond, dans le lointain, le temps n'a aucune importance puisqu'il est perpétuité et assassin...
Sortir d'ici et revoir un toit d'étoile. Les compter. Rester des heures la tête levée, absorbé par la curiosité de l'univers, immobile. Regarder en arrière, parcourir les milliards de kilomètres de notre passé commun en jetant un œil en l'air et découvrir la loi d'évolution. La vie est une lutte contre l'éternel recommencement, qu'est-ce que vivre ?
Ouvrir les yeux, se lever, déjeuner, s'activer, prendre un repas, rire, jouer, travailler, dîner, et enfin dormir. Attendre les lendemains et perdre ses forces, sa flamme. Les cernes, les rides, la vieillesse arrive, et on enfonce les clous ou brûle votre peau. Que vous soyez un numéro ou portant nom et prénom, vous n'êtes rien d'autre qu'un regard qui traverse le temps. Si simple et si beau...
J'étais dans une impasse, mes désirs s'amplifiaient, cruelle invitation à la lévitation qui eût pu sortir de ma volonté d'être vivant, mais qui me dérangeait par deux de ses aspects. Le premier : ce don n'était pas volontaire, et pire, la deuxième raison : l'action était totalement incontrôlée, ce qui offre son lot de stress et d'instants de panique absolue.
Je quittai les arbres à malices et m'offris le supplice d'un plongeon dans le lac. Pas plus de nuages que de nénuphars qui ne glissaient à la surface de ce miroir aux adieux, j'avais de la peine à croire que je gardais une conscience.
L'eau avait la transparence du béton, elle accueillait mon errance sans sourciller, pas une éclaboussure. Je marchai et allai plus loin, moi qui me croyais en fin de passage. Dommage que je n'aie pas eu de patins, je serais allé plus vite dans ma fuite en avant.
— Tu m'as appelé ?
Je n'en avais pas la moindre idée, avais-je parlé, crié, qui était cette voix ?
— Non.
— Tu es inquiet... pourtant, et je le répète, aucune tempête, pas de peur, toutes les réponses sont en ton cœur.
Miroir, folie, que se passait-il ?
Et ce refrain, ce désir d'île m'envoûtait. Que ce fantôme qui me connaît se montre, qu'il ose affronter la lumière de mon regard.
— Je suis là.
En effet, la fée toujours sur son oiseau perchée se tenait à mes pieds. Elle souriait et j'avais honte de ma conduite, de mon manque d'hospitalité.
— Je t'écoute...
Perdre ses repères, mourir ni de faim, ni de froid, être en sueur au fond de son malheur d'être un fruit unique. Je voulais quitter cet endroit pour respirer et m'offrir un café. Je pensais à Agnès abandonnée dans sa classe, otage de la bêtise humaine. Je pensais aux flammes et au destin. Drôles d'histoires que ces rencontres à répétition, comme si la vie était une partition écrite, dont le seul problème est de connaître le nom de celui qui tire les ficelles.
— Tu divagues ?
Et, vous n'allez pas me croire, je vis un mur de vague qui ôtait toutes raisons aux murmures de mes lamentations. J'avais de la peine, je me sentais idiot, faible, humilié...
— Ne pleure pas...
Pourquoi, si mon corps saigne, ne pourrais-je pas me couvrir de larmes ? La honte ?
— Moi aussi, je suis sensible, bien que née fée. J'ai des pouvoirs, et aussi le cri des violoncelles.
Une tourterelle ou une tour de Pise, offrez-moi un abri, un bout de terre que je puisse pisser dessus. Devant moi, la mer m'enivrait, ses côtes agitées glissaient ses messages turquoises ou émeraudes, j'avais des bleus à l'âme et la petite fée pleurait.
— Pourquoi pleures-tu ?
— À cause de tes souffrances, tu n'as pas conscience du mal que tu me fais.
À croire que nous étions en plein concours d'écorchés vifs, je m'excusai et la mer se calma. Petit à petit, les vagues perdaient de l'amplitude et le paysage retrouvait son calme. J'avais des envies de nuit et de lune ronde, comme certains ont des humeurs...
— Tu es bien curieux, mais je vais te répondre.
Comment pouvait-elle savoir ce que je pense, était-elle branchée sur ma fréquence ?
— Dix-sept !
— Quoi ?
