Quelle(s) énergie(s) pour aujourd'hui et pour demain ?
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Quelle(s) énergie(s) pour aujourd'hui et pour demain ?
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Bref résumé de notre propos :
Dans cet article, nous étudions certains aspects des ressources énergétiques existantes. Plus précisément, nous nous focalisons sur les différents moyens de production d’électricité. L’article est organisé autour de trois parties :
- Présentation des énergies non-renouvelables ;
- Présentation des énergies renouvelables;
- Échange avec Maxence CORDIEZ, ingénieur dans l’énergie.
Ce qu’il faut retenir de nos recherches :
- L’utilisation des énergies non-renouvelables dans la production d’électricité reste très répandue et majoritaire, et ce pour des raisons de facilité de production ou encore de coût ;
- Les moyens de production liés aux énergies renouvelables sont nombreux ;
- Le déploiement des moyens de production renouvelables peut rencontrer certains problèmes : intermittence dans la production, incompatibilité avec certains sites géographiques, utilisation de matériaux très polluants lors de la conception des moyens de production, ou encore coût de production élevé ;
- Il est impératif de faire baisser les émissions de CO2 liées à la production de l’électricité. Ce qui induit qu’il nous faudra stopper - au plus vite - la surconsommation énergétique de nos sociétés afin de les rendre plus soutenables et cohérentes.
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L’année 2020 a été un déclencheur à bien des niveaux, et la syndémie de Covid-19 a remis en question tout un tas de fonctionnements qui paraissaient être inscrits dans le marbre depuis des lustres. Si le sujet du changement climatique n’est pas apparu l’année passée, il s’est encore davantage imposé comme faisant partie des urgences à traiter. Comme nous l’avons vu dans le précédent article, la place des émissions de CO2 est centrale en ce qui concerne les bouleversements climatiques que nous connaissons et qui vont nous être de plus en plus familiers. Dès lors, certaines questions récurrentes viennent et reviennent sur le tapis, à savoir : « quels sont les secteurs les plus émetteurs de CO2 », et « comment agir pour limiter ces émissions ».
Le secteur de l’énergie est l’un des domaines régulièrement pointés du doigt. Si les problèmes liés à notre surconsommation énergétique sont évoqués depuis relativement peu de temps dans l’espace médiatique français, certaines personnes s’y intéressent elles depuis un certain temps (à l’image de Jean-Marc JANCOVICI). Par ailleurs, le fait que des experts sur le sujet énergétique soit de plus en plus sollicités par les médias démontre que l’intérêt de ces derniers évolue à ce propos. Cependant, quiconque débute ses recherches pour en savoir plus sur les liens entre la production énergétique et le changement climatique est tout de suite noyé sous des termes renvoyant (parfois ? souvent ?) au « greenwashing » (« écoblanchiment » dans son variant français) : « zero-carbone », « énergies vertes », « zéro-fossile », ou encore « free-carbone ».
Mais l’énergie, qu’est-ce que c’est ? Dans sa définition physique, cela représente « une mesure de la capacité d’un système à modifier un état, à produire un travail entraînant un mouvement » (comme cela est expliqué par le Bureau international des poids et mesures). Et à quoi est-ce que cela nous sert ? L’énergie, de par ses propriétés (production de chaleur, alimentation d’un moteur, etc.) nous permet de faire absolument tout : nous déplacer, travailler, nous chauffer. Ou pour être plus catégorique : cela nous permet de vivre. Dans ce papier, on s’intéressera principalement aux différents moyens de production d’électricité : nous aborderons tout d’abord les moyens de production non-renouvelables, puis dans une seconde partie les procédés renouvelables, et enfin la dernière partie de cet article sera consacrée à l’interview de Maxence CORDIEZ, ingénieur spécialisé dans le domaine de l’énergie, qui a eu la gentillesse de répondre à nos questions.
