Petite Sarah
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Petite Sarah
Je ne sais pas l’écrire, les mots m’échappent, ils sont creux face à cette pudeur qui l’oblige à ravaler sa douleur, à la réprimer, sans chercher à la manifester.
A 14 ans, elle et son jeune frère déambulent tous les jours avec de gros sacs noirs dans les cités oranaises. Ils frappent aux portes pour récupérer le pain moisi et le revendre ensuite aux fermiers contre quelques dinars. Sarah n’a pas les moyens d’aller à l’école, elle travaille dans une Algérie libre et indépendante qui compte ses pétrodollars.
Elle. C'est un visage bistré d’une femme qui a dépassé la cinquantaine, quelques mèches blondes s’échappent de sa chevelure noire et décoiffée, un collier noir en plastique entoure son cou décharné.
- Pourquoi travailles-tu ?
Les yeux baissés, elle marmone quelques mots. Elle raconte ce fermier qui, chaque jour, la raccompagne chez lui, seule, sans son frère, en voiture, pour lui violer son enfance et racheté son pain.
- Pourquoi tu y vas seule chez lui ? Tes parents le savent ?
- Je suis l’aînée, lui est jeune. Mes parents le savent.
- Le fermier ne t’a jamais tripoté ?
- …. ….Non.
Ses grands yeux noisette fixent le sol, son chagrin la porte. Mes questions sont stupides. Originaire de Rélizane, ses parents se sont installés depuis quelques années dans un bidonville entourant la ville d’Oran (une grande ville algérienne), fuyant les terroristes qui se sont attaqués à leur village. Faire travailler leurs enfants est l’unique moyen de survivre à cette tragédie.
L’association féministe avec qui j’étais venue ne s’en souciait guère. Le repérage programmé dans plusieurs quartiers est subitement annulé, mésentente entre les femmes membres préoccupées par le pouvoir. Elles ne voient pas les deux enfants agglutinés à leur misère.
Le soir, j’ai du mal à dormir, le cœur glacé, j’ai abandonné la petite et son frère. Dès que je rentre à Alger, je quitte l’organisation. Mais le regard de la petite Sarah me hante depuis.