CHAPITRE 11
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CHAPITRE 11
Une voyante chez le roi – Le cabinet de curiosité – Petite histoire de la magie
Après d’âpres négociations avec Bontemps et presque tout autant avec Athénaïs, je pus enfin obtenir la consultation avec la voyante. Afin de satisfaire Bontemps, cela se fit à Saint-Germain, dans mes appartements secrets. Naturellement, elle fut escortée sous bonne garde à croire qu’on allait l’arrêter.
La femme qui se présenta à moi parut relativement âgée, sa peau était fripée et ses cheveux d’une blancheur immaculée fleurissaient autour de son visage. Sans que je conçoive qu’elle eut de véritables pouvoirs, elle possédait tout du moins assez d’aura pour inspirer le respect si ce n’est la crainte.
Tout ce qui m’intéressait chez elle était ses connaissances en magie, en sorcellerie et en créatures fantastiques, mais afin de tromper les gardes dont les oreilles pouvaient traîner jusqu’à ce que les portes fussent closes, je l’interrogeais sur le tarot et les différentes techniques de divination.
Je l’invitais à me suivre dans le cabinet que j’avais créé, une sorte de grotte fabuleuse qui m’enchantait plus jeune et aujourd’hui m’inspirait une touchante nostalgie : au centre de ces miroirs disposés, une fontaine imitant une cascade. C’était d’un baroque et d’une fantaisie presque enfantine. Mais cela avait ravi la Reine et moi dans nos jeunes années. En cet endroit presque mystique l’on pouvait croire en l’existence de ces créatures qui, je le croyais, s’étaient déjà manifestées à moi.
— Madame, je voudrais que vous me disiez tout ce que vous savez sur la magie, déclarai-je sans ambages et de manière assez directe. Ne vous inquiétez pas, vous ne courrez aucun danger avec l’Église en vous confiant à moi. Je dois résoudre quelques mystères s’étant présentés à moi, et pour cela j’ai besoin de toute votre science.
La vieille femme me darda de ses grands yeux qui ne me parurent nullement usés par les années, au contraire, une lueur de malice y était perceptible.
— Votre Majesté se moque de moi, je suis une voyante point une magicienne. Je pensais être venue pour vous tirer les cartes.
Je lui souris, mais il y avait une sorte de dureté dans mon regard qui fit diminuer la malice dans le sien.
— Je n’ai pour habitude de perdre mon temps en moquerie, madame. Si vous n’avez été informé au préalable de la raison de votre présence, c’était fort à propos. Je souhaite que le contenu de cette conversation demeure secret, entendez-vous ?
La voyante fit une petite révérence en réponse.
— Naturellement Votre Majesté, je garde toujours le secret sur mes consultations.
Ses réticences perdurèrent encore un peu, sans doute plus par fierté et par amusement qu’autre chose. Il y avait un caractère facétieux chez cette femme qui devait plaire à Athénaïs. Enfin, elle finit par céder à ma volonté. Bien sûr, elle n’aurait réellement refusé, peu en auraient le courage ou la folie. Hormis Monsieur mon frère évidemment.
— Puisque Sa Majesté souhaite que je lui parle de la magie, voici ce que j’en sais. L’on vient au monde avec le Don ou l’on vient sans. Le Don se manifeste plus fréquemment chez ceux du peuple, toutefois, on raconte que la Reine Blanche d’Angleterre l’eut possédé. Mais ses origines étaient plus modestes que la plupart des Reines et Princesses. Que Sa Majesté me pardonne, mais il est vrai que les Rois et les Reines sont plus touchés par Dieu que par la magie. Bien que je ne crois pas que l’un et l’autre s’opposent…
Je la coupais d’un geste.
— Je vous ai dit que vous ne craignez rien. Parlez sans crainte. Quelle magie pratique-t-on en mon royaume, non du temps de Saint Louis, mais aujourd’hui ?
Je ne souhaitais une leçon magistrale et si l’on commençait à remonter au moyen-âge cela serait bien trop long.
— Ma foi, de ce que j’en sais, on trouve aisément des rebouteuses qui se disent parfois sorcières, mais leur ouvrage n’est pas très différent de celui de vos médecins si ce n’est qu’elles usent de cataplasme plutôt que de saignées. Il y a bien sûr les alchimistes, si toutefois vous considérez cela comme de la magie. Et la voyance, mais là encore, je n’y vois pas vraiment de la sorcellerie.