Les énergies non-renouvelables (NR)
Dans un cours disponible en ligne sur la plateforme de l’Université de Valenciennes, la catégorie des énergies non-renouvelables (NR) est scindée en deux parties : les combustibles fossiles (qui émettent beaucoup de CO2) et l’énergie nucléaire (qui en émet peu).
Tout d’abord, que sont les combustibles fossiles ? Selon la plateforme Universalis, ce sont des restes d’organismes végétaux ou animaux. Ces derniers se sont transformés en fossiles riches en carbone au cours d’un processus de méthanisation de plusieurs millions d’années (jusqu’à 600 voire 700 millions d’années). Ces organismes se sont lentement dégradés et transformés jusqu'à devenir du charbon, du gaz ou du pétrole. Contenant une grande quantité de carbone, ces fossiles rejettent cet élément dans l’air au moment de leur combustion, opération permettant la production d’énergie. Toujours selon Universalis, le fonctionnement des machines qui servent au quotidien l’humanité est assuré à 90% par les combustibles fossiles. Pour sa part, la société EDF ajoute que la part de ces combustibles dans la production mondiale d’électricité est plus ou moins équivalente aux deux tiers. La limitation de leur utilisation reste un objectif de taille : dans un monde où la demande en électricité est croissante, l’Agence Internationale de l’Énergie estime que cette dernière pourrait augmenter de 30 à 40% en 2030.
Passons ensuite à l’énergie nucléaire. La production de cette dernière est permise par un procédé dit de « fission nucléaire » dont voici la définition donnée par l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire :
« la fission consiste à projeter un neutron sur un atome lourd instable (uranium 235 ou plutonium 239). Ce dernier éclate alors en 2 atomes plus légers. Cela produit de l’énergie, des rayonnements radioactifs et 2 ou 3 neutrons capables à leur tour de provoquer une fission ».
Ce processus de réactions en chaine permet de produire une grande quantité d’énergie, et c’est ce dernier qui est donc utilisé dans toutes les centrales nucléaires françaises. Les avantages de l’énergie nucléaire sont conséquents : la production d’électricité est possible en grande quantité et peut-être ajustée en fonction de la demande, et elle est également très peu émettrice en CO2 (environ 6 grammes de CO2/kWh selon la Commission Nationale du Débat Public). Du côté des inconvénients, la non-durabilité de l’exploitation des mines d’uranium (élément indispensable au procédé de fission nucléaire) est un point problématique, ainsi que les déchets (radioactifs) produits par la centrale durant son activité.
Les énergies renouvelables (EnR)
Les énergies renouvelables sont très régulièrement évoquées dans la presse comme étant la solution au changement climatique. Mais quels sont leurs modes de production ? Voici la liste dressée par l’Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) :
- l’énergie hydroélectrique : qui dépend du cycle de l’eau et représente la plus abondante énergie renouvelable terrestre. Cette énergie est produite dans des centrales hydroélectriques (voir photo), qui sont découpées en trois parties (le barrage qui retient l’eau, la centrale qui produit l’électricité, et les lignes électriques qui permettent l’évacuation/la distribution de l’énergie électrique). La production d’énergie par le biais de l’hydroélectricité est fiable, conséquente, et propre. Le seul moment où l’on relève des traces de pollution, c’est au moment de la construction de la retenue d’eau matérialisée par un barrage (souvent) en béton ;
