Chap 3 Patrick avant ses deux ans
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Chap 3 Patrick avant ses deux ans
Malgré la coutume de l’époque, Jeanne respecta la volonté de l’abbé et ne prit pas d’autres bouches à nourrir. Bien qu’elle eut suffisamment de lait pour en rassasier une dizaine comme nous le savons. Elle y perdit en argent mais, y gagna en quiétude car Patrick qui ne pleurait pas, ne dérangeait nullement le voisinage et fut toléré par les propriétaires, ainsi que les autres occupants de la maison où séjournait maintenant Jeanne. Maison à la bonne réputation et pas comme certaines demeures avec une « reputeaction » qui logent des pécheresses.
Pècheresse ? Oui Jeanne ne peut être que femme engrossée hors mariage, car si Jeanne avait été une nourrice, cette gueuse aurait eu flopée de braillards. C’est aussi simple que ça ! Une fois, Jeanne mentionna un mari mort à la guerre et l’on mit fin définitivement à d’éventuels commérages nocifs. La demoiselle payait en avance, il suffisait, n’allons pas ajouter à son chagrin, disaient les propriétaires qui voyaient venir le terme du premier bail et en espéraient bien un second.
Alors que la plupart des mioches qu’elle avait allaités sortaient leur première dent, après à peine six mois pour lui martyriser ses tétons, Patrick attendit bien plus d’un an. Seize mois pour être exact.
Pour le reste, ce que l’on appelle le babillage, l’enfant était en retard, à tel point que Jeanne le croyait muet. Pour ce qui de la curiosité, de ces grands yeux ouverts qui vous dévorent le monde qu’ont tous les bébés, Patrick gardait le plus souvent paupières closes et quand il les entrouvrait, son regard restait dans le vague à croire qu’il ne voyait rien.
Une mère de nos jours, se serait inquiétée de ces divers retards et aurait conduit le bébé chez le pédiatre mais pour Jeanne, un marmot qui ne braille pas, qui ne s’agite pas et ne lui saigne pas les tétons, c’était… On dirait aujourd’hui des vacances, mais à l’époque ni pour Jeanne, ni pour la majorité de la population, ce terme-là n’avait un sens, alors disons-le tout net, sauf le respect que l’on doit à notre Sainte Mère l’Eglise, pour elle c’était le Paradis.
Si Jeanne, qui avait définitivement conclu qu’elle nourrissait un bâtard pervers, idiot et attardé, s’était donnée la peine d’observer attentivement l’enfant, elle aurait immanquablement changé d’avis. Son pensionnaire était loin d’être débile, il prenait son temps et pour ce qui est de la découverte du monde, il avait sa technique bien à lui qui n’avait besoin, ni des yeux, ni de la bouche, ni des mains et encore moins des oreilles mais pour le savoir, il aurait fallu que Jeanne se penche et observe à la lumière le visage de Patrick et plus particulièrement ses narines. Elles bougeaient perpétuellement, à la moindre occasion : un courant d’air, un orage, une souris, une goutte de lait, du tissu… Tout était sujet à faire réagir ses narines de l’intérieur vers l’extérieur comme si c’étaient, elles qui respiraient et non pas ses poumons.
Plus étrange, c’était l’usage que faisait Patrick, enfin son cerveau, de ces respirations : il les classait, les triait, les répertoriait en sections, catégories, sous sections, tout cela sans connaitre le support de ces odeurs. Si l’on vous fait respirer une odeur de pomme, vous pouvez dessiner une pomme, dire le mot pomme, choisir une pomme parmi des fruits différents. Patrick ou plutôt le cerveau de Patrick lui ne pouvait pas, il ne sait pas ce que c’est qu’une pomme, n’en n’a jamais mangée, ni vue. Et des odeurs, il y en a des milliers, des millions d’odeurs à trier, à séparer pour les distinguer et les reconnaître. Un travail de titan qui lui accaparait toute son énergie, cela expliquait son énorme appétit bien qu’il ne grandisse quasiment pas, son cerveau avait besoin pour réaliser son encyclopédie olfactive de grosse quantité de sucre et d’acide gras insaturé qu’il trouvait en grande quantité dans le lait de Jeanne.