— Idiot, visite !
— En combien de temps ?
Je croyais qu'elle allait s'éclipser, ne pas répondre.
— Le temps n'a pas d'unité, et aucune utilité. Regarde autour de toi, vois-tu des raisons de comptabiliser ?
À présent aucune, je m'étais égaré dans un conduit d'éternité et, le pire, je voulais en sortir, retrouver mes chaussettes sales, mon robinet saboté et mon univers de dessin. En pleine "auto conversation", ce monologue intérieur avait oublié ma compagne sur son cheval aux ailes dorées. La petite fée volait et portait son attention sur moi.
— Es-tu vivant ou mort ?
Comment pourrais-je le savoir ?
Jamais, je ne m'étais senti aussi vivant que dans les bras d'une femme, quand le désir vous sourit et que le temps s'absente, dans une douceur de soie ou de coton. Vivant, je respirais, non ?
— Tu n'as pas de corps, je te l'ai déjà dit.
Pas de corps, pas de cœur, je jouais à qui perd gagne. J'ignore qui je suis et si ce monde que je visite est un cachot, une fosse aux oubliettes ou un cauchemar récurrent. Je pense, donc j'essuie les plâtres...
— Euh! tu n'aurais pas une autre question ?
— Quel genre ?
— Je ne sais pas, deviner ton prénom ?
Qu'avais-je émis ?
L'hypothèse que, pour exister, il faille avoir une particule et pas des mandibules. Je mettais ma petite fée, celle qui me sauvait de mes peurs de solitudes, dans l'embarras. Je la vis faire trois tours sur elle-même et, souriante, presque aimante, je l'entendis dire :
— Puisque tu es si malin, donne-moi en un de prénom : pour toi ce sera mon nom.
Pas bête l'allumette, elle jouait et je ne devais pas l'agacer. J'observai sa silhouette et décidai de l'appeler :
— Tournesol.
Jamais je n'avais compris cette expression populaire et il fallait qu'Astrid fasse trembler mes six sens pour me retrouver ainsi dans les pommes, enfin, sur des pommes : des bleues, des jaunes. Fruits murs ou verts à la peau douce ou rosée, je voyageais dans ce terrain obscur du subconscient. J'ignore comment, mais ma balade ne faisait que commencer, à croire que la réalité devenait lointaine.
Après cette pluie de cidre, me voici dans une forêt de questions, un voyage curieux au cœur de points d'interrogation, inévitable lévitation qui m'attirait sans cesse vers l'attrait grandissant des points de suspension...
Vertiges de couleur psychédélique, je marchais, je volais, enfin j'allais de couloir en couloir, de porte en porte, sans rien à vendre et tout à découvrir, mais avec une obsession cependant, me sortir de cette impasse spatio-temporelle. Perdu dans mon inconscience, comme au sein d'une cuite au vin violet, je trouvais que le lieu avait des airs de mystère et des allures de labyrinthe.
D'ailleurs, depuis peu, je ne voyais que du bleu, aux spasmes d'orange très clairs. Vraiment curieux. Puis survint à ma droite une attaque de vert, moi qui sentais la soif venir, et des mauves lancinants. Enfin une porte et une question : qu'est-ce que l'existence ?
Pas de chance, de la philosophie, je n'allais jamais pouvoir guérir de ce contretemps, ouvrir les yeux et revoir ma douce. Non, emporté dans ce vent de folie, je ne voyais que des peaux de chagrin lumineuses, des étoiles diverses et des averses de gris aux rayures rosées. Tout était en mouvement, et j'étais le seul à l'arrêt. D'une seconde à l'autre, je m'attendais à voir le Grand Esprit, celui qui aspire nos consciences et définit nos vies, sans nous demander notre avis.
Sans réponse à cette première question, je fis demi-tour et rejoignis le pont. Une peur fidèle accompagnait tous mes pas et pour l'oublier, je pensai à un repas. Un gigot d'agneau aux morilles fraîches, une laitue de mer et des frites, pas d'excès, ce n'était pas le Jour de l'An. Mais je l'avais ma réponse, par le simple fait de chercher le fond de l'énigme, cette notion d'existence était enfouie dans ma notion de vie, et ma voie était cette petite voix qui avait faim, alors je retournai vers cette porte et, sûr de moi, je l'ouvris.