- l’énergie éolienne : pour produire de l’électricité à partir de l’éolien, il faut du vent. Les éoliennes sont donc placées dans des lieux stratégiques, là où il est censé y avoir du vent régulièrement. Ces zones géographiques sont choisies pour leur variation de températures et pour leur pression atmosphérique particulière, éléments indispensables aux mouvements d’air. L’éolienne n’est autre que l’évolution moderne du moulin à vent, encore massivement utilisé au siècle dernier. Parmi les avantages de l’éolien, on pourrait avancer le fait que ce mode de production d’électricité n’émet pas de CO2 et ne nécessite pas de carburant pour son fonctionnement. Concernant les inconvénients, l’intermittence de cette ressource est régulièrement pointée du doigt ainsi que son impact environnemental (si l’on prend également en compte la pollution causée lors de sa fabrication et de son recyclage comme le mentionne cet article de Reporterre) ;
- l’énergie de la biomasse : cette dernière a deux typologies. La biomasse par combustion, et la biomasse par méthanisation. Dans le premier cas, l'énergie est créée grâce à la combustion de différentes matières (bois, végétaux, etc.), cela menant à la production de chaleur et d’électricité (procédé de cogénération). Pour la biomasse par méthanisation, les déchets sont tout d’abord transformés en biogaz (composé de méthane) suite à un procédé de fermentation, et ce biogaz est ensuite brulé. La biomasse est vantée pour son caractère renouvelable, mais elle est également décriée pour certaines raisons : elle rejette du CO2 et le coût de fonctionnement de ces centrales peut-être assez élevé ;
- l’énergie solaire : la production d’électricité via ce procédé est permise par les panneaux photovoltaïques qui captent la lumière émise par notre soleil. La mise en place de ce mode de production d’électricité est intéressante dans les régions où le facteur ensoleillement est fort. Ainsi, des parcs de panneaux solaires ont été mis en place dans certaines régions arides, comme le montre l’exemple du parc de Villanueva dans l’Etat du Coahuila au nord du Mexique où sont disposés sur le sable 2,3 millions de panneaux photovoltaïques. Ce moyen de production ne rejette pas de CO2 durant son fonctionnement. Mais tout comme pour les éoliennes, c’est surtout sa fabrication et son recyclage qui font - pour l’instant - le plus débat (sujet également abordé dans la revue Reporterre) ;
- la géothermie : ce moyen de production exploite l’eau chaude des nappes situées dans les sous-sols de la Terre.
Selon EDF, « la température des roches augmente en moyenne de 1 °C tous les 30 m de profondeur ».
La centrale active française la plus réputée est située sur le site de Bouillante en Guadeloupe. Ses avantages sont nombreux : peu émettrice de CO2, aucun déchet émis après utilisation, et aucune dépendance aux conditions atmosphériques. Les conséquences du forage (constatées dans une minorité de cas) ou encore le coût de production de l’électricité sont parmi les quelques désavantages de ce moyen de production d’énergie ;
- les énergies marines : désignent principalement les hydroliennes ou usines marémotrices. Ces procédés exploitent les flux énergétiques des marées et des courants maritimes. EDF précise que « seule l'usine marémotrice de la Rance (Bretagne) […] produit de l’électricité de façon industrielle à partir des énergies marines. […] (Cela) produit annuellement l’équivalent de la consommation en électricité de 225 000 habitants, soit la ville de Rennes ».
Interview de Maxence CORDIEZ
Crédit photo : Pascal Perrichon
Désirant en savoir plus sur l'énergie, nous nous sommes tournés vers Maxence CORDIEZ qui est ingénieur dans le secteur de l'énergie et également enseignant à l'Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Maxence intervient de façon régulière (dans des médias comme les Echos ou le Figaro) sur le sujet avec une grande précision et beaucoup de pédagogie. À nouveau, nous le remercions pour le temps qu'il a consacré à répondre à nos questions.
Questions personnelles, en rapport avec vos convictions :
- Qu’est-ce qui vous a motivé à travailler dans le secteur de l’énergie ?
