La Forteresse cachée d'Akira Kurosawa
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La Forteresse cachée d'Akira Kurosawa
« Encore cette tête » dit la princesse à son protecteur, « elle suinte la loyauté ».
La Forteresse cachée est un long métrage de Akira Kurosawa. Ce film retrace, à travers des personnages emblématiques, une fuite due au conflit guerrier entre deux fiefs, celui de Yamana et celui de Akizuki, dans un Japon médiéval déchiré par les guerres civiles.
Le grand cinéaste retrace l'épopée d'un clan battu, composé d'une princesse Yuki, interprétée par Misa Uehara et de son protecteur, le charismatique général Rokurota, interprété par Toshiro Mifune. Ils quittent la forteresse où ils avaient trouvé refuge pour rejoindre un clan allié en emportant le trésor qui leur permet de refonder le royaume, tout en laissant derrière eux la nourrice de la princesse, l'ancien samouraï et deux gardes.
Animés par la convoitise du trésor, deux personnages épiques font parties du voyage.
La traversée est une succession d'obstacles. C'est un parcours initiatique qui ne l'est pas moins pour le spectateur qui est plongé dans une narration où les personnages évoluent sous son regard.
La Forteresse cachée s'ouvre sur la critique du code samouraï
La stratégie du samouraï a fonctionné et l’ennemi s’est leurré et a tué la sœur du général à la place de la princesse Yuki. Cette dernière, animée par une vive douleur ne contient pas sa colère et s’en prend au frère, pour accuser jusqu’à l’esprit du samouraï qu'il incarne et condamne cette loyauté au suzerain qui sacrifie une vie pour une autre.
Le code du samouraï est d'emblée attaqué par cette jeune princesse, son cri exprime une remise en cause de l'honneur, valeur suprême qu’elle ne reconnaît pas et refuse étant donné que celle-ci s’accomplit dans la mort.
« Sa vie ne vaut pas moins que la mienne » s'exclame la princesse.
Le général est attaqué dans ce qui le fonde, en quoi il croit et ce pourquoi il vit. C'est un ébranlement intérieur et pour trouver les réponses, il va sonder le coeur de la princesse tout au long de l'aventure pour y puiser les informations que la pincesse, d'ailleurs, n'a pas encore.
On verra à quel point le regard joue un rôle primordial chez Akira Kurosawa et comment il vient interroger celui du spectateur.
La Forteresse cachée : un film d’exil et de déchirement
Le ton est donné, une princesse en quête d’égalité, est en route pour conquérir sa légitimité à travers cette aventure qui est un chemin initiatique. L'héroïne affrontera avec courage et dignité la destinée incertaine et dangereuse qui s'impose à elle.
On quitte le lieu qui empêche l’accès à la connaissance, la princesse surgit comme cet élément, à qui les codes et les lois ne conviennent pas, elle est porteuse de l’espoir d’un gouvernement juste qui trouve ses fondations dans l’égalité. La princesse sait ce qui ne va pas, mais rien n'est élaboré, c'est d'abord un cri, une intuition, le spectateur est alors embarqué pour suivre le mouvement intérieur de cette jeune femme pour qui le poids de la responsabilité est d'autant plus lourd que les lois et les règles du Japon féodal ne lui correspondent pas.
Dans ce japon médiéval, aux guerres incessantes, Kurosawa interroge la cause de la guerre
Les guerres d’hier et d’aujourd’hui au japon et ailleurs. Akira Kurosawa a précisé que ses films sont universels parce qu’ils sont profondément japonais. Le cinéaste crée à partir de ce qu’il connaît, descendant lui-même d'une lignée de samouraï, le talentueux réalisateur parle à tout le monde, "tous mes messages sont dans mes films", dit-il.
Qu'est-ce que la guerre si ce n’est ce rapport de force qui trouve sa pleine expression dans le monde de la dualité. Lumière et obscurité, clarté et brouillard, amitié et inimitié, retrouvailles et séparations, le jeu des oppositions est présenté autant dans le paysage que dans le comportement des acteurs, jusqu'au spéctaculaire duel des sabres entre Rokurota Makabe et son ami/adversaire, Tadokoro Hyoe, samouraï qui appartient au clan adverse. Nous retrouvons dans ce film, les idées directrices chères à Akira Kurosawa comme dans le film Scandale. Le combat se termine sur une note optimiste qui dit l'Homme en devenir, car le général, refuse de trancher la tête de son ami vaincu comme le signifie le code du combat samouraï, contrariant ainsi son ami qui le supplie d'exécuter cette tâche et de le tuer.
L'action de la transformation intérieure est manifestée par cette infraction volontaire à la règle.
