CHAPITRE 22
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CHAPITRE 22
Les contes de Perrette – Croyances et superstition – Légendes d’antan.
La nuit me fut douce dans les bras d’Athénaïs, si douce qu’elle fut presque sans rêve. Cependant en m’éveillant au chant du coq, il me semblait avoir encore visité le Sanctuaire, seulement en songe cette fois, fort heureusement. Je sentais presque l’odeur de la terre humide du sous-bois et ce parfum de soufre qui persistait au Sanctuaire.
Mes yeux détaillèrent les ornements dorés aux murs, croyant avec la pénombre y distinguer quelque silhouette étrange qui m’observait dans mon sommeil. Les rayons rosés de l’aube ne parvenaient à chasser totalement les ombres de la nuit qui s’attardaient. Je me levais et gagnais la fenêtre, observant avec défi mes jardins.
Je jurais de combattre ces créatures, je ne leur céderais mon Empire pas plus que mon esprit. Mais pour autant, je laisserais le Sanctuaire intact comme j’avais laissé le pavillon de chasse de mon père intact. J’avais pour ambition de moderniser la France sans renier son passé. Mais le fait de ne savoir si ces créatures étaient des menaces ou les gardiennes d’un antique savoir me persuadait de ne leur livrer la guerre que si j’y étais contraint et, s’il me l’était possible, de plutôt les étudier.
Quittant la chambre de ma maîtresse, je gagnais la mienne où dans quelques minutes Perrette pénétrerait. Justement, je voulais lui en toucher mot si toutefois nous en avions le temps. Le lever était une opération rodée dans les moindres détails, et il était parfois difficile de trouver le temps pour converser. Nous avions à peine le temps d’échanger avec Molière, mais il savait si bien user du peu d’indications que je lui donnais. Mon cher ami avait l’esprit vif encore. Perrette l’avait tout autant. J’avais besoin de sa science, celle que possèdent toutes les nourrices en ce monde, celles des contes.
Regagnant mon lit, je remarquais que Bontemps n’était point endormi, qu’en entendant le coq et en ne me voyant, il s’était inquiété. Aussi, c’est debout que je le trouvais s’apprêtant à se rendre chez ma maîtresse. Profitant du fait qu’il était levé, je lui demandais d’aller quérir Perrette, il me faudrait également de l’intimité lui dis-je. Bontemps soupira, mais obéit. Il surveillait désormais le moindre de mes faits et gestes. J’essayais de ne pas céder à l’agacement que me donnait le souvenir de la conversation avec mon frère. Bontemps ne faisait que son travail.
Enfin, Perrette entra dans ma chambre et s’avança vers moi pour m’embrasser bien que je sois parfaitement éveillé, je l’accueillis en baissant la tête afin de recevoir son baiser sur le front. Pour rien au monde je ne me serais passé de ce doux baiser. Relevant la tête, je lui adressais un sourire.
— Restez auprès de moi, je vous prie, j’ai besoin de vous, Perrette.
D’un geste, je l’invitai à s’asseoir sur le lit. Nous pouvions avoir une certaine familiarité lorsque nous étions seuls, c’est pour cela que j’avais chassé Bontemps qui je n’en doutais pas devait surveiller et écouter l’échange avec inquiétude. Chacun des courtisans, des ministres s'étonnerait sans doute d’une telle familiarité, pourtant j’en avais une semblable avec Bontemps et Le Nôtre.
— Parlez-moi, ma bonne Perrette, des contes que vous me racontiez enfant. D’où venaient ces histoires ?
Ma nourrice dont la peau était devenue pareille à du parchemin, les coins des yeux ridés, et les cheveux blanchis, conservait la même honnête beauté qui avait été sienne dans sa jeunesse, lorsque je tétais ses seins souvent avec ardeur.
— Mon cher Sire, je ne sais d’où proviennent ces histoires, ma mère me les contait. La plupart viennent de l’arrière-pays, me semble-t-il. Votre préférée a toujours été le Roi Arthur. Comme vous aviez été inconsolable quand je vous ai conté la trahison de son fils Mordred.
— Cela me revient, j’avais l’avais surnommé Brutus, car comme ce dernier, il trahissait son père au nom de comploteurs qui ne faisaient que le manipuler. Tristement double pour Arthur puisque Morgane, sa sœur avait poussé ainsi le fils à assassiner le père.
— Vous étiez furieux contre elle et le lendemain vous avez joué à la guerre en Bretagne dans le fortin que vous avait offert votre parrain.
À l’évocation de cet épisode, j’éclatai de rire. Mon pauvre frère avait dû jouer Lancelot, le meilleur ami d’Arthur, mais aussi l’amant de son épouse. J’ignorais que je me vengerais quelques années plus tard. Mon cher frère se pliait de mauvaise humeur à mes caprices et boudait ensuite des journées entières. Je parvenais à apaiser sa colère alors aisément, il me suffisait de lui demander pardon en prenant sa main dans la mienne. J’aurais aimé que les choses restent si simples.