À l’origine, je suis ingénieur chimiste spécialisé dans le cycle du combustible nucléaire. Ce sont les sciences et techniques, ainsi que les enjeux environnementaux et stratégiques, qui m’ont attiré en premier vers ce secteur. Pendant mes études, ma vision des questions énergétiques restait cependant très limitée et, tout en sachant que l’énergie nucléaire était bas carbone, c’était surtout la technique qui m’intéressait. Une fois mes études terminées, j’ai commencé à m’intéresser aux questions énergétiques plus largement, sous un angle systémique. Comme pour beaucoup de monde, ce sont les travaux de vulgarisation de Jean-Marc Jancovici qui m’ont initialement amené à m’interroger sur ces questions. J’ai ensuite approfondi ces sujets en lisant de nombreux livres, rapports et articles, pour essayer d’en retirer une vision systémique qui fasse sens. Cela étant cette démarche relève de la curiosité et d’un intérêt personnel pour les questions énergétiques. Peu d’organismes sont sensibles aux approches systémiques, même si ça commence à changer.
On ne parviendra pas à sortir des combustibles fossiles si on sous-estime le rôle majeur qu’ils occupent dans nos sociétés et modes de vie. Pour proposer un changement qui ait une chance d’aboutir et de faire une différence pour le climat, il faut essayer de prendre en compte le mieux possible les contraintes s’exerçant sur le système pour en anticiper les conséquences et y répondre.
- En tant qu’acteur de ce secteur, que pensez-vous de l’écologie en général (en tant que mouvement, idéologie, mode de vie, etc.) ?
Vaste question. Étymologiquement, l’écologie est la science de l’habitat. En pratique, les questions écologiques sont à la confluence de nombreuses disciplines scientifiques (biologie, physique, sciences du climat, météorologie, chimie…) et sociales (philosophie, économie, sociologie, etc.). Cela rend les questions écologiques particulièrement délicates à traiter et non manichéennes. Il ne suffit pas de dire « c’est facile, il n’y a qu’à arrêter de consommer des combustibles fossiles », alors que ceux-ci alimentent les machines dont la production sépare notre mode de vie de celui que nos ancêtres pouvaient connaître avant l’arrivée de la machine à vapeur il y a plus de deux siècles.
Ce n’est pas parce que les questions écologiques sont scientifiquement, techniquement et socialement complexes qu’il faut les trivialiser en une idéologie. Au contraire ! Si vous avez une maladie particulièrement grave et complexe à soigner, vous ne voudrez pas que votre médecin fasse preuve d’idéologie mais qu’il active toutes les connaissances à sa disposition pour maximiser les chances de trouver le chemin de crête menant à la guérison. Pour les questions environnementales, c’est un peu pareil. Et c’est pour ça que je suis méfiant vis-à-vis de l’activisme, qui tend souvent à faire l’économie de la compréhension des sujets dans leur complexité pour proposer des solutions simplistes et vendeuses auprès des militants, mais parfois contreproductives. Aujourd’hui, on assiste à un paradoxe. Les enjeux écologiques (dérèglement du climat, effondrement de la biodiversité…) sont de plus en plus pressants. Cela inquiète à juste titre une partie de la population, par ailleurs peu compétente sur les solutions à apporter à ces problèmes. Et cela peut conduire à promouvoir des mesures venant aggraver le problème. Par exemple, la Belgique prévoit de sortir en 2025 du nucléaire – énergie bas carbone assurant aujourd’hui la moitié de son approvisionnement électrique – ce qui va la contraindre à accroître, plutôt que diminuer, sa dépendance au gaz fossile importé, en augmentant ainsi ses émissions de gaz à effet de serre.
Pour reprendre l’analogie médicale, être concerné par une maladie doit pousser à solliciter un (voire des) médecin, à être exigeant et à suivre leurs prescriptions, ça ne doit pas conduire à s’improviser soi-même médecin. C’est pareil pour l’écologie : les citoyens sont en droit d’exiger de leurs élus qu’ils se saisissent sérieusement des problèmes environnementaux et de demander des comptes sur les résultats (ou leur absence), mais ils doivent faire preuve d’humilité vis-à-vis des moyens à activer hors de leur champ de compétences. Selon la personne et le sujet, l’écologie peut donc désigner plusieurs choses. C’est un ensemble de connaissances scientifiques concernant l’environnement, ce sont aussi des enjeux découlant des modifications de l’environnement (climat, biodiversité…), des comportements ou encore des postures politiques ou économiques. Et on trouve de tout dans cette dernière catégorie : des gens compétents, honnêtes et ayant la volonté d’agir, des gens incompétents, honnêtes et ayant la volonté d’agir (l’honnêteté n’empêchant pas de défendre des positions contreproductives !) et enfin des gens compétents ou non et qui instrumentalisent adroitement l’environnement pour défendre un agenda tout autre.
