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Chapitre 4: Le chien débarque, erre, grille

Chapitre 4: Le chien débarque, erre, grille

Veröffentlicht am 17, Sept., 2024 Aktualisiert am 13, Okt., 2024 Fan fiction
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Chapitre 4: Le chien débarque, erre, grille

—  Tu en penses quoi?

—  Pas mal, c'est vrai. Tu as payé ça combien?

— Deux cent trente, après négociation. Deux cent soixante prix catalogue, mais comme je ne suis pas un pigeon….

Déjà à vive allure, il accélère encore à l'entrée d'un virage.

— Tu vois comment elle accroche! Et regarde les phares: ils s'adaptent à la route, aux courbes, aux obstacles!

Il active une nouvelle fonction en caressant délicatement de la pulpe des doigts un écran monstrueux. Dans une illusion veine de tendresse et de désir qui ailleurs qu'ici se refusent à lui, il effleure la console, la presse à son emprise. Des lumières tamisées, lactiques et bleutées, enceignent les portières: l'ambiance cosy d'un bar lounge à la mode envahi de hipsters, de développeurs full stack, de jeunes ingénieurs. Une musique se déchaine. Un havoc maitrisé par une électronique au sommet de son art. Il titille à nouveau son substitut d'amour puis lâche le volant.

—  Sans les mains maintenant.

Il enchaine aisément trois lacets serrés. L'IA est efficace, parfaitement asservie à des capteurs d’avant-garde, radars et lidars, caméras sur-pixélisées, sondes inattendues toutes ici dévouées à glaner la moindre information. L’auto-proclamée intelligence affiche sa maîtrise de chaque trajectoire et des situations les moins prévisibles. Un réseau de neurones entrainé scientifiquement sur de puissants serveurs avec un jeu de données tellement gigantesque qu'aucun superlatif ne peut en rendre compte. Dépassés les méga, les terra, les giga. Les ronna, les quetta sont presque périmés. C'est une nouvelle échelle qu'il faut donc inventer.

Mais à bien regarder il manque un ou deux trucs assez insignifiants, une ou deux données molles, toutes fripées, toutes moisies. Mais absentes tout de même. L’IA ne connait pas les zombies mécaniques qui n'éclairent rien, les directions branlantes surtout douées pour tracer des arabesques impossibles sur des routes rectilignes, les pneus aussi lisses qu’un fond de poêle en téflon. Et Annie et François, l’IA les méconnait encore plus que le reste.

*****

«Sur ce dernier coup, ce n’est pas passé loin», se dit François. Il se demande encore comment Annie est parvenue à se maintenir sur la route. Entrant dans un virage à une allure folle, une grande courbe sise entre une falaise sombre et un canyon profond, il comprit rapidement que le jeu de gommes lisses allait avoir raison de la moindre adhérence.

Il se voyait déjà au fond de cet abîme de pins et de rochers, démembré, les viscères à l'air. Cerise sur le gâteau, un second véhicule déboula face à eux, une voiture récente, un modèle nouveau, strictement inconnu.

C'est l'autre véhicule qui prit l'initiative de la danse de couple de ce bal populaire, d'une valse à trois temps. Premier temps, évitement: il n'est pas très courtois de se précipiter avec vigueur et fougue sur sa cavalière. Second temps, rapprochement: bien que la cavalière apprécie l'attention elle ne peut se résoudre à cet éloignement. Troisième temps, contact: la cavalière percute avec son arrière-train son avenant cavalier qui se retrouve alors éjecté lourdement, incapable d'éviter le gouffre qui s'annonce. Action et réaction profitent donc à la belle qui sort du virage en redressant sa course.

—  Arrête!

François peine à crier. Il n'a plus de voix. Il est en sueur, il a la nausée. Il n'a pas la force de renifler pour se calmer. Il ouvre grand la fenêtre.

—  Ferme la vitre, ça me gêne, dit Annie.

Frustré, apeuré, malade, François perd ses défenses et se met à pleurer. Puis à paniquer. Puis à vouloir sortir. Puis à sortir. Il ouvre la porte du maudit tape-cul lancé à vive allure. Annie freine brutalement, zigzague sur cent mètres avant de filer droit sur cent mètres de plus, faisant crisser les pneus, les usant davantage, s'arrête enfin.