De même son prétendu retard n’était qu’apparence, il prenait juste son temps, pour trier chaque nouvelle odeur et la classer. Pour ce qui est du reste comme de parler ou de grandir, ce n’était pour lui ni important, ni vital. Le plus étrange dans cela, c’est que sans le savoir à quatorze mois le nez de Patrick avait déjà déterminé sept sections olfactives : l’odeur florale, l’odeur fruitée, l’odeur animale, l’odeur épicée, l’odeur végétale, l’odeur putride, l’odeur humaine. Dans quelques années, l’odeur humaine rejoindra l’odeur animale mais, pour un bébé qui commençait par découvrir le monde avec l’odeur de Jeanne, de ses seins et de son lait, il ne pouvait pas en être autrement.
On pourrait opposer à cette classification quelque peu rudimentaire un répertoire plus scientifique des odeurs que tous les parfumeurs connaissent qui classent les odeurs selon leur note, pour ne citer que les plus connues : boisée, cuir, verte, ambrée, chyprée, fougère, musquée, poudrée, fleurie, épicée, marine, aromatique… Mais Patrick n’avait pas atteint l’âge de deux ans quand son cerveau représentait et séparait déjà les odeurs en sept familles. Alors, imaginez ce qu’il pourra faire à l’âge adulte.
Comment faisait Patrick ?
Aujourd’hui l’on sait que les chiens ont dans leur cavité nasale une muqueuse olfactive cinquante fois plus grande que celle des humains qui se contentent d’un minable superficie de cinq cm2. Quand on sait, ce que sont capables de faire des chiens, juste avec leur flair… Patrick aurait-il un mucus de chien ? Est-ce là, la particularité de Patrick ?
Pour booter leur flair, les chiens ont une membrane olfactive d’environ 130 cm2 qui tapisse leur cavité nasale, ce qui explique leur long museau. Cette prédisposition naturelle leur permet de mémoriser environ cent mille odeurs. Or, pour ce qui est du museau, rien de cela chez Patrick, il avait certes des narines plus écartées qui laissaient passer plus d’air qu’un adulte mais pas de nez à la Cyrano ou de trompe d’éléphant pour absorber toute cette superficie et les deux milliards cinq cent millions de cellules olfactives qu’il avait. Mais alors ?
Si la science avait pu disséquer le cadavre de l’homme que deviendra Patrick, elle aurait été étonnée en observant son liquide cérébrospinal. Alors que le cerveau d’un homme commun baigne dans un liquide qui se contente du rôle d’absorbeur de choc comme le fait un temps le liquide amniotique chez les femmes enceintes, celui de Patrick était tapissé des mêmes filaments que ceux d’une muqueuse olfactive mais cent fois plus longs, ce qui multiplia par cent la superficie des récepteurs olfactifs de Patrick, soit environ cinq cent cm2. A seize mois le cerveau de Patrick, pourtant encore un bébé, était capable de différencier environ 1 milliard d’odeurs, à la fin de cette histoire il pourra en distinguer plusieurs billions.
Vous comprendrez donc pourquoi cet enfant prenait son temps dans le développement de capacités communes comme celle de parler, voir ou marcher… Sa muqueuse olfactive tapissée entre son crâne et son cerveau nécessitait qu’il muscle et développe en priorité son bulbe olfactif, véritable data center pour mémoriser la plus infinitésimale des odeurs.
Comme tout à chacun, il commença par les odeurs le plus proches et peu à peu huma celle qui étaient à quelques mètres, dizaines de mètres… Les premiers pas d’un enfant ne vont jamais très loin et un jour, on ne le suit plus. L’odorat de Patrick était comme un enfant qui apprend à marcher.
Le lait maternel fut une des premières odeurs qu’il stocka, puis le sébum et la peau. L’odeur de la peau des seins, celle des mains, des pieds…
Les draps, le bois, le feu, la soupe. La soupe de choux, de rave ou de poule. La soupe des voisins moins fournie, plus claire…
La merde des souris, des rats, l’urine des chiens. L’urine des humains quand ils avaient trop bu, pas assez bu, qu’ils étaient malades et bonne santé…
Les feuilles des platanes, l’odeur d’un gland, d’un merlan provenant d’un marché pourtant à plus de trois cents mètres de son lit.