- Vous sentez-vous écologiste ? Et si oui, comment est-ce que cela prend forme dans votre quotidien ?
Je tâche d’accorder mes actions à ce que je dis mais je ne prétendrai pas être un exemple. Si je mange peu de viande de ruminant, tâche de ne pas prendre l’avion (du moins pour raisons personnelles), privilégie autant que possible les transports en commun (etc.), je possède une (petite) voiture et je ne suis pas végétarien. Je ne suis ni plus ni moins « vertueux » que les autres. Je tâche d’expliquer les enjeux environnementaux et de société dans mon domaine de compétences (l’énergie) et de proposer des solutions. L’ampleur de l’effort à fournir est tel qu’il faudra aller bien au-delà des actions isolées. Peu de gens sont prêts à consentir d’importants efforts et même pour ces gens-là, le fait que ces efforts ne soient pas partagés peut être décourageant. Pour l’essentiel de la population, il sera difficile, sans une forme ou une autre de contrainte, d’aller au-delà d’actions telles qu’éteindre la lumière en quittant une pièce. C’est pourquoi je crois davantage dans les règles touchant tout le monde. Par exemple, si on décide de plafonner et faire décroître dans le temps la consommation de carburant au km (ou les émissions de CO2/km) des voitures neuves, l’effort sera réparti, plus acceptable et efficace.
- Avez-vous une opinion sur les revendications décroissantistes émises par certaines personnalités ou scientifiques dernièrement ?
Je n’aime pas beaucoup ce terme que je trouve assez moche et, peut-être à tort, un peu méprisant. Cela dit la question est moins de vouloir ou non la décroissance que de comprendre que pour des questions de limite des ressources fossiles et de nécessité de réduire les émissions de CO2 (donc la consommation de combustibles fossiles), on ne peut physiquement pas y couper. L’énergie que l’on consomme sert à transformer notre environnement en biens et en services. Les progrès d’efficacité sont réels mais ils ont leurs limites. Par exemple, plus un système s’approche de son rendement théorique et plus il est difficile d’en faire progresser l’efficacité. Or, bien qu’abondantes, les ressources fossiles qui répondent encore aujourd’hui à 80% de la demande énergétique mondiale ne sont pas infinies. Notre consommation de combustibles fossiles a augmenté ces deux derniers siècles et indépendamment du climat, elle finira par décliner qu’on le veuille ou non, entraînant la production de biens et services, et donc le PIB.
La question est donc surtout de savoir si on attend de subir cela (avec un climat fortement perturbé) ou si on anticipe par de la sobriété. Si la pauvreté et la sobriété conduisent toutes deux à des économies d’énergie, la différence est de taille. Dans le premier cas on ne choisit pas ce que l’on abandonne, on le subit au fur et à mesure. Dans le second cas on choisit ce sur quoi on est prêt à faire des concessions pour conserver plus longtemps ce qui semble important. Par exemple, le premier cas pourrait être l’impossibilité de faire le plein de votre voiture par manque d’argent, et le second serait l’impossibilité d’acheter une grosse voiture puissante. Dans le second cas, vous avez économisé de l’énergie non pas sur la mobilité et de façon forcée mais sur une partie du confort de la mobilité individuelle (et vous avez ce faisant préservé, au moins pour un temps, la mobilité).
