Queer ? Qui es-tu ?

Fin XIXe en GB, Le mot « queer » est un mot anglais qui signifie bizarre, étrange.

Il évoque péjorativement les garçons féminins ou les filles un peu trop garçonnes.

On pense au baroque, qui vient de barroco en portugais, une perle irrégulière et va définir un mouvement artistique qui évoque le changement. Dans les années 1920 et 30, « queer » désigne en GB les homosexuels discrets par opposition aux « fairies » plus efféminés. Puis le mot est abandonné pour Gay.

Il revient aux USA à l’instigation de lesbiennes racisées, issues de minorités, qui ne trouvent pas d’étiquette les représentant. Avec l’apparition du mouvement « Queer Nation » dans les années 90,qui vise à lutter contre l’homophobie et aider à l’acceptation de toutes les minorités sexuelles. Est queer « une personne dont l'orientation sexuelle ou l'identité de genre diffère de la vision binaire normative des genres et des sexualités. Le terme se veut donc une bannière générale. Le genre signifie : est-ce que je me sens plus homme ou femme, et la sexualité correspond à qui je désire. Un homme peut se sentir féminin et désirer des hommes ou des femmes.

Va donc, queer !

Queer, c’est l’insulte reprise par le groupe stigmatisé pour en faire une force

Oui, nous sommes queer : étrange différent et alors ? Nous l’affirmons. Comme ceux qu’on traite de « bouseux » ou « pécore » revendiquent une fierté prolétaire.

On pense à « l’impressionnisme ». En 1874, le critique Leroy dans le Charivari, commente Impressions au soleil levant de Monet en écrivant : « Impressions, impressions, ce sont bien là des impressions… » et le groupe des peintres : Monet, Manet, Berthe Morisot revendiquent l’appellation « Les Impressionnistes ». Ils reprennent la dénonciation pour en faire une affirmation.

De même, le terme « nègre » est repris par les créateurs du mouvement de « la négritude », pour en faire une fierté noire. Les sœurs Paulette et Jane Nardal, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor réunissent dans ce mouvement les revendications différentes de noirs des Antilles, d’Afrique, d’Amérique du nord. L’identité noire et la culture noire naissent de la réaction au colonialisme et d’un vécu commun de rejet. Le communautarisme se construit en résistance. Face à une situation d’injustice se forme une union, afin de lutter contre les préjugés et la discrimination

Sous la bannière queer

C’est une bannière Inclusive qui représente des singularités variées « Un front populaires des minorités sexuelles En effet, ce terme regroupe un large spectre de minorités les LGBTQIA+ = Lesbienne, Gay, Bisexuel, trans, en questionnement queer, Intersexe, Asexuel et autres. Chacun utilise ensuite le mot précis qui lui convient pour se définir. Queer regroupe les personnes stigmatisées pour leurs différences avec une vocation universaliste.

Sous cette dénomination se retrouvent des groupes qui ne sont pas toujours solidaires, un peu comme dans le « Nouveau Front populaire » en politique. Des hommes gays que les lesbiennes accusent parfois de soutenir le patriarcat. Des dragqueen hyper féminines et des lesbiennes butsh très masculines qui n’ont pas la même définition de la féminité. Des identités singulières forment une pluralité inclusive.

Diversité queer

Certains plus virulents, crient fort des slogans qui dérangent les plus discrets. Dans le terme Queer, s’entend la revendication d’exister ouvertement. D’aucuns défendent les couleurs arc en ciel, d’autres préfèrent l’anonymat.

Jean Paul Sartre dans Réflexions sur la question juive, en 1946, déclare que le juif se définit dans le regard de l’autre. Il distingue les juifs authentiques qui se sentent opprimés, les inauthentiques qui se fondent dans la masse sans se plaindre. Authentique ? Le terme n’est pas neutre. L’individu queer peut s’indigner des discriminations dont sont victimes les minorités sexuelles ou se fondre dans la société au risque de perdre son identité. Certains ont même voulu, créer un état séparé où les queers pourraient vivre en sécurité, en Californie, il y eut des quartiers roses.

La popularisation du terme dans les médias a vu certes parfois certains s’associer au mouvement queer par opportunisme : des chanteurs ambiguës sur leur coming out.Dans l’université le terme a été parfois repris sans vraiment apporter une réflexion, mais c’est le plus souvent une manière inclusive de prendre en compte les minorités cis, lesbiennes, gays, trans... la vision d’un universalisme solidaire dans la société.

