10-Mon problème est mon ami
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10-Mon problème est mon ami
Nath me répond, limite agacée :
"Mais pourquoi veux-tu absolument régler ton problème avec ton père maintenant? "
Ben ça alors, oui, pourquoi? Il faut ? Je veux ? Je peux ?
Il doit bien y avoir d'autres solutions quand on veut pas régler ses problèmes, on fait ce qu'on veut quand même : faire l'autruche, faire le mort ou la raie, mettre son mouchoir par dessus, se bourrer la gueule, faire le dos rond, prendre son mal en patience...
Celui-là est pas mal, "prendre son "mal" en "patience" : prendre soin de sa douleur avec de la patience, en donnant du temps... Je vais faire ça : attendre un peu, je peux pas tout faire en même temps : trouver un nouveau job pour septembre, acheter une belle maison et déménager, m'occuper de mes enfants, de Guillaume... prendre du temps pour les bonnes choses, prendre le temps de respirer, de profiter, de repartir encore en vacances et en week-end.
Et remettre au lendemain, procrastiner, reporter, différer le problème qui de toute façon ne semble pas disposé à disparaitre aussi rapidement que prévu.
Je l'ai invité, mon problème, dès ma première psychanalyse. Il est venu, s'est assis à côté de moi. J'ai parlé de lui longtemps, un peu de moi aussi, et surtout de l'autre con. Le problème a écouté, parfois acquiescé. Il s'est pas barré, non, il est même revenu aux séances suivantes, pendant plusieurs semaines, des mois, des années.
Vingt deux ans qu'il continue de s'assoir à côté de moi sur le divan molletonné du docteur, à écouter les conneries que je débite sur lui, à ordonner un discours chaotique, trouver du sens aux idées confuses, associer des mots hasardeux entre eux et faire comme si ça faisait s'allumer une ampoule, cling ! Extirper des bribes de souvenirs des méandres de ma mémoire en essayant de trouver le moment de glissement, l'instant T, le jour où tout a basculé, tenter aussi le silence juste pour voir si ça énerve mon problème et si le psy va enfin se réveiller et me donner la solution.
Mon problème c'est peut être de croire que j'en ai un justement. Ou alors d'essayer à tout prix de m'en occuper, de le résoudre, de le dissoudre, de lui trouver une solution, de lui trouver chaussure à son pied. Putain de Cendrillon, elle nous fera chier jusqu'au bout celle-là.
Et si Nath avait raison ? Si je ne m'occupait plus de lui ? Si je l'oubliais, faisais comme si, comme avant ? Et si je faisais sans ?
Vivre sans mon problème ? Ça va me faire bizarre, comme un vide. L'expérience mérite d'être tentée, par curiosité. Après des années de soins et d'attention, que va-t-il ressentir si je ne le calcule plus, mais plus du tout ?
Je le laisse passer, comme un nuage, je le laisse partir, enfermé dans un ballon dont je lâche la ficelle avec plaisir et frisson. Je le mets loin de moi, comme une montagne que je peux observer de loin et qui devient de plus en plus petite à mesure que mes pas se font plus fermes et rapides. Je lui dit "adieu" ou à bientôt, à plus tard, je m'éloigne, je ferme la porte, je bouche le trou, je tire la chasse et l'eau du bain avec.
Voilà, c'est fait. Mon petit problème, tu n'existes plus.
Je reste avec mes émotions, qui elles sont réelles , mais qui ne me posent pas problème. Je sais les accueillir, les écouter, en prendre soin et vivre avec.
20/07/2016