François vomit par la porte grande ouverte. Il la referme et attend la colère d'Annie, sans insulte, sans cri, chargée de mépris. Pourtant, elle ne dit rien. Après quelques minutes, ils reprennent la route. Annie s’oblige à la prudence, mais maintient une vitesse élevée.

La piste qu'ils suivent est fraiche. Il ne faut pas la perdre. Annie a renoncé à activer François et sa boite à souvenirs: elle l'a trop fait sur ces deux dernières heures. Il est totalement cuit. Elle n’attend, naturellement, aucun renfort. Comme à leur habitude, ils sont partis seuls, sans dévoiler à personne la moindre de leurs intentions.

Et l'enjeu c'est Claudine. Comment justifier une telle décision sans dévoiler à tous les capacités de François? Le système restera donc sur les conclusions pauvres, dénuées de fondements, des rapports officiels.

Pendant ce temps-là, une IA merveilleuse à la voix délicate, sensuelle, envoutante, appelle police secours, localise sans erreur le lieu de l’accident, longitude, latitude, degrés, minutes, secondes, omet de préciser que la profonde crevasse le rend inaccessible et que les passagers sont tous deux décédés dans la chute en hurlant.

*****

Robert mange avec calme, sans empressement. Il a faim, sans être affamé. Il doit prendre son temps. Il préfère profiter du moment de répit, de l'instant de certitude que lui offre ce repas. De son dernier instant, probablement. Le réveil fut brutal. Une fesse douloureuse, deux ou trois coups portés au visage par le plat d'une main habituée à cogner lourdement. Il ne fut pas surpris reprenant ses esprits, écarquillant les yeux, de voire Claudine à l'œuvre, sans sadisme apparent, mais avec savoir-faire.

Mais pour l’instant, il mange. A l'autre bout de la table, Claudine et Michel le regardent, en commissaires-priseurs en train d'évaluer la valeur d'un bibelot, d’une breloque inédite.

—  Que fait-on de lui, dit soudain Michel?

—  Je n’en sais rien, dit Claudine, c’est toi le spécialiste que je sache.

Michel se fend d'un "certes" laconique, une neutralité feinte, un peu surjouée, qui veut dire: «c'est bon je me démerde.»

—  Je vais quand même le laisser finir son repas, par pure civilité. Je ne suis pas un primitif. Je suis à peine une brute, dit Michel d’un ton neutre.

Robert garde son calme. Il n’est pas résigné. Il est pragmatique. Que peut-il faire de plus? Le repas est bon, autant en profiter: des crozets de sarrazin, des têtes d'asperges, vertes et blanches, crues et cuites, dans un contraste précieux, le goût de la crème crue, un arôme de vin jaune, un bouillon parfumé aux herbes et au jasmin, des bulbes d'aillette ciselés avec finesse pour relever le tout. Même de bon matin, ce plat si délicat ne peut que s'apprécier. Cet homme nommé Michel ne manque pas de talent. Il sait maintenant pourquoi il a pris tout son temps afin d’accommoder divinement, pour lui et pour lui seul, ce savoureux repas: ce doit être son dernier.

«On n’est peut-être pas obligé de faire ça», dit Claudine, par perversité, amour du jeu et de la réplique. Certainement pas par compassion.

—  Admettons, dit Michel après un temps très long.

—  Admettons?

—  Oui.

Claudine est étonnée. Celle-là, elle ne l’avait pas vu venir. Elle peine à pénétrer l'esprit de Michel, comprendre ses envies, sa logique, ses motivations.

—  Donc je repose la question, dit Michel: que fait-on de lui?

Maintenant, c'est Robert qui répond.

— Si je puis me permettre…rien. Tant que je reste à votre vue, sous votre contrôle, je ne suis pas un danger. Je peux être utile.

— A quoi? Et, pourquoi être utile? Souligne Michel, sournois.

Robert comprend que sa vie tient uniquement à quelques mots habiles, quelques formules claires, un raisonnement solide. Il faut bien se lancer.

—  L'histoire s'arrête donc ici?

Claudine et Michel répondent en cœur: «Quelle histoire?»

Et Robert d'énoncer son raisonnement, entrecoupant ses phrases de pauses ajustées pour laisser aux esprits le temps de réfléchir, mais trop courtes pour permettre le moindre temps de réponse. Il articule avec netteté, sans excès, réduit son débit, marquant des inflexions prononcées mais légères comme des notes de vanille dans une crème brulée.

