אפרים (Efrayïm)
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אפרים (Efrayïm)
Il était une fois, un pauvre juif à une époque où la Terre avait pris les juifs en grippe avec plus de véhémence qu'à l'ordinaire, les accusant de lui voler ses richesses.
Notre pauvre juif n'y comprenait rien.
Il avait toujours été pauvre, ses parents, ses grands parents, et même l'antique babouchka dont il conservait les souvenirs avait été pauvres. Ses enfants partageaient sa misère et ses petit-enfants quand ils naîtraient partageraient la leur. La terre racontait partout que la nuit, les juifs glissaient leur long nez crochu sous les portes et s'en servaient comme d'un grappin pour raffler dans les coins sombres fourrures et bijoux jusqu'au fond des coffres les mieux clos, accumulant fortunes et biens au détriment du reste de sa progéniture.
Elle disait aussi qu'avec leurs doigts griffus, ils creusaient ses entrailles, lui arrachant son or, ce qu'elle permettait à tous, mais le gardant jalousement pour eux seuls, ce qu'elle ne pouvait tolérer.
Par le passé, elle s'était montrée bien trop magnanime, quand cette engeance avait fui les tyrans égyptiens. Allons donc ! Pharaon ne les auraient pas pourchassés sans motif sérieux ! Elle avait bêtement pris en pitié leur esclavage. Et comment lui avaient-ils rendu le service inestimable de leur sauvegarde ?
En se compromettant, que dis-je ?
En se rendant complices de l'assassinat d'un de ses dieux !
Ce qu'elle en était fière la Terre de ses dieux ! Elle en avait créé pléthore.
Alors me direz-vous, un de +, un de - ... Et bien non, justement, celui là, elle y tenait !
Et si elle avait feint le pardon si longtemps, c'est que sa vengeance mûrissait. Elle attendait son heure, car les juifs étaient insaisissables. A chaque fois qu'elle déployait ses forces contre eux, dans le but d'assouvir un légitime courroux, ils s'éparpillaient, se disséminaient un peu plus sur sa peau. Elle ne savait plus où donner de la tête. Elle les assimilaient à une colonie de cafards., toujours plus grouillants et prompts à la débandade. Et bien sûr, à des poux, lui suçant le sang.
Notre pauvre juif, appelons le Shlomo, trouvait, en y réfléchissant que la Terre était, mal informée. Pourquoi l'accusait-elle de tant de crimes ? Il mangeait à peine. Ses voisins ne déjeunaient pas plus gras que lui. Il aurait fallu être sôt pour croûler sous les trésors et sortir le ventre creux dans l'hiver.
Il avait aussi essayé de passer le nez sous la porte. Son appendice nasal en avait retiré quelques échardes. Un sérieux éternuement mais aucune des ses hardes ne s'y étaient accrochées malgré ses efforts arc-boutés. Il ne pouvait bien sûr, que dans les beaux quartiers, certains y parvinssent mieux que lui, que la rigueur et la rapacité du nez dépendissent de la proximité des choses de prix. Mais pour sa part, il ne connaissait aucun d'entre eux.
Il en avait parlé à son oncle, féru de sciences naturelles. Et celui n'avait pu se prononcer sur l'existence d'un tel phénomène d'adaptation. Shlomo était rentré chez lui sous la bise, en pensant qu'un tel nez, s'il l'avait possédé, lui aurait été bien utile ce soir là, enroulé autour de son cou en guise d'écharpe.
Le lendemain, il était allé voir le rabbin - autorité en matière de dieux. Le rabbin avait tout expliqué à Shlomo. Jésus n'était qu'un prophète et les romains, sans l'aide des juifs l'avaient liquidé proprement.
A leur tour, ceux qui se réclamaient de Jésus avaient tué beaucoup d'hommes. Car si les juifs étaient seuls responsables de la mort de Jésus, donc logiquement uniques ennemis des chrétiens, pourquoi ceux ci avaient-ils fait périr des musulmans barbaresques ? Des indiens idôlatres ? Des nègres fétichistes ? Jusqu'à des protestants, leur cousins en religion ?
Certes, ce n'était pas des dieux mais la quantité palliaient la qualité.
Une évidence s'imposait : le chrétien manquait de discernement.
Shlomo sorti de chez le rabbin, rassénéré sur la mémoire de ses ancêtres, mais inquiêt que la disparition d'un simple prophète ait pu déchaîné une telle hécatombe parmi des gens qui n'avaient jamais eu vent de lui, ni vivant ni mort.
Quand sa disparition prématurée était à l'origine d'un pareil fléau, quelles conséquences aurait pu avoir sa vie si elle avait duré ? La tête pleine de ces réponses qui posaient encore plus de questions, Shlomo était toujours aussi pauvre. Plus pauvre même que les autres pauvres juifs. Car Shlomo n'était pas seulement juif, il était musicien.
Vous savez que la musique dans l'existence est essentielle ?
Ca fait danser dans la joie, ça fait oublier la peine. Tout le monde aime la musique.
Malheureusement personne n'est prêt à en payer ni l'allégresse ni la consolation.
Tailleur, il eut gagné son pain. L'habit se râpe, se troue, on le rapièce. Il se retroue. Il tombe en lambeaux. Arrive le jour où il faut en changer ou aller nu, ce qui blesse la vue et nuit à la santé.
Le tailleur, même apprenti est indispensable. Au moins à son père pour lequel il coud les boutons et le ourlets.
Mais musicien, il y aura toujours un débutant, qui n'a pas encore de famille à nourrir qui donnera sa musique là où vous tâcherez de vendre la votre.
Le musicien professionnel est superflu.
