Théo et Chloé
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Théo et Chloé
Tapis derrière un arbrisseau Théo observe le paysage. Un chat blanc et roux marche tranquillement sur sa droite. C’est l’heure de l’inspection matinale de sa zone de chasse, la recherche éventuelle d’un petit rongeur parti en quête de nourriture pour sa dernière portée.
Tout semble si paisible. Les nuages lourds s’avancent lentement vers l’horizon au-dessus des champs laissés aux mains de l’hiver. Des herbes séchées par l’été dernier définissent leur territoire. Au loin des bosquets d’arbres persistants épousent les contours des parcelles. Quelques cyprès montent la garde. Le soleil timide dessine les reliefs, découpe des ombres, offre des nuances d’ocre et de vert.
Cheminant sur sa droite, deux silhouettes amoureuses et contemplatives se profilent, tandis qu’un second chat blanc et roux surgit, s’avance vers un ilot de conifères, observe les alentours, soudain alerté par une motte de terre qui se soulève, là juste à côté de lui. Un léger voile de brume arachnéen s’élève par endroits. Un vent froid disperse çà et là des effluves de thym sauvage.
Tout semble si calme et paisible. Pourtant, le cœur de Théo s’emballe, danse une sarabande dans sa poitrine. Envahissant sa boîte crânienne, un groupe de rock métal s’offre un concert. Le jeune homme s’allonge, tentative pour se fondre avec cette terre qu’il vient de meurtrir. Il reste, là, au pied de l’arbrisseau, immobile.
Ne plus penser. Ne plus regarder. Ne plus remarquer ceux qui vont par deux.
Tremblant, Théo essuie ses mains sur son jean effrangé. Elles sont collantes, poisseuses et une légère odeur métallique les enveloppe. Ces mains vont par deux aussi, alors que lui…
Lui, Théo, si pacifique, un brin romantique, est seul maintenant. Dans son crâne lourd une voix lui chuchote de courir, courir, courir. Fuir au plus vite cette terre qui deviendra hostile tandis qu’une autre voix plus sourde le gratifie, l’encourage à rester, se redresser, revendiquer. Un haut le cœur le surprend tandis que deux larmes perlent aux coins de ses yeux. Théo est seul désormais.
Chloé est seule aussi. Elle fixe le ciel aux nuages sombres mais son magnifique regard bleu est figé. Les grands cils ne battent plus, un dernier souffle vient de s’échapper comme une brume légère. Sur sa poitrine dénudée, une large auréole écarlate s’est allongée et un couteau suisse au manche nacré est planté. A la base de son cou, un ruban d’hémoglobine. Sur son front, une mèche de cheveux couleur d’ébène s’offre une dernière danse dans la brise matinale tandis que sur sa main droite aux ongles laqués de noir, une coccinelle se promène puis s’envole. Au-dessus d’elle, un noisetier semble éclairer son chemin avec ses chatons chargés de pollen.
Dans une motte de terre, à proximité, un petit sac à main imitation lézard répand son contenu. Un poudrier, un porte clé souvenir de New York rassemble les clés de la maison, un stylo à l’encre violette avec lequel elle écrivait des histoires sur le carnet à couverture rouge. Un peu plus loin, malgré l’écran cassé en son milieu, les vibrations à intervalles réguliers provenant d’un smartphone.
Tapis derrière un arbrisseau Théo scanne le paysage. 360° de quiétude et dans sa tête une cavalcade de pensées contradictoires, une armée de regrets, fantassins impuissants. Elle ne voulait plus de lui. Elle voulait vivre libre, pleinement femme. Elle était son univers. Elle ne sera plus à l’Autre.
Des arpèges cristallins montent de la poche arrière de son jean. Il a complètement oublié d’arrêter ce satané téléphone …
Le calme sera maintenant de courte durée.
Image : Peggychoucair pour Pixabay
Séverine Gambardella vor 2 Jahren
Ce texte est splendide Ysa Lapiert. Tu as vraiment, vraiment, réussi la mise en abime. Tes descriptions de paysages sont comme toujours très réussies. Poétiques. Une petite suggestion. Plutôt que "Les cils", pourquoi ne pas écrire "Ses cils" ? Je crois que cela renforcerait la proximité avec la pauvre Chloé. Bravo, vraiment.