- Considérez-vous que nous consommons trop d’énergie ?
C’est indiscutable dans le sens où on ne parviendra pas à décarboner notre consommation énergétique à son niveau actuel avec les seules alternatives aux combustibles fossiles. Pour rappel, l’essentiel de la hausse de la consommation énergétique au niveau mondial a encore été assurée par les combustibles fossiles en 2018. Les énergies non fossiles n’arrivent même pas à absorber ne serait-ce que la moitié de la hausse de la consommation énergétique mondiale. Alors de là à prendre des parts significatives aux usages actuels des combustibles fossiles… Une fois qu’on a dit ça, la question reste très complexe et varie beaucoup selon les pays. On ne peut pas refuser de voir la consommation énergétique par habitant augmenter dans certains pays pauvres alors-même que nous consommons beaucoup plus. Les efforts doivent venir en priorité des pays riches. Et plus nous développerons d’énergies alternatives et plus nous pourrons garder d’usages de l’énergie. Mais dans tous les cas, des économies d’énergie très significatives devront être consenties, surtout dans les pays riches.
C’est pourquoi refuser le nucléaire sous prétexte que ça éviterait de faire des économies d’énergie me semble aberrant. Déjà le but n’est pas de faire des économies : c’est une nécessité pour lutter contre le changement climatique. Ces économies seront très difficiles à faire accepter en tirant parti de toutes les alternatives aux combustibles fossiles, elles le seront d’autant plus si nous réduisons encore l’éventail des énergies disponibles. Refuser une énergie bas carbone aussi importante que l’énergie nucléaire dans ce contexte revient à se tirer une barre dans le pied avant de commencer le marathon de Paris. Si avec vos deux pieds vous avez déjà peu de chances d’arriver premier, sur un pied ça ne va pas être plus facile…
Questions en rapport avec votre activité professionnelle :
- Ces dernières années, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une diminution de l’utilisation des centrales nucléaires au profit des « énergies renouvelables (EnR) » comme l’éolien ou le solaire. Que pensez-vous de ces revendications, et pensez-vous que notre mode de consommation énergétique soit compatible avec une production énergétique « 100% énergies renouvelables » ?
Je pense que ça illustre ce que j’exprimais tout à l’heure : la confusion entre une inquiétude légitime vis-à-vis de l’environnement et des propositions de solution en déphasage avec les causes de ces inquiétudes. Les énergies dont l’usage augmente le plus au niveau mondial sont les combustibles fossiles. Même en France, les carburants pétroliers constituent la première énergie finale. Le nucléaire ne représente que les trois quarts de l’électricité, elle-même représentant un quart de l’énergie finale du pays. Il ne faut pas se tromper d’objectifs : pour le climat et notre sécurité énergétique face à l’épuisement des ressources fossiles, l’urgence est de sortir des combustibles fossiles (pétrole et gaz, la France utilisant très peu de charbon). Pour cela nous aurons besoin de toutes les énergies bas carbone, en particulier celles qui, comme le nucléaire, sont disponibles à la demande et ne dépendent pas des conditions météorologiques, de l’heure et de la saison.
Concernant la possibilité d’atteindre un futur « 100% renouvelable », tout est possible sur le papier, mais il faut avoir conscience des contreparties que cela impose. Sortir des combustibles fossiles en acceptant le nucléaire demandera déjà de grands efforts de sobriété, dont il n’est pas garanti que la population les accepte sans rechigner. Si on refuse ou qu’on limite arbitrairement le nucléaire, les efforts de sobriété à fournir seront encore plus importants et donc les chances de rater nos objectifs climatiques élevées.