«Eh bien celle qui se joue, tout de suite, là, maintenant. Ne me dites pas qu'elle est déjà finie? Vous savez que non. Cette histoire vous ne l'avez même pas lue, en tout cas pas jusqu'au bout. Elle est à raconter. Elle ne manque pas d'enjeux. Elle a besoin de temps, elle a besoin d'envies. Et elle a besoin d'hommes. Vivants de préférence. Mort, je suis un fardeau, un boulet à vos pieds. Vivant je deviens une opportunité. C'est à vous de choisir. Prenez le bon chemin»

Là, la pause est plus longue. Robert attend volontairement que Michel ou Claudine s’expriment à leur tour. Claudine cède la première. C’est ce qu’il espérait.

—  Quel...

Et Robert l’interrompt intentionnellement.

—  Le chemin de l'entraide, de la camaraderie. Une ressource utile à vos curieux desseins.

Il en a terminé, il n'a qu'à attendre. Claudine ne parlera plus. Par cette interruption, il l’a mise hors-jeu. Il ne reste que Michel, le fantasque Michel.

Michel éclate de rire! Un rire presque émouvant.

—  Ton ami est magique Claudine! Bienvenue au sein de l’équipe!

Claudine est sidérée.

—  Ce n'est pas mon ami, c'est tout juste une verrue à laquelle je me suis habituée.

Elle prend soudain conscience de ce qu'a dit Michel.

—  Et...de quelle équipe parles-tu?

«A ton avis! Mais chaque chose en son temps. Il est bientôt sept heures. La rosée n'est pas sèche. C’est le moment idéal pour partir en forêt, ramasser des herbes fraîches, un plein de champignons. Même des fraises des bois, c’est le début de la saison. Attendez-moi ici, je serai de retour d’ici trois heures environ. Une omelette, qu'en dites-vous?»

Les yeux écarquillés, Claudine reste silencieuse elle ne sait pas quoi dire.

Sans attendre, Michel enfile sur ses vêtements froissés, son lin et son denim portés depuis deux jours, un vieux pardessus gris d'où dépasse une serpette et un colt 45. Il est des champignons dont il faut se méfier.

*****

—  Je ne comprends pas Claudine, nous nous entendons bien, n'est-ce pas? Nous parlons tout le temps livre, nous échangeons nos vues sur les affres du monde, nous déplorons tous deux que nos valeurs communes soient tellement négligées!

—  Je n'ai aucune valeur et le monde je m'en fout! S'ils pouvaient tous crever. A part les brasseurs, les viticulteurs et les bouilleurs de cru: des mâles nécessaires.

Michel écoute discret cette conversation, tandis qu'il brosse avec soin sa cueillette de mousserons. Il rit intérieurement. Tel qu'il connait Claudine, il aimerait conseiller à Robert de lâcher prise, de ne pas insister. Dans une minute, il regrettera d'être resté en vie. Mais c'est irrésistible. Revoir Claudine ainsi, c'est une joie indicible.

—  Et les bouquins que je t'ai donnés, les textes que je t'ai écrits?

—  Jamais lu. Rien à battre. J'ai fait semblant.

—  Mais...

«Ecoute-moi merdeux, vieux dépôt d’excréments, ouvre grand les deux plateaux crasseux qui te servent d’oreilles: je me suis servi de toi! Rien ne m'intéresse en toi, ni ta tête de dindon, ni ton cul de cafard, ton corps trop mou trop gras, ni ton esprit malade, ni tes valeurs débiles, ni ton humeur maussade que tu crois envoutante, pauvre romantique de fond de cuve à purin. Tu écris comme un porc, tu pues la frustration, tu pues le smegma, comme un jeune puceau, un vieil impuissant ou les deux en même temps, ça c'est tout à fait toi. Oui tu pues plus que moi, et c'est vraiment un comble! Michel t'a adopté, ainsi soit-il. Tu es son clébard, tu ne seras pas le mien. Va te frotter à lui, libère moi l'espace, tu me donnes la gerbe!»

Elle y va plutôt fort se dit Michel. Il regrette de ne pas être intervenu. Cet homme a pris un risque afin de la secourir. Même si c'était stupide et, en réalité, inutile. En récompense, il se retrouve embarqué au cœur d’une sale affaire dont il ne sait rien encore. Et pour finir, il en prend plein la gueule. Il ne tardera pas à chialer.

