Écoute. Je ne vais pas te servir un verre de prose sirupeuse. On a 40 ans passées. C'est l'âge où tu réalises que tu as passé la moitié de la course à déconner avec la ligne d'arrivée en vue. Si on est chanceux, il nous reste trente, peut-être quarante ans de lucidité avant la maison de retraite ou le chaos biologique. Trente ou quarante ans, c'est ce qu'on vient de passer à faire n'importe quoi.

Si tu lis ça, c’est que j’ai choisi de ne pas t’envoyer un message froid et numérique, quelque chose qui se perd au milieu de sms, d’autres prétendant, de mails des factures et des spams. Je voulais que tu aies l'odeur du vrai, du papier, de l’encre qui a séché sur cette page. Je voulais que tu saches que j'ai pris le temps, à la main, de coucher ces mots. Parce que ce n’est pas un caprice, c’est une chose sérieuse, et cela mérite d'être tenu.

Regardons les choses en face : on a merdé. J'ai merdé, t’as merdé. Les tromperies, les négligences, les gammes d'erreurs classiques qui font de nous des archétypes. J'ai pas été parfait, t u as eu tes moments. On s'est fait du mal. Mais il y a une chose qui persiste, comme une mauvaise habitude qu'on n'arrive pas à décrocher : la chimie. Les bons moments. Cette merde qu'on ne trouve nulle part ailleurs, même si on a des avis de clocher sur l'éducation des gosses et le sens de la vie.

Les divergences d'opinions, la routine... c'est la vie, pas un roman à l'eau de rose.

Le fond de l'histoire, c'est ça : on a gaspillé le temps qu'on avait pour construire les fondations. On a encore le temps, tout juste, pour bâtir quelque chose de solide avant que la sonnerie ne retentisse.

Tu peux passer les prochaines décennies à chercher la perfection sans aspérité, ou tu peux revenir à la bataille avec moi. Le temps est devenu une ressource limitée, et je ne veux plus le dépenser à chercher une meilleure histoire quand la nôtre, même foutue, est la seule qui vaille la peine d'être lue.

J'ai vu ce que c'est, la vie sans toi. Et honnêtement, je n'ai pas l'énergie pour un nouveau départ, pour recommencer la danse de séduction, les mensonges polis, les promesses qu'on ne tient jamais. Je n'ai pas envie d'apprendre les failles de quelqu'un d'autre. Je veux voir mes rides se creuser à côté des tiennes.

On a cet enfant en commun. Il y a un ADN entre nous qui ne s'effacera jamais. Et quant au gosse que tu as eu entre-temps, il fait partie du package. C'est ton histoire, et par extension, la nôtre si on revenait. Je m'en fous.

Ce que je veux, ce n'est pas une lune de miel éternelle. Je veux le travail. Je veux qu'on change concrètement les trois ou quatre choses qui nous ont fait exploser la dernière fois, et qu'on regarde nos vies se dérouler ensemble. Je veux qu'on se batte à nouveau pour les quarante prochaines années, mais cette fois, pour la bonne raison.

C'est une nouvelle construction, avec les ruines de l'ancienne comme matière première. On sait qui on est, les zones d'ombre, les vices, les feux d'artifice. Il n'y a plus rien à découvrir, juste à décider : est-ce qu'on prend ce qui reste de nous, les deux épaves que nous sommes, pour faire enfin quelque chose qui a du sens ?

Voilà. J’ai posé ma pensée à plat sur ce papier. Ce n'est pas un message qui disparaît. C'est une question qui reste là, physique.

Tu me diras si tu es prête à arrêter de courir après le vent et à s'asseoir à la table pour les quarante prochaines années. Si c'est non, je comprendrai. Mais il fallait que je pose la question. Sans fioritures, sans mensonges.

Dis-moi juste : oui ou non. Et le reste, on le boira.