Me voilà, auprès d'un lac, un symbole de naissance. Ce lieu est si tranquille qu'il en devient magique. Perdu dans l'œil du monde, je cherchais à me réveiller, à entendre les cris des oiseaux.
Était-ce à cause de l'ouverture de mon appétit ?
Un miaulement sortait de l'ombre. Le passereau, petit oiseau-chat au plumage chatoyant se jouait de mes humeurs et m'attirait dans son piège. J'allais à la recherche de vie, donc de sons, prêt à mordre à l'hameçon. Toutefois, l'âme joueuse, mon for intérieur souriait. Je respirais l'envie de sortir de cette magnifique galerie, ce goût inné de liberté, sans doute.
Une chanson revenait de nulle part. L'oiseau de Jupiter prenait son essence et son vol dans ma raison. Le miroir aux traits bleus de cette masse d'eau inerte me soutenait dans cette nuit d'étincelles aux fluorescences rouges, vertes, jaunes. L'aigle aux couleurs d'absence me parlait, sans mauvais œil. Je l'accompagnais, et inventais des montagnes.
Des envies de pétrels et des tempêtes se levaient, le lac transformiste délivrait sa furie et des vagues océanes accompagnaient mes émotions. Mort, oublié, jamais je n'avais eu autant le sentiment de vivre au creux d'un rêve, mais j'en étais prisonnier et je recherchais en vain la douce colombe.
Le temps n'existait plus, j'étais en vacances. Ma conscience se heurtait aux murs de mon imaginaire et j'avançais en cadence, à l'écoute du moindre signe. Quelques pas de danse, l'oiseau rare peu bavard m'offrait sa délivrance oisive. Ce cygne me berçait et animait mes ampoules intérieures. Mais comment sortir d'ici ?
J'éprouvais le besoin de partager cette folie. Triste solitude, l'ennui de ne pouvoir communiquer, apprendre sans enseigner. J'allais m'asseoir sur un banc, mû par ce besoin éternel d'osmose, défini par ce mot : amour.
Cette pause ne fut pas longue, bien que les temps fussent confus dans cet espace de ténèbres ponctué de lumières éclatantes. Je devais sortir de ce mensonge sans fin et retrouver mes couleurs, les bruits de mon cœur, mes désirs d'envies. Tiens, une autre porte. Je l'avais prise pour une fenêtre, et je cherchais la question. Le temps est une notion intérieure ou extérieure à soi ?
Oh la là ! vraiment pas de bol. Comme je navigue sur le plan d'eau de mon arrière- cour, alors que je ne sais même plus qui je suis, si j'ai un passé, de l'avenir, voilà que l'on me pose une question des plus complexes, sans notion de base mathématique. Ce qui est mon cas. Mis à part les dimensions et les projections de droites qui agissent sur nos perceptions en dessin. Que dire ? Le temps, ne serait-ce pas l'horloge de l'humanité et des mondes parallèles ?
Temps atomique ou séquence de rotations des planètes, c'est une unité de mesure gageant d'un postulat : un début et qui nécessite une fin. Ce qui écarterait la notion d'infini. Cosmos, galaxies, planètes, ne sont que des météores, des étoiles que brûle le temps et qui entraînent des vœux, si l'on voyage dans leurs métaphores.
Seul, l'être ultime, le créateur de créatures, la première pensée est hors du temps et de l'espace. Elle nous accompagne partout. Dans un sourire, au croisement d'une envie, au creux des racines d'un arbre, sur les pétales d'une fleur. La vie n'est que pensées et, sans celles-ci, tout est vide.
— Tu cherches quelqu'un, quelque chose ?
D'abord je n'avais vu que l'oiseau-lyre et je restai sans voix. Comment croire que ce petit être, à califourchon sur cette légende monstre, n'était pas un colibri mais une fée.
— Tu t'appelles comment ?
— Guillaume.
— D'où viens-tu ?
Alors là, que dire à ce petit animal ? Que je viens de la Terre, une planète qui a un soleil et de l'oxygène et des désirs de dieux, et que j'aimerais savoir où je suis ?
— De pas très loin, d'un lac et de son pont.
— Je peux t'aider, tu sais ?
Non, je ne le savais pas. Mais connaissait-elle les clefs de l'univers, les règles élémentaires du temps et des temps ? Je l'ignorais.