Si à seize mois Patrick ne marchait pas, il avait déjà trié, stocké, mémorisé un milliard d’odeurs de la plus infecte à la plus évanescente. Nul besoin pour lui de se mettre à quatre pattes pour respirer le plancher, ni de se mettre debout pour sentir le morceau de pain sur la table.
Mais à seize mois, depuis quelques semaines Patrick ne découvrait plus de nouvelles odeurs, une ou deux par jour et encore. Pendant ces semaines, le cerveau de Patrick dirigé par son mucus se contentait de comparer et de retrouver dans sa mémoire neuronale olfactive, l’odeur du merlan respirée six mois auparavant pour la faire correspondre à celle du merlan de ce jour. Amusant un moment ; mais frustrant quand on aime collectionner de nouvelles odeurs !
C’est donc à cet âge qu’il commença à grandir mais, il refusa tout autre nourriture que le lait de sa nourrice, malgré sa première dent qu’il sortit à ses seize mois. Comme il était encore petit et très léger pour son âge, qu’il ne faisait pas saigner Jeanne lors de la tété, bien au contraire, celle-ci continua de s’acquitter de sa mission avec un soin presque maternel, disons-le, renforcé par l’argent qu’elle recevait toutes les semaines du prieuré.
A ses un an et demi, un œil avisé aurait remarqué que les narines de Patrick jusque-là très réactives ne s’écarquillaient plus autant, tout juste laissait-elle passer un filet d’air dont elle reconnaissait le contenu déjà classifié et donc sans grand intérêt.
Si à un an et demi à peine certains enfants disposent déjà d’une centaine de mots pour s’exprimer ou d’autres peuvent déjà courir, Patrick qui, lui ne parlait pas, ne bougeait quasiment pas, mais connaissait et pouvait reconnaître sans le moindre doute près d’un milliard d’odeurs différentes. Il ne restait plus qu’à les associer au monde réel en ouvrant vraiment les yeux et vérifier avec le regard que Jeanne en entier paraissait bien ce que son odeur lui avait indiqué.
C’est ainsi qu’à l’âge de dix-huit mois, n’ayant plus de nouvelles odeurs à se mettre sous le nez, Patrick accéléra son développement périphérique sans pour autant rattraper son retard.
Pour Jeanne la sortie de la seconde dent de Patrick, au début du mois d’octobre 1813, fut un déclencheur. A regret, elle posa l’enfant une dernière fois entre ses seins, et prit la direction du couvent pour remettre son pensionnaire et son calepin de notes à l’abbé. Non, pas qu’elle ne l’aurait pas gardé plus longtemps, surtout qu’elle aimait quand il lui respirait entre ses seins, mais elle devait penser à son avenir et n’avait pas oublié la promesse des cents francs or que l’ecclésiastique lui avait fait miroiter à la deuxième dent de l’enfant. Argent qu’il paya rubis sur ongle. L’abbé qui officiait à l’intendance ainsi qu’aux achats et prêts du cloître avait pourtant la réputation d’un avare mais il était encore plus croyant et si cet enfant était encore en vie, c’était une manifestation de la volonté divine qu’il respecta en payant les cents francs or sans discuter.
Après que l’abbé eut remis à Jeanne deux pièces Napoléon de quarante francs or et une de vingt, Jeanne se pencha sur Patrick pour lui faire un dernier bisou. Mais, alors que ses lèvres allaient se poser sur les joues du bébé, les narines de Patrick s’écarquillèrent à s’en déchirer et le petit comme s’il avait compris l’instant de la séparation se mit à pleurer avec force qu’il en devint tout bleu.
Effrayée par cette réaction presque hostile Jeanne s’éloigna. Elle n’avait cure de ce gosse puisqu’elle était riche, maintenant !
Emu par la réaction, certes excessive, mais pleine d’amour et de reconnaissance du petit ange, l’abbé conforta son opinion sur le destin divin de son désormais protégé.
Quelquefois les apparences sont trompeuses mais ni l’abbé, ni Jeanne, ni vous, ni moi à ce stade du récit ne pouvons deviner l’incroyable et devons partager l’opinion de l’abbé à propos de ce chérubin.
Si ce jour même l’abbé reçut l’enfant comme une mission de Dieu, Jeanne, quant à elle perdit la vie.
