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Place de la Préfecture

Place de la Préfecture

Veröffentlicht am 21, Juni, 2025 Aktualisiert am 21, Juni, 2025 Historical
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Place de la Préfecture

C’est un très vieux monsieur, attablé en terrasse, sous les platanes. Il fait chaud, au cœur de l’été, pourtant l’homme demeure impassible dans son costume strict. Les cris stridents des hirondelles couvrent le chant des cigales. Un musicien de rue gratte sans conviction sa guitare sur les marches de la préfecture.


Les murs clairs de l’édifice Empire reflètent un soleil aveuglant. Le vieil homme les regarde fixement. Muré dans ses pensées, il dédaigne l’assiette que lui a apportée le serveur. Il n’émet que de vagues monosyllabes en guise de réponses aux questions de la femme qui l’accompagne. Sa fille ? Sa jeune épouse ? Sa garde-malade ?


C’est elle qui poussait le fauteuil roulant lorsqu’ils sont arrivés sur la place. Du doigt, il a désigné la terrasse du Jérôme Bosch, sans même consulter la carte du restaurant, illustrée de peintures aux corps blafards, aux démons grimaçants, aux abîmes sans fond. D’un autre geste sec, l’homme a refusé une table ombragée pour être placé face à la préfecture. La femme n’a pas tenté de le contredire, il impose le respect.


Elle lui parle dans une langue étrangère un peu rugueuse. On ne comprend pas ce qu’elle lui dit, sans doute des banalités sur la pluie et le beau temps. Surtout le beau temps, tant la chaleur est écrasante.


Le vieillard n’est qu’à peine voûté. S’il pouvait encore se tenir debout, ce serait un très grand homme, à la silhouette sèche, aux traits anguleux. Il a dû être très impressionnant, très craint, très obéi. Quelques rares cheveux blonds, taillés très courts, parsèment son crâne marqué de taches de vieillesse. La lumière vive de la place ensoleillée contracte ses pupilles, rendant encore plus perçant son regard bleu.


La femme parle, elle le regarde, il ne répond pas. Elle finit son repas, allume une cigarette. Un mince souffle d’air chaud dirige la fumée sur le visage du vieil homme qui ne bronche pas. Seul le mouvement nerveux de sa main appuyée sur sa canne trahit une agitation intérieure. Ses doigts ridés massent le pommeau qui représente une tête de loup, une gueule menaçante ouverte sur des canines prêtes à mordre.


De l’autre main, il frotte machinalement une enveloppe jaunie posée sur la table. Le papier kraft achève de se dessécher au soleil, le passage d’un ongle suffirait à le déchirer.


La femme écrase sa cigarette, fait un signe au serveur pour demander l’addition. Elle lâche une phrase au vieil homme dont la main s’agite davantage. Le soleil est au zénith, écrasant toute la place de sa lumière intenable et de sa chaleur suffocante.


Sur un imperceptible signe de tête du vieillard, sa compagne se lève et commence à pousser son fauteuil. L’étrange couple se dirige vers la préfecture, s’immobilise à l’angle de l’édifice, là où une plaque de marbre est gravée de quelques lignes.


Le temps s’arrête. L’homme regarde fixement l’inscription. La femme ne sait que faire, debout derrière lui, le s’efforçant de dissimuler tout sentiment, scrutant le bout de ses chaussures. La scène dure une éternité. Toute la place semble figée. Les clients du restaurant chuchotent à peine. Même les hirondelles ont cessé leurs voltiges endiablées. D’une fenêtre ouverte, au dernier étage d’un immeuble voisin, s’échappent des chœurs d’enfants, des voix d’anges tombées du Paradis. Quelqu’un écoute le Requiem de Fauré.


Le vieillard tremble imperceptiblement. La femme jette des regards furtifs alentour, se sentant observée de toutes parts, gênée, pressée que cette attente se termine enfin. Le soleil dévore toute la place. Sa chaleur se reflète des murs, des pavés.


Au milieu de cette fournaise, un vieil homme en fauteuil roulant respire péniblement. Il tente de saisir un mouchoir au fond de sa poche. Il renonce, il toussote. Son visage, tout à l’heure si fier, est décomposé. Il s’agite et, très brusquement, ordonne à celle qui l’accompagne de quitter la place. Vite, plus vite. Leurs silhouettes s’évanouissent au coin de la rue.


Un faible souffle de vent vient renouveler l’atmosphère. Un mince nuage, égaré dans un ciel tout bleu, atténue un instant la lumière du soleil. Les hirondelles repartent en chasse. La terrasse du restaurant s’anime à nouveau.


Le serveur prédit pour la soirée une petite pluie qui fera du bien. Il entreprend de débarrasser les tables vides. Sur l’une d’elles, il découvre une enveloppe d’un autre âge, oubliée là par le client. L’homme est hors de vue, inconnu, introuvable. Le serveur hausse les épaules. Peut-être y a-t-il un indice dans l’enveloppe, un numéro de téléphone, la carte d’un hôtel. Non, ses doigts ne découvrent qu’une vieille photo. Une petite image en noir et blanc, jaunie sur les bords. Il reconnaît aussitôt la préfecture. Le bâtiment n’a pas changé, avec les années. Le photographe devait se trouver ici même où il sert les clients en terrasse. Même les arbres n’ont pas changé, leurs troncs ont juste épaissi.


Un groupe de soldats posait pour la photo, sur les marches de l’édifice. Détendus, souriants, sauf peut-être le plus grand, dont on distingue mal le visage dans l’ombre de sa casquette. Lui, c’était à coup sûr leur chef, respecté, obéi, craint. Au-dessus du groupe, sur la façade, un seul détail a changé. Là où l’on peut lire aujourd’hui le mot Préfecture était tendue une banderole indiquant Kommandantur.


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