La Forterssee cachée : le regard interrogateur et révélateur
Les personnages clignent de l’œil, on l’aperçoit chez la nourrice qui justifie le comportement de la princesse pour donner une description erronée de l’enfant qu’elle a élevée, l'accusant d’être sans cœur, sûrement par l’effet de l’éducation du père qui en a fait un garçon manqué. Encore une fois, un préjugé qui fausse la perception de la réalité. Ici, le clignement de l’œil révèle la difficulté de voir le réel. l'ignorance est renforcée par une tradition patriarcale d'un Japon féodal producteur de ce genre de stéréotypes.
Le même clignement de l’œil est adopté par le paysan, Tahei, interprété par Minoru Chiaki. Face au soleil, la lumière est insupportable. Ce geste révèle le malaise du paysan qui n'a pas accès à la réalité.
On voit dans le film, comment le regard du général sonde le cœur de la jeune princesse déchirée par la douleur de se séparer de ses proches laissés dans La Forteresse Cachée, cet abri qui ne l’est plus, poursuivi par le clan ennemi, qui à présent sait qu'il s'est leurré en tuant la sœur du général.
La honte empêche le retour, la peur rassemble et la cupidité fait obéir
La Forteresse cachée commence par l'apparition à l'écran de Matashishi et Tahei, deux paysans en terre ennemie dont le retour au pays est empêché plus par une frontière intérieure qu’une frontière extérieure.
En effet, ayant vendu leurs maisons pour acheter des armures, convoitant un prestige social comme soldats, les malheureux arrivent trop tard sur le lieu du conflit et les voilà déjà vaincus. Une absence de stratège et une volonté défaillante qui va les caractériser tout au long du film jusqu’à la scène finale qui amorce un champ des possibles car ce film est un ensemble de chemins d’expériences.
Kurosawa nous propose deux personnages esclaves du fait de leur ignorance
Tantôt audacieux, tantôt lâches, vaniteux et humiliés, crédules et méfiants, désobéissants et serviles, une inconscience exprimée par les corps : gestes désarticulés, confusion entre mensonge et vérité, ainsi quand le général se présente en donnant son nom, ils l’accusent de menteur.
Akira Kurosawa, dans La Forteresse cachée, nous présente deux personnages ridicules mais attachants car la moquerie est exclue si l’on reste attentif, en effet les deux paysans sont illettrés et n’ont pas reçu d’instruction et s'ils s’accusent mutuellement et s'en prennent à des éléments extérieurs, c’est l’effet de l’ignorance avant tout, conséquence d’une société inégalitaire, laissant pour compte les paysans désarmés, l'accés à la connaissance de soi devenant impossible de fait. Leur être leur est étranger tout autant que ce conflit qui les dépasse complètement. La réalité est inaccessible à un être ignorant.
Restant dans cette ligne de séparations, par l’effet de contraste, nous est présenté un personnage charismatique en la personne du général, gestes sûrs, paroles pesées, courageux, loyal et guerrier redoutable.
La nature chez Kurosawa comme promesse de l’harmonie intérieure.
Comme dans le premier film d'Akira Kurosawa, La Légende du grand judo, la princesse chemine avec la compréhension des obstacles qu'elle traverse, sa position assise relève de son action méditative, une pratique bouddhiste, significative pour faire comprendre au spectateur ce qui se joue.
Elle devient attentive au chant des oiseaux et à la beauté des paysages, le personnage équilibre ses tensions internes, s’harmonise avec la beauté de la nature, nous ne savons plus si ces fleurs lumineuses dans lesquelles, elle s'immerge émanent de son être, la beauté de l'image révèle une unité entre elle et la nature qui enchante l'âme.
Le samouraï, en stratège, avec la charge d’or caché dans les branches, sur son dos, met en place un plan pour quitter la frontière et trouve un moyen génial pour tromper l’ennemi, toujours sûr de la convoitise des hommes qui se trompent de jugement à cause de leur cupidité.
Et les deux paysans, toujours perdus, dans cette aventure, ne comprennent ni les tenants ni les aboutissants de cette guerre. Serviles par peur, ils vouent désormais leur survie à leur maître.
La danse du feu : la conversion de la princesse dans La Forteresse cachée
" la danse du feu m'a bouleversée" déclare la princesse Yuki.
La scène de la danse du feu mérite toute notre attention, cet événement surgit sur le chemin de la jeune femme en quête de justice tel la grâce : c'est le couronnement qui l’anoblit. Elle-même dira plus tard quand ils sont arrêtés et attachés : " la danse du feu m'a bouleversée". On peut entendre ce "bouleversement" comme une conversion, un retournement.
Cette scène centrale va opérer sur cette princesse à la manière de Siddhartha qui ne découvre la souffrance, la vieillesse et la misère qu'une fois sorti d'un milieu protecteur où la réalité est cachée et l'illusion entretenue.