Pourquoi est-il important d’être solidaire des queers ?

Nous sommes dans une période où la tendance à imposer des normes et revenir sur des droits sociaux revient fortement, soutenir les minorités stigmatisées est d’autant plus important. Or qu’est-ce qui peut faire peur dans le queer?

Le signifiant Queer est d’origine étrangère ?

Pourquoi prendre un anglicisme et pas un mot français ? Ce 6 décembre 2024 avait lieu à l’académie française un colloque sur les 30 Ans de la loi Toubon, visant à privilégier la langue française. Jacques Toubon a déclaré que la richesse de la langue est qu’elle est libre, elle intègre des nouveaux mots et on peut seulement proposer des recommandations mais chacun choisit. Il existe en français le terme « transpédégouine » qui est utilisé aussi. Il parait plus choquant, l’insulte est claire. La distance de la langue étrangère adoucit l’attaque. Et puis qui choisit le terme qui désigne le groupe ? Est-ce de façon endogène ou exogène ? Chacun se reconnait sous une appellation ou non et l’adopte.

Le signifié : le queer est-il une nouveauté, une mode ?

Si le mot est relativement nouveau, la réalité existe depuis toujours. Dans l’antiquité, l’homosexualité est affichée et reconnue. L’empereur Adrien a dressé des statues à son amant Antinoüs, Alexandre aimait Héphestion. Sappho chantait à Lesbos les amours lesbiens. Les couples homosexuels, les changements de genre sont attestés à toute époque plus ou moins cachés : Lord Byron condamné pour homosexualité, Virginia Woolf bisexuelle crée le personnage d’Orlando qui change de sexe. Colette, Simone de Beauvoir ont aimé des hommes comme des femmes, elles ont été bisexuelles, André Gide était homosexuel, marié à une femme. Yourcenar est partie aux Etats Unis vivre avec sa compagne. Aimer quelqu’un du même sexe, changer au cours de sa vie, douter, cela a toujours existé. L’intersexualité (hermaphrodisme) aussi : 1,7% des humains naissent intersexués dans le monde, en France cela représente 12800 enfants par an, soit autant que les roux.

Aujourd’hui une des avancées sociales est la reconnaissance par des états d’un genre non binaire ou neutre, dans une quinzaine de pays tels l'Argentine, l'Autriche, l'Australie, le Canada, la Colombie, le Danemark, l'Allemagne, l'Islande, l'Irlande, Malte, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, l'Inde, le Népal et certains états des États-Unis en 2023 mais pas en France, où les attaques transphobes et homophobes ont augmenté en 2024. N’est-il pas temps de reconnaitre le genre neutre ?

Défendre les queers c’est défendre la liberté individuelle

La liberté de disposer de son corps et de son cœur, ne pas imposer une norme, une manière d’aimer unique. C’est accepter l’autre dans sa différence, toutes les différences, même sexuelles, même si je ne les comprends pas toutes, c’est accepter qu’on ne soit pas tous ou noir ou blanc mais qu’il existe « 50 nuances de Grey ».

Qui est à même de définir la norme en matière de sexualité ? La norme binaire est ce : Mitterand : 2 familles, une officielle, une cachée, Mazarine sortie de l’ombre ? Chirac une femme, quantité de maitresses ? Sarkozy divorcé, remarié ou Hollande, non marié et trompant sa compagne ? Trump avec une femme de 23 ans de moins, ou Macron une femme de 23 ans de plus ? Ils sont tous binaires, Cis. Définissent-ils la normalité ?

Peut-on interdire à quelqu’un d’aimer ? Peut-on dire à quelqu’un qui il est, fille ou garçon, de façon autoritaire ? L’Interdiction d’être soi est le plus grand danger de nos sociétés.

La pensée unique en sexualité rejoint l’autocratie et le totalitarisme

Dans les régimes dictatoriels, les minorités sexuelles sont pourchassées. Les homosexuels furent déportés par les nazis. En 2020, 69 pays répriment l’homosexualité dans le monde, 31 pays la criminalisent en Afrique, soit au nom de la religion, soit pour imposer un modèle masculiniste fort et autoritaire. Poutine s’est fait le chantre d’un modèle masculiniste fort et autoritaire, que valorise Eric Zemmour dans Le Premier sexe. Sous Poutine en Russie comme Trump aux USA, sous Bolsonaro au Brésil, sous Orban en Hongrie ou Mélonie en Italie, on évoque des Thérapies de reconversion fantaisistes mais combien douloureuses, des emprisonnements dans certains pays sont convoqués pour ostraciser les déviants, voire de la torture en Ouganda. Aux Etats-Unis, les Queer sont victimes de coupes nettes des aides, des soutiens médicaux… quelles seront les nouvelles attaques contre leurs droits humains ? Les américains ont vu comment le droit à disposer de son corps lors de l’avortement a pu être remis en question aisément, et s’inquiètent à raison de voir d’autres libertés disparaître rapidement donc soyons vigilants.