Il coûte à son père quand il devrait l'entretenir. Pourtant le père de Shlomo ne lui reprochait rien. Il avait d'autres fils pour l'aider à bouillir sa soupe, et puis, il se sentait responsable de la situation de celui-là. Shlomo n'avait pas cinq ans quand il lui avait donné son premier violon.
Salomé ne partageait pas cette généreuse attitude. Salomé, vous l'aurez deviné, était la femme de Shlomo. Elle n'avait qu'un seul mari qui n'avait pas grand chose à jeter dans le chaudron. Quant à ce qu'elle se sente responsable de lui, c'était vouloir voir le monde à l'envers. Demander que les femmes tiennent le rôle des maris. Elle l'avait épousé parcequ'il jouait du violon comme personne. Il la faisait valser, voltiger, tourbillonner dans les fêtes et les mariages quand elle était encore, fille, jeune et sotte. Elle ne se souvenait plus si c'était Shlomo qu'elle avait choisi, ou son violon. Et maintenant, elle ne savait pas contre lequel des deux diriger sa plus grande rancoeur. Contre le talent impécunieux de l'un ou la valeur inutile de l'autre.
A tout prendre, le violon lui semblait plus coupable encore, que l'homme.
Sans violon, il eut été tailleur.
« Vends-le, lui serinait-elle, à chaque fois que Yhavé lui envoyait un nouveau fils. Seras-tu un si mauvais père que cet enfant-là ne t'attendrira pas plus que les autres ?
Vends cet instrument du Diable et nous vivrons dans un palais. »
Shlomo baissait la tête, prenait l'instrument en jurant à Salomé qu'il allait de ce pas le monnayer au plus offrant chez tous les luthiers de la ville. Et s'arrêtait dans la première taverne pour demander conseil à l'expéditeur de cette nouvelle bouche affamée, devant un gobelet de slibovitch. Pour le cas où vous ne le sauriez pas, la slibovitdi est un remède à base de prune contre les maux de conscience. Ce jour-là, Yhavé n'était pas très attentif aux tourments du pauvre Shlomo, car il fallut à celui-ci beaucoup de slibovitch pour établir la communication. A la fin, sortant de sa distraction, Yhavé daigna s'emporter contre lui.
« Comment, tempêta-t-il, tu voudrais vendre ce que ton père t'a légué, quand il tenait ce bien de son père qui le tenait lui-même du sien et ainsi de suite, depuis l'époque où j'ai voulu que les violons existent ?
Tu ferais injure à ta lignée, tu oserais t'opposer à la destinée que je t'ai choisie ?
Shlomo balbutiait :
- Ce n'est pas pour moi, Seigneur. Je suis habitué à la faim. Et ma Salomé, vous la connaissez. Si je peux me permettre, elle incarne la maigreur, un rien la gave. Seulement, elle me rend la vie impossible avec ce nouvel enfant. Elle n'a plus de lait depuis le dernier, il faudra payer la nourrice. Et les autres, Vous les avez dotés d'un appétit féroce. Il y a longtemps qu'ils ne se contentent plus de téter. Toujours à rôder auprès de la marmite, à rogner une croûte, à se battre pour un trognon de chou. Alors, j'avais pensé que pour celui qui va naître …
Tout là-haut, un tonnerre éclata :
- Tu craindrais plus ta femme que ton Dieu ?
Tu m'importunerais pour de vulgaires scènes de ménage ? Crois-tu gagner mon Royaume en te déshonorant dans les épreuves que je t'envoie ? Tu ferais mieux, au lieu de m'importuner de tes stupides jérémiades, d'apprendre la musique à ton cadet, puisque tu n'as pas obéi à mes ordres de l'apprendre à ton aîné, pas plus qu'à ceux qui l'ont suivi. Je te donne des fils que tu négliges et tu parviendrais presque à me fatiguer avec leur estomac !
Tu ne mérites pas le temps que je perds avec toi. »
Là-dessus, Yhavé était retourné à ses célestes occupations.
Shlomo comprit qu'il aurait autant de fils que Salomé pourrait en porter, tant qu'il ne ferait pas de l'un d'eux un musicien digne d'hériter de l'ancestral violon. 11 avait regagné sa masure. Salomé était venue à lui avec, en dot, deux bougeoirs en argent pour Shabbath. Sans bruit, il les avait sortis de leur niche, tout enchiffonnés, et les serrant sous son coude, était allé réveiller Elie, le prêteur.
« Es-tu gentil, avait crié Elie par la fenêtre, pour mépriser ainsi le sommeil d'un juif ?
-C'est Shlomo, aussi bon juif que toi, qui vient t'échanger deux bougeoirs en argent contre un violon.
Elie avait ouvert son guichet en bonnet de nuit.
- En argent, fit-il, tu te moques de moi. En fer blanc tout au plus.
- Je n'oserais pas me moquer, mais acceptes-tu l'idée d'un troc entre mes bougeoirs que tu dis en fer blanc et un tout petit violon, le plus petit de tous tes violons ? »
A Varsovie, la religion faisait meilleure recette que la musique. Elie revoyait Samuel, le père de Shlomo, lui soumettre vingt-cinq ans plus tôt une paire de bougeoirs presqu'identiques contre un instrument miniature. Il était heureux que les femmes aient de la piété. Il en restait toujours la trace au logis des fous qui choisissaient de faire de leurs garçons des misérables au lieu de les établir dans un bon emploi.
« Et comment s'appelle le chanceux destinataire de ce magnifique cadeau ? avait demandé Elie en posant sur le comptoir un violon d'étude et son petit archet.
- Efrayim, mon plus jeune.
- Bénis soient Efrayim et son père qui se séparent pour lui des ornements de la maison. »