Il me fut difficile de ne point pousser un soupir en l’écoutant, et j’eus un geste d’impatience qui lui fit hausser les épaules.
— Majesté, je vous cause de ce que j’en sais. La magie telle qu’on se la figure, avec le sabbat, le grand feu et ces dames dansantes nues tout autour, je n’en ai jamais entendu parler qu’en racontars et en légendes dignes de la campagne. Vous ne trouverez rien de tout cela par ici. La plupart des femmes qu’on qualifie de sorcières sont simplement des guérisseuses usant d’anciens savoirs, comme des petits sacs de plantes afin d’apporter un enfant mâle, ce genre de choses tient de la superstition qui dans l'arrière-pays n’a rien de sorcier.
N’existait-il donc plus de magie en France ? À l’en croire, il n’y avait pas plus de sorciers que de créatures… mais je ne l’avais encore interrogé sur le sujet. Je levais la main pour l’interrompre à nouveau. La vieille voyante haussa un sourcil en me regardant.
— Laissez donc la sorcellerie pour le moment, qu’en est-il des créatures ?
Son regard éberlué s’attarda sur ma personne. J’eus l’impression d’avoir affaire à l’expression étonnée de Bontemps lorsque j’en avais parlé la première fois. Fut-il possible que personne ne crût en leur existence ?
— De quelle sorte de créature Sa Majesté voudrait-elle que je lui parle ? Si c’est de celle qu’on trouve dans les contes d’autrefois personne n’en a jamais vu. Les seuls êtres étranges dont on parle sont des sangliers à la taille inhabituelle ou de poissons issus de mers lointaines.
Se pourrait-il que la voyante que j’eus fait venir jusqu’ici ne croie en la magie ?
— Si je résume, à vos yeux la magie n’existe pas ?
Aussitôt elle parut offusquée.
— Oh que si, elle existe, mais pas telle que vous vous l’imaginez, Sire. Le Don s’exprime en différentes manières, parfois en songe, parfois en impression, quelquefois en intuition. Ce sont là des choses fort simples, si simples qu’on en arrive à ne pas croire en leur existence. C’est pour cela, Sire, que je dis que seuls les gens de basse extraction en font preuve. Pas que vous ne puissiez avoir le Don, votre Majesté, mais que vous êtes bien trop occupé pour ces choses-là.
Ce qu’elle racontait me paraissait tout à fait plausible et cohérent. Peut-être trop raisonnable à mes yeux. Avais-je voulu, secrètement, que mes rêveries d’enfant fussent vraies ?
— Intuitions, vous dites ?
— Bien souvent c’est la manifestation du Don, lorsque quelqu’un a une intuition fort à propos et qui ne trouve d’explication rationnelle, vous pouvez être certain d’avoir le Don, Sire.
Mes yeux croisèrent les siens, mon expression fut assez neutre pour la tromper. Car je venais de comprendre quelle flatterie elle essayait de faire, flatterie qui avait pour unique but de la protéger : si mes intuitions étaient de nature magique, alors que pouvais-je bien faire contre elle et ses dons de voyance dont je doutais à présent qu’elle en fut dotée.
— Faites attention à ce que vous suggérez, madame. Merci pour votre temps, à présent, laissez-moi.
La femme se plia dans une longue révérence fort maladroite, je ne fis pas un geste cependant pour l’aider à s’en relever. Je l’observais se battre contre l’équilibre et sa robe puis se redresser avec une grimace de douleur. Son regard gris croisa le mien, elle comprit que je n’avais été dupe. La partie était finie, et nous en étions tous les deux perdants. Je n’avais rien obtenu d’elle, pire encore, elle pouvait répandre le bruit que le Roi était superstitieux et fantasque à croire de telles sornettes.
Après qu’elle eût disparu, je fis venir Bontemps qui avait sans nul doute écouté l’échange ne quittant son air inquiet, si bien que sa ride du lion se creusa un peu plus.
— Faites le nécessaire afin qu’elle ne parle à personne de notre entrevue. Pas d’arrestation, ni rien qui pourrait attirer l’attention, qu’on lui fasse peur et qu’on la paie pour son temps et son silence.
Mon Valet baissa la tête, ses lèvres ourlées d’un sourire. La colère qui transparaissait dans mes traits le rassurait, tout comme le contenu de notre conversation. Il devait espérer que cela suffise à mettre fin à ma quête. Je le crus également, et pendant un temps, ce fut le cas.