Enfin, on a tendance à idéaliser les énergies dites « renouvelables », en oubliant que toute énergie a des inconvénients (différents) et qu’aucune énergie n’est « verte » ni « propre ». Les biocarburants et le solaire photovoltaïque ont une emprise au sol par kWh très élevée par rapport aux combustibles fossiles, or l’artificialisation des sols est une des causes de l’érosion de la biodiversité. L’éolien et le solaire photovoltaïque demandent beaucoup plus de cuivre (métal présentant une criticité géologique) que les énergies fossiles et nucléaire. Si le gisement énergétique n’est pas le problème pour le solaire et l’éolien, récupérer cette énergie induit d’importants besoins en matériaux. Cela ne veut pas dire que toutes les énergies se valent écologiquement parlant, mais qu’il ne faut pas tomber dans un manichéisme avec d’un côté des énergies « vertes/propres/sans impact » et de l’autre côté des énergies « sales ». La réalité est plus nuancée et si le nucléaire a ses défauts (très capitalistique, besoin d’autorité de sûreté crédible, acceptabilité sociale…), les énergies renouvelables en ont aussi.
- Quelle place devrait avoir, selon vous, les EnR dans un avenir proche dans le mix énergétique français ?
La question ne devrait pas porter sur les énergies renouvelables, qui sont des moyens (parmi d’autres) et non pas une fin en elles-mêmes. Le but est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, donc la consommation de combustibles fossiles, jusqu’à atteindre la neutralité carbone. Cela supposera de développer les énergies bas-carbone, en substitution et pas en plus des usages actuels des combustibles fossiles, ni en substitution d’autres énergies bas carbone. En parallèle, d’importants efforts de sobriété et d’efficacité devront être consentis.
Enfin, il faut faire attention à ne pas limiter sa réflexion à ce qui est médiatique. De nombreuses énergies bas carbone « renouvelables » dont on parle moins que le solaire photovoltaïque et l’éolien auront un rôle important à jouer dans la transition : pompes à chaleur, biogaz, géothermie, solaire thermique…
- Le cas d’un de nos voisins, l’Allemagne, a beaucoup fait parler à la suite de l’ouverture d’une nouvelle centrale à charbon au printemps dernier (la centrale de Datteln 4). Pensez-vous que la France puisse être concernée par un retour au charbon si elle diminue la part du nucléaire dans la production française d’électricité ?
Je ne pense pas car si la France a fait le choix du nucléaire par rapport au charbon dans les années 70, contrairement à l’Allemagne qui a gardé une part importante de charbon dans son bouquet électrique, c’est avant tout parce que la France n’a plus guère de réserves de charbon économiquement exploitables. Le peu de charbon encore utilisé est importé. Donc si la France réduit son parc nucléaire, il est plus probable que lorsque des tensions émergeront par manque de capacités électrogènes disponibles à la demande, elle décide plutôt de construire des centrales à gaz. France Stratégie a d’ailleurs publié très récemment une note intéressante au sujet du manque croissant de capacités pilotables en Europe, et notamment en Allemagne, Belgique et France[1].
- De nombreux projets sont actuellement à l’étude afin de trouver une source d’énergie peu ou pas polluante avec un fort potentiel de production (je pense à ITER entre autres). Si vous deviez essayer de le deviner, quel serait l’avenir des centrales nucléaires telles que nous les connaissons à moyen voire long terme ?
Iter est un démonstrateur. La fusion nucléaire ne sera pas disponible avant a minima quelques décennies. Elle pourra peut-être alors être utile, et c’est pour ça qu’il est important de poursuivre les recherches, mais l’urgence climatique c’est maintenant. Il faut donc faire nos plans de décarbonation avec les technologies disponibles aujourd’hui, dont la fission nucléaire. Si de nouvelles technologies émergent plus tard, il sera toujours temps de les intégrer pour faire mieux, plus rapidement, etc. Mais compter dessus avant qu’elles ne soient prêtes et aient fait leurs preuves à large échelle serait risqué. C’est valable pour la fusion nucléaire mais également pour toutes les technologies (notamment de stockage énergétique) non encore démontrées à large échelle.
David TIXIER