Après une longue pause, Robert déclare enfin, d’une voix un peu tremblante: "Tu te trompes". Face au silence méprisant de Claudine qui refuse de répondre, il enchaine à nouveau, les yeux baissés, mi-clos:

«Non, je ne suis pas puceau. Oui, je suis frustré, c'est vrai. Pas tel que tu l'entends, mais qu'importe. Et je t'accorde autre chose: oui je suis bien trop laid, au dedans, au dehors, pour manquer à quelqu'un. Là, tu ne m'apprends rien.»

Il s’adresse ensuite à Michel tout autant qu'à Claudine:

«Au moins soyez certains que jamais âme qui vive ne partira à ma recherche. Si vous devez retenir un argument afin de m’épargner, retenez celui-là, au cas où, une fois encore, il vous viendrait à l'idée de m'éliminer.»

Claudine croise son regard, s’efforce de déceler cette lueur d’auto-apitoiement des hommes menteurs et manipulateurs. Elle ne la voit pas. Ce regard n'est pas là, elle en est convaincue. Ce pauvre gars pense sincèrement ce qu'il dit de lui. Quelle pitié. Claudine regrette tout son discours amer. Elle se lève brusquement, saisi sur la table un paquet de Gauloises avec trois cigarettes et un zippo rouillé, puis sort fumer sur le pas de la porte.

Par des mouvements toniques, circulaires et plongeants, Michel fouette des œufs, blancs et jaunes mélangés, dans une jatte en terre. Onze œufs exactement. Il doit se dépêcher, ils ne vont pas tarder.

*****

Allumant sa troisième et dernière cigarette, Claudine est attirée par une onde de poussière au loin, derrière la flamme dansante du vieux zippo brun-rouge: un conteneur à ordures sur des jantes étouffées par des pneus avachis arrive tombeaux ouverts. A maximum dix mètres d'un gros caillou saillant près de la maison, il freine brutalement. Sur le chemin de terre et de gravier à l'adhérence faible, il tarde à s'arrêter, percute le rocher. Les airbags se déclenchent masquant aux yeux de Claudine passager et conducteur. Elle rentre sans attendre à l’intérieur en ordonnant:

—  Il faut se casser, vite.

Michel, à ses fourneaux, répond sereinement.

—  Sers la table s'il te plait. Cinq couverts. Lave tes mains au préalable. L'eau du sceau est propre.

Il désigne par un mouvement de tête un sceau en châtaigné cerclé de fer piqué. La porte s'ouvre brutalement. Sans se retourner, Michel dit simplement:

—  Vous pourriez quand même frapper.

Annie pointe son arme en direction de l'homme qui vient de l’interpeller.

—  Tourne-toi, mains en l'air, doucement, pas d'embrouille, dit-elle fermement.

Robert se lève et commence à parler pour négocier.

—  Restons calme je vous prie...

Il est interrompu par François qui débarque impromptu, le nez ensanglanté, cassé par le choc de l'airbag. D'un coup de son taser appuyé sur le cœur, il maitrise Robert qui s’effondre lourdement.

—  Ce n’est pas son jour, dit Michel.

Il se retourne avec douceur, comme le demande Annie. Une fois face à elle, il lui dit tout sourire:

—  Bonjour sœurette.

Puis il regarde son frère:

—  Tu vois François, moi je peux l'appeler sœurette.

Dans la sidération, il s'empare du pistolet d’Annie, vide la chambre, retire le chargeur, le laisse tomber à terre, glisse l’arme sous son pantalon à la manière d'un jeune délinquant en recherche de virilité et d’assurance. Il y a dans ce geste puéril beaucoup de second degré et d’auto-dérision.

—  Maintenant que nous sommes tous là, j'aimerais manger, je n’apprécie pas l'omelette froide, ajoute-t-il enfin.

Il s’approche de la table, s’assoit et se sert. Annie reprend ses esprits et désigne Robert:

—  Et c'est qui celui-là?

Michel lui répond:

—  Un ami de Claudine, Il s'appelle Robert, Robert Daguet, c'est ce qui est inscrit sur son permis de conduire.

Robert Daguet, Daguet Robert, Dag'Robert

Claudine est atterrée.

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