L'enterrement se déroule quatre jours plus tard.
Un ciel bleu pâle à peine griffé de quelques traits nuageux.
Glacée de peur, Valérie redoutait ce jour-là. Sa mère Rose allait-elle se déplacer ? Sa sœur Hélène s'était chargée de prévenir la famille. Les enfants de Pierre viendront, malgré leurs occupations et la distance. Ils ne s'attarderont pas, ils profiteront pour aller chez des amis proches. Valérie part avec des spasmes qui tortillent son ventre.
Un repas allégé a coupé son appétit.
Avant de pénétrer dans l'église, Hélène s'avance vers Valérie alors qu'elle se mélangeait à la foule. Elle lui parle doucement. Rose était là , elle foudroyait sa fille avec des yeux menaçants. Valérie ressent une terreur, la crainte qu'un éclat ne se produise pas entre elles. Valérie préfère se détacher et s'abriter sous le porche. Une pluie battante s'abat sur le parvis. Hélène est la seule à la soutenir.
Le corbillard arrive avec le cortège de la famille. Le cercueil recouvert de décorations de gerbes. Les plantes et les bouquets de fleurs témoignent de sa gentillesse, et dans les mémoires, il restera les souvenirs des moments agréables, de tous ceux qui l'ont côtoyé et aimé. Pierre connu dans le village, on parlera encore de plus longtemps. Sa famille, ancrée dans la petite bourgade depuis plusieurs générations, tenait le même commerce de quincaillerie.
Valérie avec ses lunettes noires dissimule son chagrin. Le cercueil est porté avec plusieurs hommes costauds. Les gens suivent le mouvement au son de l'orgue et se dispersent dans l'église.
Valérie s'accroche au banc précédant lorsqu'elle était debout. Accablée, elle se recueille pieusement. Elle marmonnait des prières. Cependant, un besoin de méditer.
Durant la cérémonie, Aude, Damien et Alexandre observaient Valérie et Matthieu isolés dans leur coin. Intrigués, ils chuchotaient et se questionnaient, qui étaient-ils ? Leurs attitudes n'échappaient à personne du peu de concentration pendant la messe. Ils étaient obsédés à savoir s'ils avaient un rapport avec leur famille ou s'ils n'étaient qu'une relation avec Pierre.
Lors du cheminement vers le cimetière, Matthieu accompagne sa mère en présentant le bras et elle s'appuie pendant sa marche. Le convoi funèbre progresse vers la dernière demeure de Pierre. Une ultime bénédiction du cercueil avec le signe de croix. Les regards insistants se tournent vers Valérie et Matthieu. Ils finissent par partir.
Quelques jours plus tard.
Valérie se rend avec son fils chez le notaire. Bien entendu, elle avait prévenu Matthieu qu'il pourrait hériter. Dans son bureau, des archives, les uns sur les autres, un vrai désordre.
Le notaire portait de grosses lunettes, une grande moustache, des cheveux épais et une taille moyenne. Il attendait ses clients. Pour ne pas perdre de temps, il fouille dans les papiers. Il les pose sur la chaise. Enfin, voilà le dossier de Pierre Duchemin.
Valérie fait son entrée avec Matthieu.
— Ah ! Vous êtes en avance, veuillez prendre la peine de vous asseoir. Nous n'allons pas commencer tout de suite, d'autres personnes vont venir.
— Je suis l'ancienne femme de monsieur Duchemin.
Le notaire enlève ses papiers de la chaise et les met par terre.
Aude se fait remarquer par son entrée avec son élégance. Vêtue d'une grande robe avec un décolleté et des chaussures à talons. Un collier de perles entourait son cou, des boucles d'oreilles et un bracelet à son poignet. Ses cheveux châtains longs retombaient sur ses épaules. Damien ressemblait à Pierre aussi grand que lui, des lunettes au bout du nez avec un costume cravate en noir. Alexandre, plus trapu et court sur les jambes, hoche sa tête pour saluer Valérie et Matthieu. Aude fixe avec dureté Valérie , le regard oblique et bas, le sourcil mi-levé, supérieur, jugeant. Valérie baisse la tête. Mattthieu se détourne.
— Je suis Aude Duchemin, voici mes frères Damien et Alexandre.
Aude tousse et cache son visage.