Enseignement à l'école

Actuellement certains voudraient limiter l’enseignement sexuel à l’école et notamment la question des genres. Que voulons-nous dans notre société ? Des enfants éduqués à l’école à une sexualité respectueuse et à l’inclusion ou invités à s’informer sur les réseaux sociaux et à découvrir la sexualité avec les films porno ? Et continuer à entendre résonner joyeusement dans les cours de récré « Sale pédé, grosse gouine » ? Cet enseignement de la sexualité a été imposé par une Loi de 2001, amendement demandé par la droite afin de limiter le nombre d’IVG, mais il a très peu été appliqué depuis. Il a été modifié, adapté à l’âge des enfants bien sûr. Il éduque à la vie affective, émotionnelle et au respect de l’autre. Un apprentissage progressif n’est-il pas mieux pris en compte par un enseignant que par le voisin ou le petit copain ? Voire les réseaux sociaux qui colportent que : c’est certain ! Emmanuel Macron est homosexuel et Brigitte Macron trans, on nous cache qu’ils sont Queer ! C’est le grand complot et être queer l’insulte suprême !Que peut-on craindre ? Que les enfants soient contaminés ? C’est donner beaucoup de poids à l’école que de penser que l’enseignant pourrait infléchir les attirances sexuelles quand on a tant de mal à faire modifier les fautes de grammaire ou les maths ! En cours d’histoire, on travaille sur l’esclavage sans contamination de la classe. L’enfant pourrait réfléchir ? douter ?

La philosophie queer interroge les normes sociales

La philosophie queer questionne les identités figées et les catégories binaires dans le but de promouvoir la liberté individuelle, l’égalité et la fraternité.

Les intellectuels français ont été à la pointe de cette pensée. Simone de Beauvoir en définissant la féminité comme une construction sociale, avec son célèbre « On ne nait pas femme on le devient » pose des bases. Michel Foucault dans son ouvrage Histoire de la sexualité (1976-1984) définit la sexualité comme un champ de pouvoir, de régulation et de normalisation dans les sociétés modernes, qui tentent d’imposer des catégories fixes de l'identité sexuelle (l'hétérosexualité et l'homosexualité). Les sociétés modernes gèrent et régulent les populations à travers des dispositifs de contrôle des corps et de la sexualité. L’américaine Judith Butler, philosophe du genre et de la justice sociale, a développé cette pensée dans Troubles dans le genre (1990). Le genre n'est pas une identité fixe ou naturelle, mais une performance répétée selon des normes sociales. Les catégories binaires de sexe (homme/femme) sont construites et maintenues par des actes performatifs afin de légitimer des pouvoirs. Monique Wittig, française partie aux US, a dénoncé La pensée straight, qui impose une définition genrée, et déclaré : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes », puisqu’elles sortent des normes du féminin.

Jean Genet a questionné l’identité masculine et gay dans ses romans comme Jean Cocteau dans ses œuvres. Ils sont français, américains tous ceux qui oeuvrent à cette compréhension de l’individu, voire franco-libanais comme Amin Maalouf dans Identités meurtrières qui définit l’individu comme la somme d’identités multiples.Donc on peut être, par exemple, père de famille, musulman, espagnol et gay, même si certaines identités entrent en conflit.

À une époque où les algorithmes tendent à perpétuer, voire renforcer les normes et carcans de genre, n’est-il pas plus que jamais essentiel de réfléchir à l’acceptation de l’autre, au vivre ensemble et aux stratégies pour résister à une pensée unique liberticide ?

Pourquoi ne pas lire des penseurs queer pour mieux comprendre la pensée de la différence ? Mettre en place des stratégies pour une IA plus inclusive (comme le propose l’UNESCO) et lutter contre des algorithmes qui reproduisent et perpétuent des schémas coercitifs et limitants. Se réjouir de voir la tolérance et l’acceptation de l’altérité permettre à chacun d’être heureux. Qui est différent m’enrichit.