— J'aimerais aller derrière cette porte-fenêtre.
Elle se frotta le menton, ses couleurs complémentaires changèrent d'intensité, ses colonnes de jaune de cadmium et de vert de chrome devinrent terre de sienne brûlé et laque pourpre, et l'effet fut saisissant.
— Si tu veux, je peux répondre à ta question.
— Tu m'ôterais une épine du pied.
Là, je la devinai songeuse. L'expression que je venais d'employer l'intriguait et elle semblait perdue dans ses pensées. Pouvait-elle, vraiment, me venir en aide ?
— Tu n'as pas d'épine et pas de pieds.
Perplexe... Pas de pieds ? Mais si, j'ai un corps et des idées, que voit-elle sinon ?
— Je t'ouvre la porte puisque les réponses aux questions sont au fond de toi et que tu dois encore apprendre...
La fée avait ses pouvoirs et sans savoir quel subterfuge elle avait utilisé, ma perception fut victime d'une explosion de lumière. Enchanté, je devais m'habituer à ce lieu artifice et apprécier ses délices.
Après tout, j'avais le temps, et mes factures d'électricité attendraient... avant d'être payées. Difficile d'expliquer cet univers : cinq poteaux, arbres aux troncs translucides et feuillages multicolores plongeaient leurs racines dans un lac de glace acide, des volutes arc- en-ciel fuyaient en tout sens.
Effet transparence et diffusion dans les sens, de bleus : turquoise, cyan, outremer et céruléen, transpercés de fumées orangées, jaune Océan et vert lumière. Des reflets pourpres, violets, circulaient dans les airs, aux côtés de blancs suggérés et d'ocres jaunes, d'ambres brûlés, d'alizarines cramoisies. Tout était en mouvement, sauf ce miroir qui me glaçait le sang. Où allais-je trouver une sortie ?
Je cherchais à revenir en arrière, or je pouvais constater simplement que le paysage quitté, celui traversé précédemment, avait fui, évaporé. Aussi sensible que l'impression des secondes sur le cadran d'une montre, je ne pouvais pas reculer, obligé d'aller de l'avant, sans repères et ne sachant pas rappeler la fée qui venait de m'offrir ce mirage.
Un rat dans une cage de laboratoire ; j'avais des envies de fuite, mais je sentais bien que le temps n'était rien. Une illusion. Seules mes cellules m'enfermaient dans la prison de l'obsession de vivre. Comme tous les humains, j'avais cette peur inerte en mon sein, de vieillir.
Je sais que l'éternité n'est pas une solution, que la nature cruelle nous oblige à nous bouffer les uns les autres, bêtes sauvages ou élevées à la chaîne. Le propos ne se trouvait pas là, là c'était un principe de chaîne alimentaire, rien de plus. Mais quelle beauté étrange que ce paysage tout en couleurs volatiles.
Pas un seul panneau de signalisation et ses souvenirs de femmes, de flammes, cette perte de connaissance. Je décidai d'avancer, sachant pertinemment que le recul ne m'avancerait à rien. Peu placide et nullement désireux de disparaître dans ce lac acide, je me projetai dans ces arbres.
Pour un peu, des ailes venaient de me pousser. La légende du Minotaure m'accompagnait, et j'aurais bien joué au fil d'Ariane, araignée d'un seul jour. Tisser ma toile et m'offrir un parachute, aller de couloir en couloir sans valise, et y trouver la paix.
Le silence n'était pas roi, une cacophonie peu ordinaire me suivait, une sorte de cocotte- minute de sons bizarres, des chansons de baladins et de contemporains, du classique, du jazz et pas de java. J'avais cette impression folle de voler de feuilles en feuilles, des rouges aux veines mandarine, celles qui se dessinent en automne.
Par moments, je trouvais l'endroit idyllique, romantique, si joli et quasi magique par l'évocation de toutes ses couleurs. Si ce lieu fût partage, il eût été mon Utopie, mais isolé entre rêve et réalité, qui pouvais-je inviter ?
Au lieu de cela, ces chênes étaient ma prison et j'avais peur d'y trouver ma tombe. Je devais me faire une raison, trouver de la logique à cette histoire, ne pas me plaindre de sentir mon cœur battre et recevoir ce florilège d'odeurs ensorcelantes.