Naïve et n’ayant jamais eu autant d’argent, elle avait voulu se faire plaisir en achetant trois pommes de terre d’un coup. En ce mois d’octobre 1813, la pluie battait fort la capitale et les marchandises des étals des marchés étaient aussi détrempées que les vendeuses et vendeurs. Ce qui faisait que les légumes, surtout les pommes de terre étaient lavées, relavées et que ces tubercules en paraissaient encore plus beaux. Seulement au moment de payer, l’ancienne nourrice voulut régler la marchande avec la pièce de vingt francs or. La paysanne à qui on ne lui faisait pas, creoyait que Jeanne voulait la voler, brandit la pièce et cria pour que tout le marché l’entende :
- Mesdames, messieurs, qui a un peu de monnaie sur vingt francs or pour madame la Baronne ?
Persuadée que la pièce était fausse, elle se promena dans les travées en exhibant la monnaie, poursuivie par Jeanne qui craignait que ses vingt francs or ne tombent et ne se perdent dans la boue. La scène se déroulait sous les rires et quolibets des vendeurs à la criée, étalagistes et bonimenteurs qui ne voyaient jamais une telle somme, tout juste des décimes, quand ils ne troquaient pas.
- Ca vous fera cent francs or, madame la baronne. Apostropha une vendeuse d’oignons en voulant saisir la pièce à la marchande de pomme de terre mais qui ne se laissa pas faire et bouscula la vendeuse dans la boue. Provoquant le seul éclat de rire de la journée.
L’animation attira des curieux qui ne pouvaient pas voir la scène et se renseignèrent. Il était question d’or. D’une pièce ? Non, d’une pomme de terre en or ! Ou d’une pépite d’or, grosse comme une pomme de terre. Il n’en fallut pas plus pour déclencher une émeute.
Au couteau, au coup de poing, à la hache, à quatre pattes pour les moins valeureux, c’était à qui se frayait le plus vite possible un chemin. Une telle agitation ne pouvait pas, ne pas avoir de fondement, bientôt ce fut tout un quartier qui s’agitait et pour certains en profitaient, soit pour régler ses comptes, soit effacer des dettes en trucidant le créancier…
La marée chaussée tira dans le tas, mais cette rumeur de pépite d’or plus grosse qu’un melon avait aiguisé les esprits les plus vifs qui dressèrent des barricades et ce n’est qu’à la nuit tombée que le calme revint. L’on dénombra trente-trois victimes, et l’on en aurait compté plus du triple de blessés si la plupart de ceux-ci n’avaient pas profité de l’obscurité pour aller se soigner ou mourir loin d’une condamnation au bagne systématique en pareil cas.
L’on charria sur le même tombereau, la marchande et Jeanne, toutes deux méconnaissables tant la boue les avait recouvertes, avec serrées dans leurs mains rigidifiées par la mort, pour l’une la pièce de vingt francs or et pour la seconde une pomme de terre.
Le lendemain, l’on fit une enquête et les nouveaux étalagistes qui n’avaient rien vu, ni rien entendu, car la plupart absents, sinon ils seraient morts, rapportèrent qu’une femme aurait sorti de sa poche une pépite d’or grosse comme une pomme de terre et que des voyous l’auraient agressée, tuée et dépecée pour en trouver d’autres jusque dans ses entrailles, avant d’être eux-mêmes attaqués par d’autres coupe jarrets… Un seul témoin, une vieille, parla d’une pièce de vingt francs or, peu vraisemblable. C’était, en ces quartiers populeux, prétendre avoir vu la vierge… Encore que…
L’on chercha quand même une pépite ou une pièce d’or. Mais dans la boue ! Pendant la fouille, un coup de fusil stoppa net la fuite d’un gamin qui avait dans sa main quelque chose dont la forme pouvait faire penser à une pépite. Une fois lavée, débarrassée de l’épaisse couche de boue, ce n’était qu’une pomme de terre !
Finalement journaux et maréchaussées conservèrent, la version de la pépite d’or plus exotique et plus vendeuse. Quant à la seconde pomme de terre, elle rejoignit un oignon orphelin, pour faire une soupe à un gendarme. Pour ce qui est de la troisième, ce livre ne traite pas de son histoire.