Choisissant de prendre la fuite en volant l'or caché dans les branches, les deux paysans, tentent de se confondre avec la foule du camp ennemi qui se rend à la fête traditionnelle des Yamana. Ils ne se doutent pas de ce qui va arriver car le bois va être mis en feu et les branches réduites en cendres. Les branches consumées, l'or se révèle et la stratégie de dissimulation se trouve compromise de même que l’identité du groupe, qui jusque là a trompé l'ennemi.
Mais l’élément centrale de cette très belle scène, c’est l’action du rituel qui va bouleverser le cœur de la princesse.
Cette dernière va s’unir avec les ennemis dans une danse qui la porte et un chant dont les paroles vont agir sur elle comme une information qu'elle est désormais prête à recevoir et qui va opérer directement sur son être. La princesse vit une conversion.
« Que la vie des hommes
s’embrase dans le feu,
que la vie des insectes
se consume dans les flammes.
Car en vérité,
tout n’est qu’illusion
Ici-bas comme au-delà.
Alors soyons fous ! »
Lors de leurs arrestations par le clan ennemi, la princesse va chanter les paroles qui ont pénétrè son coeur devant Tadokoreo, général dans le clan adverse et qui vient les visiter.
Tadokoreo reproche alors au général Rokurota Makabe de ne pas lui avoir ôté la vie quand il a perdu le duel de sabres et affiche son visage désormais marqué par l’humiliation qu’il porte à cause du déshonneur. La princesse ridiculise alors ce raisonnement, ce code d’honneur qui appelle à la mort et qui n’a son fondement que dans l'orgueil.
Aussitôt, dans une scène thétrâle, elle se met à réciter le chant qui l'a bouleversée, non sans avoir dit auparavant qu’elle a vécu quelque chose de merveilleux car il n y a rien de plus beau que la réalité.
Le chant opère sur la femme délivrée, on entend ses pleurs et il produit le même effet sur Tadokoreo qui prend le parti de s'opposer à son camp pour leur sauver la vie, en faisant cela, il sait qu il se sacrifie, qu’il va à la mort, cependant, la princesse lui enjoint de choisir la vie et de partir avec eux.
C'est une conversion que va vivre le général Tadokoreo, il obéit à la princesse et choisit la vie.
Le royaume conquis après La Forteresse cachée
La Forteresse cachée, film résolument optimiste sur la nature humaine, des voies différentes mais qui peuvent faire atteindre à l'Homme son humanité, cette promesse que tout être porte en lui, la connaissance de soi est la condition nécessaire et le courage, une vertu importante pour entrprendre le chemin de perfectionnement de soi. Le costume du samouraï est ridiculisé, symbole illusoire d'une force extérieure et qui puise son courage et sa connaissance dans la mort, la voie du sang fera désormais partie du passé. La princesse a atteint la connaissance qui met en lumière l'orgueil comme racine du mal.
Le royaume est reconstitué sur des fondations humanistes, la princesse incarne la responsibalité et l'autorité du royaume de son fief avec une légèreté nouvelle et adhère à la charge qui pesait sur elle au départ.
Les deux paysans semblent avoir la clé pour cheminer, la princesse, leur offre une seule pièce d'or et leur dit de ne plus se chamailler : l'absence d'instruction les avaient maintenus dans l'ignorance, une autorité incarnée par un suzerain vertueux est seul légitime à fonder une cité selon les règles confucéennes.
La Forteresse cachée est un film dont le récit a une portée universelle, il puise dans la culture bouddhiste et notamment le zen qui tente de dissoudre l'intellect pour pouvoir percevoir les choses en soi et y puiser les outils nécessaires au perfectionnement de son être.
Les personnages de La Forteresse cachée, se meuvent dans une aventure semée d'obstacles, dans un terrain hostile, des êtres, à la constitution et au passé différents cheminent, malgré tout, vers l'éveil, non l'éveil définitif de l'Être réalisé, mais ils franchissent les obstacles selon leurs possibilités, leurs dispostions intérieures et leurs environnements.
Akira Kurosawa nous invite à percevoir la réalité telle qu'elle est, le cinéaste, dans un langage dépouillé et des images réalistes respecte notre liberté et ne propose rien à voir d'une manière orientée.
La lecture que nous devons faire, dépend de notre intériorité et de notre propre cheminement.
La Forteresse cachée est cette cette limite que nous ne franchissons pas à l'intérieur de soi. C'est notre ombre cachée que nous refusons de voir. C'est un exemple de voie qui exige le courage de se confronter à la réalité et celle de la mort avant tout afin de ne pas choisir la voie de l'illusion, voie de souffrances !
La réalité et l'illusion sont deux thèmes réccurents chez le cinéaste comme dans le film Scandale, d'une manière plus démonstrative, dans La Forteresse cachée, La réalité, incarnée par tous les personnages à la fin du film est libératrice. Akira Kurosawa et son humanisme est un appel vers la réalisation de soi.