Avais-je répondu à l'énigme ? Le temps vit en soi si on en a conscience. Mais avez- vous vu une montre à la patte d'une tortue ? Non, pourtant rien ne prouve qu'elle ne se trouve pas lente et qu'elle ignore le passage des minutes. Le temps, c'est ce cercle de particules qui tourne autour de l'univers et vous entraîne dans sa tourmente, années-lumière ou trou noir.
Ce sentiment pénible, mais si vrai, d'exister. D'être aussi puissant qu'une puce. Les quatre saisons sont bien plus que des ingrédients garnissant une pâte italienne, elles établissent des règles de circulation des airs sans droit de douane. L'unité absolue du temps n'a pas de lieu d'être, ici et dans les mondes parallèles, car au fond, dans le lointain, le temps n'a aucune importance puisqu'il est perpétuité et assassin...
Sortir d'ici et revoir un toit d'étoile. Les compter. Rester des heures la tête levée, absorbé par la curiosité de l'univers, immobile. Regarder en arrière, parcourir les milliards de kilomètres de notre passé commun en jetant un œil en l'air et découvrir la loi d'évolution. La vie est une lutte contre l'éternel recommencement, qu'est-ce que vivre ?
Ouvrir les yeux, se lever, déjeuner, s'activer, prendre un repas, rire, jouer, travailler, dîner, et enfin dormir. Attendre les lendemains et perdre ses forces, sa flamme. Les cernes, les rides, la vieillesse arrive, et on enfonce les clous ou brûle votre peau. Que vous soyez un numéro ou portant nom et prénom, vous n'êtes rien d'autre qu'un regard qui traverse le temps. Si simple et si beau...
J'étais dans une impasse, mes désirs s'amplifiaient, cruelle invitation à la lévitation qui eût pu sortir de ma volonté d'être vivant, mais qui me dérangeait par deux de ses aspects. Le premier : ce don n'était pas volontaire, et pire, la deuxième raison : l'action était totalement incontrôlée, ce qui offre son lot de stress et d'instants de panique absolue.
Je quittai les arbres à malices et m'offris le supplice d'un plongeon dans le lac. Pas plus de nuages que de nénuphars qui ne glissaient à la surface de ce miroir aux adieux, j'avais de la peine à croire que je gardais une conscience.
L'eau avait la transparence du béton, elle accueillait mon errance sans sourciller, pas une éclaboussure. Je marchai et allai plus loin, moi qui me croyais en fin de passage. Dommage que je n'aie pas eu de patins, je serais allé plus vite dans ma fuite en avant.
— Tu m'as appelé ?
Je n'en avais pas la moindre idée, avais-je parlé, crié, qui était cette voix ?
— Non.
— Tu es inquiet... pourtant, et je le répète, aucune tempête, pas de peur, toutes les réponses sont en ton cœur.
Miroir, folie, que se passait-il ?
Et ce refrain, ce désir d'île m'envoûtait. Que ce fantôme qui me connaît se montre, qu'il ose affronter la lumière de mon regard.
— Je suis là.
En effet, la fée toujours sur son oiseau perchée se tenait à mes pieds. Elle souriait et j'avais honte de ma conduite, de mon manque d'hospitalité.
— Je t'écoute...
Perdre ses repères, mourir ni de faim, ni de froid, être en sueur au fond de son malheur d'être un fruit unique. Je voulais quitter cet endroit pour respirer et m'offrir un café. Je pensais à Agnès abandonnée dans sa classe, otage de la bêtise humaine. Je pensais aux flammes et au destin. Drôles d'histoires que ces rencontres à répétition, comme si la vie était une partition écrite, dont le seul problème est de connaître le nom de celui qui tire les ficelles.
— Tu divagues ?
Et, vous n'allez pas me croire, je vis un mur de vague qui ôtait toutes raisons aux murmures de mes lamentations. J'avais de la peine, je me sentais idiot, faible, humilié...
— Ne pleure pas...
Pourquoi, si mon corps saigne, ne pourrais-je pas me couvrir de larmes ? La honte ?
— Moi aussi, je suis sensible, bien que née fée. J'ai des pouvoirs, et aussi le cri des violoncelles.
