La forêt se parait de ses plus beaux atours. L’automne l’avait couronné de sa gloire dorée. Les arbres brillaient d’un rouge éclatant et les animaux s’affairaient pour préparer l’hiver. Mais, une autre agitation régnait au cœur de la forêt. On préparait le mariage du roi des elfes. Les elfes tendaient des voilages dans les frondaisons. Des danseurs répétaient leurs chorégraphies. Les cuisiniers allaient et venaient en portant des mets raffinés. La fête allait sans doute être extraordinaire.

Mais dans un recoin de la forêt, adossé à un chêne en lisière de clairière, un elfe ne participait pas à l’effervescence générale. Il avait le visage triste et il se lamentait. 

C’était Lestir, le barde. Il était admiré pour la beauté de son chant, mais également pour la qualité de son orchestre. Mais voilà, tous ses musiciens étaient malades. Personne pour jouer de la musique et l’accompagner. Point de violon. De flûte ni de tambourin. Encore moins de harpe, de percussions ou de trompette.

Cela n’était jamais arrivé auparavant, et il se demandait bien comment la fête serait complète sans son orchestre. De plus, le roi, habitué à voir tous ses désirs satisfaits, ne supporterait sans doute pas qu’il manque de musique le jour de ses noces.

Lestir était allé voir tous les autres elfes pour savoir s’ils pourraient l’accompagner.

Bulla, pourrais-tu jouer du violon ? Non, je suis désolé.
Astir, sais-tu jouer du piano ? Non malheureusement.
Vulnia, as-tu un tambourin ? Je n’en ai pas hélas.
Rondir, peux-tu souffler dans ta trompette ? Je me suis brûlé les mains et je ne peux plus rien tenir.

Bref, Lestir n’avait trouvé personne pour remplacer son orchestre.

Il était donc bien embêté. Il ne pensait plus qu’à cela et ne se préoccupait pas de ce qu’il se passait autour de lui dans la forêt. Et pourtant, il y en avait du bruit.

Le brame des cerfs retentissait, sourd, puissant et envoûtant. Les pics verts au-dessus de lui martelaient les troncs dans une sarabande endiablée. Les autres oiseaux lancaient de joyeuses trilles. Et les écureuils dansaient des claquettes en sautillant de branche en branche. Bref, c’était un joyeux ballet.

Alors qu’il était toujours absorbé par ses funestes pensées, un moustique se posa sur Lestir, l’extirpant de sa torpeur. Irrité, il s’agita et se rendit compte de la vie qui bruissait autour de lui. Il savait que ses compagnons elfes préparaient la grande fête mais il avait oublié, que dans la forêt également la nature était en fête.
Il faut savoir que les elfes sont très proches de la nature et ont une relation privilégiée avec les plantes et les animaux. 

Lestir se mit à écouter les bruits de la forêt et cela calma momentanément sa colère et son angoisse fut atténuée. Le bruit de fond agissait comme une musique d’ambiance, le berçant tout en lui donnant envie d’esquisser quelques pas de danse. C’est à ce moment-là qu’il se leva brusquement et se frappa le front. Bon sens mais bien sûr. Comment n'y avait-il pas songé avant ?
La solution était sous ses yeux, ou plutôt dans ses oreilles depuis le début. 

Le brame du cerf ressemblait à une trompette. Les roucoulements festifs des petits oiseaux évoquaient un canon de flûte et de piccolos. Tous les animaux qui martelaient sur les branches et les troncs lui rappelaient ses percussionnistes de talent. 
Ses musiciens étaient malades ? Qu’à cela ne tienne, il demanderait aux animaux de l’aider. 

Il n’y a rien de plus beau pour un elfe que de contempler le spectacle de la nature. 

Le chant de Lestir était apprécié de tous, ses paroles poétiques étaient douces comme le miel et elles touchaient au cœur ceux qui les entendait. Associée à la magie de la nature, sa prestation serait mille fois plus impressionnante que d’habitude et digne d’honorer le roi.

Lestir s’enfonça donc dans la forêt, pour mettre à exécution son projet. 
Les elfes ne savaient pas trop pourquoi la forêt bruissaient plus que d’habitude et quelle était cette étrange cacophonie que l’on entendait dans un coin reculée. On aurait dit que tous les animaux s'étaient donné rendez-vous pour pousser leurs cris. Et pourtant il y avait des accents mélodieux. 
Malgré les questions qu’ils se posaient, ils continuaient leur préparatifs. 

Ce n’est que quelques jours plus tard, lors du Grand banquet donné en l’honneur du mariage du roi des elfes, que tous eurent la surprise de leur vie.

Lestir était là, les enchantant de sa voix mélodieuse. La musique était si douce et belle et pourtant personne ne voyait de musiciens. Une vibrante mélopée venait de la forêt, virevoltant entre les elfes dans un rythme tantôt lent tantôt effréné. 

Le son des trompettes était plus intense, les accents des violons plus vibrants, les flûtes et les fifres plus joyeux et le tambourin, plus vif que d’ordinaire. Lestir avait su accorder les voix des animaux pour rendre cette fête aussi magnifique qu’inoubliable.