De l’onanisme épistolaire
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De l’onanisme épistolaire
M,
« Je vais te tuer. » C’est la première idée qui m’est venue à l’esprit cette nuit à la première minute de mon insomnie.
« Chiche ! » Fut la seconde.
Entretenir une correspondance à sens unique, c’est de la semi-communication. Avec un être imaginaire c’est pire : c’est de l’onanisme épistolaire.
Le matin au petit déjeuner j’en parle à ma femme. « Malheureux, fais pas ça ! » C’est sorti du cœur.
- Mais quelle meilleure façon de mettre un terme à cette piteuse prose ? M doit mourir.
- Mais toi, tu n’es pas un assassin.
- Le temps l’est, lui. Oui, laissons faire le temps. Le temps numérique est rapide comme l’éclaire. Pistolero, il tire plus vite que Lucky Luke qui, lui-même, tirait plus vite que son ombre. Jadis, si je me souviens bien*, pour tuer quelqu’un fallait se lever de bonne heure, allez cahin-caha, au rythme de sa trotteuse. Avec un peu de chance ta future victime avait eu le temps de mourir de mort naturelle. Aujourd’hui, un clic et boum, tu zigouilles instantanément quelqu’un à l’autre bout du monde et même au Creusot. Surtout si ce quelqu’un n’existe pas vraiment, ni au Creusot, ni ailleurs.
- … (No comment)
Je vais faire mieux, même pas besoin de cliquer. Je vais cesser de t’écrire et en quelques jours tu tomberas dans l’oubli, tu cesseras d’exister. Mon silence sera comme du chloroforme. Tu ne sentiras rien. Perfide, n’est-ce pas ?
Fais ta prière, M.
« Fais ta prière Tom Dooley
Ça peut toujours servir
Fais ta prière Tom Dooley
Demain, tu vas mourir. »**
Demain j’en aurais fini avec toi et avec mes monologues bidon.
Je te vois qui rigoles. Je sais ce que tu penses. Tu penses que sans toi je vais bien m’emmerder de trois heures à cinq heures du matin. Et que ce sera ta vengeance. Et que ce sera bien fait pour moi. Laisse moi rire à mon tour. Ah ah ! j’ai tout prévu ! J’ai fait le plein de livres, bien réels eux, à lire ou à relire : Montaigne, Rimbaud, Genet et beaucoup d’autres. Le plein de poèmes à traduire. Szymborska en tête. J’ai acheté de nouvelles lunettes, plus à ma vue. Un plaid aussi pour me tenir bien au chaud dans mon fauteuil par ces matins frisquets. Les délices de leurs paroles résonnerons dans le silence des fins blanches de mes nuits. Et s’il m’arrivais encore de penser à toi, je te ferais un pied-de-nez. Ah ah ! Bon débarras !
J
- * Emprunté à Arthur Rimbaud (Une saison en enfer)
- ** Emprunté aux Compagnons de la chanson qui eux-mêmes l’ont emprunté au Kingston Trio
- *** La photo d’entête est empruntée, elle, à la Paramount Picture Inc. et tirée du film « This gun for hire »
Bernard Ducosson vor einem Jahr
Pour ta part, tu me sembles aussi bien emprunté !