Une tourterelle ou une tour de Pise, offrez-moi un abri, un bout de terre que je puisse pisser dessus. Devant moi, la mer m'enivrait, ses côtes agitées glissaient ses messages turquoises ou émeraudes, j'avais des bleus à l'âme et la petite fée pleurait.
— Pourquoi pleures-tu ?
— À cause de tes souffrances, tu n'as pas conscience du mal que tu me fais.
À croire que nous étions en plein concours d'écorchés vifs, je m'excusai et la mer se calma. Petit à petit, les vagues perdaient de l'amplitude et le paysage retrouvait son calme. J'avais des envies de nuit et de lune ronde, comme certains ont des humeurs...
— Tu es bien curieux, mais je vais te répondre.
Comment pouvait-elle savoir ce que je pense, était-elle branchée sur ma fréquence ?
— Dix-sept !
— Quoi ?
— Idiot, visite !
— En combien de temps ?
Je croyais qu'elle allait s'éclipser, ne pas répondre.
— Le temps n'a pas d'unité, et aucune utilité. Regarde autour de toi, vois-tu des raisons de comptabiliser ?
À présent aucune, je m'étais égaré dans un conduit d'éternité et, le pire, je voulais en sortir, retrouver mes chaussettes sales, mon robinet saboté et mon univers de dessin. En pleine "auto conversation", ce monologue intérieur avait oublié ma compagne sur son cheval aux ailes dorées. La petite fée volait et portait son attention sur moi.
— Es-tu vivant ou mort ?
Comment pourrais-je le savoir ?
Jamais, je ne m'étais senti aussi vivant que dans les bras d'une femme, quand le désir vous sourit et que le temps s'absente, dans une douceur de soie ou de coton. Vivant, je respirais, non ?
— Tu n'as pas de corps, je te l'ai déjà dit.
Pas de corps, pas de cœur, je jouais à qui perd gagne. J'ignore qui je suis et si ce monde que je visite est un cachot, une fosse aux oubliettes ou un cauchemar récurrent. Je pense, donc j'essuie les plâtres...
— Euh! tu n'aurais pas une autre question ?
— Quel genre ?
— Je ne sais pas, deviner ton prénom ?
Qu'avais-je émis ?
L'hypothèse que, pour exister, il faille avoir une particule et pas des mandibules. Je mettais ma petite fée, celle qui me sauvait de mes peurs de solitudes, dans l'embarras. Je la vis faire trois tours sur elle-même et, souriante, presque aimante, je l'entendis dire :
— Puisque tu es si malin, donne-moi en un de prénom : pour toi ce sera mon nom.
Pas bête l'allumette, elle jouait et je ne devais pas l'agacer. J'observai sa silhouette et décidai de l'appeler :
— Tournesol.
Inutile de lui dire que sa présence était un soleil et qu'elle illuminait ma vie de maudit. Perdu dans mon égocentrisme, je n'avais même pas envisagé mon intérêt d'être, de parler, et de joindre l'utile à l'agréable, en combattant l'ennui. Voire de reprendre pied, de regagner la surface et de l'importance, il suffit de plaire à quelqu'un pour posséder ce sentiment, unique, d'exister.
— Oh joli ! Ce nom me plaît. Désormais je suis Tournesol, pour l'éternité !
Vivant, mon esprit se souvenait du passé à présent. Ce jour où je reçus mes premiers pastels, ces pâtes molles aux tons pâles, une feuille blanche et l'imaginaire qui entre en
action. Qu'avais-je dessiné ?
Mon vélocipède et un mur de fleurs près du cimetière. Maintenant, je me rappelle de tous ces instants de vie, anodins pour l'extérieur : une phrase, un mot, le regard fuyant. La perception de soi vis-à-vis des autres est souvent mauvaise. D'ailleurs, il est probable qu'il soit impossible de se faire comprendre des entités transversales, de ceux qui traversent votre vie, en parallèle ou en perpendiculaire. Pourquoi ?
Chacun préserve le gazon de son jardin secret, désire montrer les fleurs et cacher l'engrais.
Tournesol semblait heureuse de posséder une identité sonore, elle me suivait d'un sourire riche en complicité. Une amitié, peu ordinaire, naissait puisque j'étais incapable de savoir si j'étais vivant où mort. Si je réfléchissais un moment ? J'ai une conscience, puisque je raconte et que je cherchais à savoir où je me trouvais.