— Pourquoi, Sire, souhaitez-vous que je vous évoque ces souvenirs ?
Sa question était tout à fait judicieuse. Perrette me connaissait bien, elle savait que je n’étais pris d’une étrange nostalgie matinale et nos conversations des mois précédents lui revenaient sans nul doute à présent.
— Pensez-vous encore à ces créatures dans le bassin que vous aviez vu enfant ?
Sa voix était chargée de soucis que je ne pouvais décharger, les miens étaient plus nombreux et plus lourds encore.
— Ma douce Perrette, vous êtes clairvoyante, rétorquai-je avec un sourire.
— Je vous connais bien, Sire.
— Certes, vous me connaissez. Mais Bontemps s’en inquiète suffisamment. Dites-moi plutôt, si dans ces contes y a-t-il de pareilles créatures ?
Perrette fronça les sourcils.
— Pas dans ceux que je vous contais. Madame votre mère ne voulait que vous soyez trop affecté par les superstitions liées au petit peuple. Je me souviens qu’une fois vous aviez commis quelques bêtises et aviez accusé les lutins d’être responsables du désordre produit par vos jeux espiègles. Votre mère en a été furieuse et m’a réprimandé à ce sujet. Si bien que je ne vous ai plus parlé ni des fées, ni des lutins et encore moins des ogres !
La chose ne m’étonnait guère, Mère était très chrétienne et voulait que je le sois tout autant. Ma couronne et mon règne m'étaient donnés par Dieu disait-elle, et je devais en être digne. Mes amours adultères la rendaient folle et la poussèrent à se réfugier au Val de Grâce. Je fus bien sot de ne pas les avoir mieux cachées, de ne pas avoir mieux résisté à la tentation, mais j’ignorais alors que le mal la rongeait déjà et que ses années étaient comptées.
— Perrette, je voudrais que vous me disiez tout ce que vous savez sur ces fées, ces lutins et ces ogres, je vous prie.
Ma douce Perrette me regarda avec de grands yeux épouvantés.
— Sire, pourquoi toutes ces questions ? Cela ne vous ressemble pas.
Je saisis sa main et l’embrassais tendrement. Son épouvante parut diminuer, mais il en faudrait plus pour la rassurer. Mon comportement surprenait mon entourage et je dois avouer que je ne me reconnaissais plus moi-même. J’étais capable de fièvres et d'obsessions, je l’avais déjà prouvé par le passé. Bontemps ne m’avait connu en ces temps-là, mais Perrette en avait été témoin. Quand j’eu cette passion pour Henriette, personne ne put m’y retenir. Pas plus que rien n'émoussait ma décision de construire le palais de Versailles. Peut-être qu’aucun d’eux ne pouvait quoi que ce soit contre ces fantasmagories qui m’obsédaient.
— Je vous assure Perrette qu’il est d’une grande importance pour moi de connaître ces choses-là que j’ai trop longtemps ignorées.
Le froncement de sourcil perdura chez ma nourrice qui ne comprenait la source de ces questionnements. Elle ignorait sa provenance, je doutais que Bontemps lui ait conté mes aventures nocturnes, le secret de mon somnambulisme était bien gardé par mes médecins. Ils craignaient qu’un ennemi de la France en use pour me nuire. Je ne pouvais que les comprendre.
— Les contes qu’on raconte aux enfants se transmettent de génération en génération, mais certains ont été couchés sur le papier. Votre Majesté devrait s’attarder sur les fables et les lais d’autrefois. Je n’ai la science pour ces choses-là, ces messieurs de l’académie vous répondront mieux que moi, je le crains.
Je dus l’encourager d’un long regard afin qu’elle me dise ce qu’elle avait sur le cœur et retenait encore de ses lèvres serrées.
— Sire, je connais des gens venant de Bretagne, du Berry ou encore de Bourgogne qui affirment avoir vu les lavandières la nuit laver leur linge plein de sang, racontent qu’un de leurs proches a été enlevé par les fées. Un paysan de nos terres a perdu sa famille et dans le pays on raconte que c’est parce qu’il a labouré le territoire des fées… Je ne sais si ces choses-là sont vraies, mais j’ai toujours veillé pour ma part à respecter les enseignements de ma mère, en évitant de fâcher qui que ce soit, pas même le petit peuple.
La Bretagne était réputée pour ses légendes, je savais également son peuple fier de ses racines celtes que d’autres avaient oubliées. Le Berry quant à lui était connu pour ses sorcières et ses sabbats. Nul doute qu’en toute région il devait y avoir de pareilles croyances, puisque même jusqu’à Paris, et Versailles, l’on sacrifiait dans les bois des enfants et des hommes aux fées ou au diable. La question restait à clarifier. Mais le Sanctuaire n’était-il pas réputé pour être un endroit sacré au caractère ancien et païen ?