—Je regrette de ne pas avoir rendu visite à mon père plus souvent.
— Oui, mais Aude, tu oublies avec ta profession, tu ne pouvais pas te permettre.
— Malheureusement tu as raison Alexandre.
Le notaire saisit le testament du défunt. :
— Bien,maintenant que tout le monde est là , nous allons pouvoir,si vous voulez bien, je vais procéder à la lecture.
Il marque plusieurs pauses et observe la famille.
— Je, soussignée Pierre Duchemin, déclare que je lègue ma maison et la voiture à Matthieu n’ayant jamais participé à son éducation ni à ses études depuis ses trois ans...
Aude et ses frères se lancent un coup d'œil interrogatoire.
— Par contre, j'ai décidé de ne rien donner à mes trois enfants. Ayant payé leurs études et les ayant supportés pour qu'ils parviennent à la réussite professionnelle, j’estimais ne rien leur devoir.
Le notaire relève la tête.
— J’en suis très fier. Nos rapports étaient affectueux. Depuis, je n’ai plus eu de nouvelles et aucune visite. Pour moi, c’est du mépris et un abandon. Par conséquent, je considère ma décision juste. Pierre Duchemin.
Un rappel à l'ordre qui pointe un comportement erroné depuis toutes ces années. Cela reste coincé à travers de la gorge. Une vérité qui ne plaît pas, mais remet les pendules à l'heure.
Aude s'interpose avec un regard plein d'animosité. Elle fronce les sourcils.
— Attendez, ne me dites pas qu'il va hériter son fils bâtard ?
Les yeux de Matthieu s'humidifient.
D Aude se régale de satisfaction de les voir sans réagir. Valérie prend la réflexion de plein fouet et sans voix. L'effet d'être désignée du doigt l'atteint. La violence des mots.
Le passé avec sa mère, voilà les reproches qui se renouvellent. La douleur, les regrets, l'amertume. Valérie serre la main de Matthieu. Elle se recroqueville, elle préférerait ne plus exister. Cet instant déstabilise le notaire, il bredouille.
— Madame Valérie Poinsard ne peut pas hériter en tant qu'ex-femme, mais son fils, même s'il est mineur, elle gérera son héritage jusqu'à sa majorité. Je vous rappelle qu'il a les mêmes droits que vous, il l'a reconnu à sa naissance.
— Elle a détruit notre famille, elle a profité de l'absence de notre mère pour coucher avec notre père.
Alexandre lui tapote le bras et la supplie d'arrêter. Aude fusille des yeux et manifeste un rejet en poussant.
—Stop ! Nos parents ont divorcé, Valérie n'est pas en cause.
— Ta mémoire est courte, c'est tout le contraire.
— Cela s'est passé pendant nos études, nous n'avions jamais rencontré Valérie et Matthieu.
— Et pourquoi à ton avis ?
Moins virulente, Aude se radoucit avec une voix charmeuse.
— Oui, mais je n'ai pas de clés, nous avons nos affaires et nos souvenirs. Nous aimerions les récupérer.
Valérie a un sentiment latent, de marbre en apparence. Au fil du temps, elle a appris à montrer une certaine froideur face à ses rivaux. Le notaire s'en amusait devant cette comédie théâtrale d'Aude. Valérie ne disposait pas du trousseau de clés sur elle. Sans un mot, elle quitte la pièce pour revenir quelques secondes plus tard. Elle pose sur le bureau. Matthieu, penché sur sa chaise, n'échange pas avec sa famille. Damien remercie un peu dans ses petits souliers et sourit. Aude donne un coup de coude de mécontentement.
— Bien, nous allons clore, si vous avez des questions, n'hésitez pas surtout.
Valérie ne désire pas prolonger et signale d'un signe de tête son refus. Aude s'accapare des clés et les tient dans sa main.
Valérie se tourne vers elle et opine d'un court sourire, puis dévie son attention sur Matthieu. Elle ne décroche pas un mot. Aude hautaine se lève en premier. Sûre d'elle et confiante, elle se démarque de ses frères.
— Merci Maître, nous ne manquerons pas de vous aviser.
Aude et ses frères se sauvent en premier. Une fois assurée de leurs départs, Valérie remercie à son tour et prend congé avec Matthieu.