Cependant, et cette remarque me contrariait, je n'ai plus de notion de temps, et aucun besoin primaire. Pas de pipi ou de popo, rien. Ce qui m'invitait à croire que j'étais mort. Pourtant, sans corps, j'avais la perception, des réactions, des humeurs, une sorte d'entité lumière qui se déplaçait à la vitesse de ses idées. Génial diront certains, un super héros. Sauf que des problèmes innés, nés de cette situation actuelle se créaient. Lesquels ?
Aucun contrôle de mon milieu naturel, tout se transformait de manière irréelle. Le mot sacré est lâché : réalité. Est-ce l'image que l'on perçoit de son corps ?
— Je t'arrête tout de suite, ne cherche pas à comprendre et vis l'instant.
Facile à dire, petite fée, mais j'ai des projets, moi, de l'avenir, des dessins à créer et des desseins pour ma famille.
— Lesquels ?
— Eh ben, en créer une, tiens ! Je tire ma femme de cette odieuse prise d'otage et nous aurons des enfants.
— C'est si facile que cela à faire ?
— Pour un homme, oui, pour la femme neuf mois de transformation et une délivrance douloureuse.
Cette conclusion ne plaisait pas à Tournesol, je la vis disparaître sur son fier destrier. Où partait-elle ?
Était-elle la seule dans cet espace-temps si particulier ?
Non, je pensais qu'une solitude éternelle devait être pire que de mourir, condamné à la jeunesse éternelle, l'horreur. Moi, je pensais au balconnet d'Astrid. C'était encore et toujours lui qui m'avait fait perdre la tête. Cette femme possédait une poitrine maléfique qui
m'obsédait par ses mouvements tranquilles. Un trouble obsessionnel normal chez les garçons, paraît-il ?
Surtout je n'irais pas faire de la mauvaise psychanalyse et analyser ce phénomène de manière tri-perceptionnelle, l'enfant, le père et la mère. Et son complexe : celui de se baigner...
Difficile de ne pas devenir con quand on n'a même pas un miroir pour se parler, la vie devient un vase clos et, de loin, je préfère l'enclos des animaux : vache, chèvre, et dromadaire. Au moins, eux, ils discutent de la pluie et du beau temps.
Difficile de croire justement, que le temps influe autant sur notre humeur, nos nerfs sont paisibles ou agités les jours de rage où la misère crève le ciel à coups de boules. Un oncle me racontait, quand j'étais petit, que des dieux jouaient aux boules les jours d'orage, et je l'ai aperçue cette boule de feu qui scalpait ma grand-mère. Ses cheveux gris brûlaient et moi je me cachais derrière les manteaux ruisselants de gouttes d'eau. Ça tonnait et m'étonnait que ces adultes du ciel ne prennent pas la peine d'isoler leur terrain de jeu. La terre n'est pas virtuelle, que je sache ?
— Tu délires, Guillaume. Tu n'es pas capable de savoir si ton ego est mort ou vivant, et tu juges une ancre de la nature.
— C'est-à-dire ?
Elle était furieuse j'aurais dû l'appeler Annabelle, mais je me taisais...
— Tu as une vie et des envies, laisse les problèmes domestiques aux adultes, aux gardiens de la circulation.
— De la circulation ?
— Oui, la vie est une vulgaire circulation d'énergie et celle-ci n'est pas venue toute seule. Il a fallu la penser et croire en ses songes, si forts, qu'ils sont devenus des mensonges, ceux que vous appelez : Réalité.
— Tu es sûre ?
Alors là, je venais de couper un arbre de certitude. Elle était sciée.
— Il a fallu que vous les inventiez ces mots, sûr et sécurité, crois-tu que quelqu'un contrôle le hasard ?
D'essence timide, je comprenais bien ce que Tournesol évoquait, mais en était-il de même pour tout le monde ?
Là encore, n'ayant aucune réponse, je devins pierre tombale et attendis. Ce qui en soi est pratique ici, puisque aucune piqûre de rappel de l'écoulement planétaire n'était visible. Je n'avais qu'à attendre...
Disparu l'oiseau-lyre et sa fée, je restais dans ce point d'interrogation. Le hasard ?
Ce jeu de dé, il paraît qu'il suffit de placer une surface magnétique, une petite chape de plomb, sur une face pour faire des suites de six, mais quand l'on veut un un, ou un trois...
La terre a ses pôles magnétiques, se pourrait-il que nous soyons juste un dé, sous contrôle ?
— Tu raisonnes en homme, et ces pensées résonnent en moi.
Elle était revenue et je compris que rien ne lui échappait : elle était ma pluie et arrosait mon champ d'ignorance, cherchant sans savoir à éliminer mes mauvaises graines.
— Raconte...
Je m'attendais à une attaque de mots et ce fut une émotion indigo, ne me croyez pas fou. Mon horizon prit cette teinte, entre le bleu et le violet, et une droite d'un turquoise indicible éveilla ma curiosité. J'ignorais où se trouvaient le haut et le bas, mais les mouvements, l'agitation primaire du décor, venaient de la partie dite basse. Et des accords confus sonnèrent : cornemuses, guitares et contrebasse, une touche aiguë de piano... j'avais la berlue. La droite se décomposait en suivant les notes, et des formes aux allures rondes et rouges pourpres prenaient vie en pointillés et se regroupaient en tirets.
Une sorte de crabe araignée au regard glauque me fixait et j'étais loin de la touche finale. Je tremblais. Une onde secoua le tableau. Le fond immuable conservait sa couleur et deux traits épais, marron et cyan, naissaient devant mon regard troublé. Des roues, un engrenage émouvant qui bougeait et formait une ligne vague qui ondulait et ordonnait mon mal de mer. Au-dessus, des reflets fantômes mauve confus...
Tous mes sens étaient en éveil. Je n'avais jamais été père, mais voilà que j'assistais à une naissance de couleur émotion. Comment retranscrire, odeurs, tons, douleurs et son s?
Emporté dans un tourbillon de pensées, la petite fée me livrait son message. Je comprenais que tout est illusion, le ciel et l'eau, la terre et l'arbre, l'ours et le lapin. Je comprenais que la vie est un voyage qui ne nécessite aucun mérite et que les humains sont des adeptes de la complication. Pourquoi ne pas pleurer quand le vent caresse votre visage ?
La vie est un cadeau étrange et inutile, aussi incroyable que cela puisse paraître. Un jour l'ennui immobile du grand éclat blanc jaillit, il inventa son contraire : le noir. Noir et blanc complémentaires, fruits de lumières et de pigments, ses couleurs se décomposèrent et créèrent les spectres que l'on connaît : Rouge orangé, vert, bleu violet pour l'un et rouge, jaune, bleu, pour l'autre. Naissance du cœur lumière et du cœur matière, l'illusion et la réalité, le noir et le blanc.
Je posai une question :
— Tes invités, les dix-sept... Ils étaient humains ?
Un nuage d'orangé éclaira sa pupille, Tournesol resplendissait sans soleil et sans horizon...
— Bien sûr que non !
Ma curiosité s'installait. Qui étaient ceux qui avaient connu ce passage ?
Je devais savoir leur nom, adresse, numéro de téléphone et s'ils possédaient une carte de séjour...
— Tu es le deuxième humain et le premier homme.
Une femme avait franchi ce cap et défriché le chemin de la connaissance source. Qui était-elle ?
La fée me glissa une réponse :
— À l'époque de sa visite, je ne lui ai pas demandé son nom. Ce système de reconnaissance d'un individu m'était jusqu'alors inconnu.
La petite Tournesol semblait perplexe.
— J'apprends au fur et à mesure le futur, pour moi aussi le temps s'écoule, je suis semblable à tout le monde.
Une larme délicate et translucide coulait sur sa joue.
Derrière elle, un élan de curiosité m'aspirait. La métamorphose devenait de plus en plus spectaculaire, plus impressionnante que le déploiement de l'aube au large et ses effervescences ocres jaunes, turquoises.
Tout autour de moi devenait trouble et troublant, plus de teinte marron mais des effets de poussières de lumières bleues, mauves et grises, accéléraient mes pulsations. Du fond intermédiaire, il ne restait que deux carrés excentrés et un ciel. Le reste était des formes en folies et éclats d'émeraudes ou de rubis. Le bleu outremer semblait feindre l'horizon, et la tempête de couleur agissait sur mon âme. Chaleur et froid se succédaient. Une profusion de sentiments arrivait de ce puits intarissable et me rendait presque raisonnable.