Célimène 98
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Célimène 98
Lycée Claude Bernard, Villefranche sur Saône, Septembre 1998
Je ne le sais pas encore, mais je la reverrai quelques années plus tard, assise devant le comptoir étriqué de "la Cave à Bières", point de chute des amateurs de rock trempé dans le jus de houblon. J'abandonnerai alors mes potes et ma copine sera rendue évanescente par l'épaisse fumée de sa propre clope. Hardiesse du jeune étudiant fraîchement émancipé, j'irai lui présenter les hommages humbles de celui qui est redevable. Dans un échange nouveau au vocabulaire débridé, si loin du lycée et de ses conventions, je l'écouterai et lui parlerai ardemment. Je goûterai une dernière fois à sa voix d'agave au sucre enfoui profondément sous l'épine, le tabac peut-être, le bruit ambiant sans doute. Et puis, foutu pour foutu, j'essaierai de la faire rire, d'arracher ces lèvres mi-closes à la loi de Newton et à la mélancolie. Après quoi je la saluerai poliment, emportant avec moi ce qu'il me restera de regrets et de fierté, rejoignant mes amis mi-saouls et mon amie toujours transparente.
Non je ne le sais pas encore, après tout nous ne sommes qu'en Septembre, mais cette année de seconde sera heureuse : sur moi coulera le verbe comme coule sur l'arbre tordu la plus pure des rosées. Nous ne sommes qu'aux prémices de la lente conquête du lycéen par les mots. Je la vois encore lointaine, affairée à tenter d'ouvrir nos egos adolescents. Le mien vient d'être momifié pendant un an dans un corset, sarcophage on ne peut plus clos.
Sûre de sa force... Sait-elle déjà que j'attendrai chacune de ses apparitions de l'impatience dont se drapent les fous ? Messie féminin et itératif qui, de sa haute langue et de sa morgue feinte, fera poindre en moi la sève hallucinée de l'élan poétique. Elle s'en désole sûrement déjà : tous ces garçons aux hormones désordonnées, aux regards parfois ébahis, ne voient en elle que la femme mûre - a-t-elle seulement 30 ans ? - qui agrège toutes leurs pensées obsédées. Trompés par les évocations érotiques des paragraphes qu'elle nous lira, les plus lubriques verront en elle une libertine, moi je la voudrai libre et je l'imaginerai libérée.
Septembre... qu'il est long ce mois pour qui découvre sa classe ! Je n'ai pas encore le goût de ses jambes en fuseau, de sa chevelure rousse mi-longue et de sa taille frêle qu'elle habillera souvent de violet. Je n'ai pas encore bu le philtre des mots-jolis, je ne connais pas encore le frisson de cet amour chaste, qui, purement littéraire, se vit exclusivement en salle de cours et ne souille aucun lit.
Non, aujourd'hui je flippe à mesure qu'elle rend les copies. Je ne connais que peu mes camarades, mais j'en sais déjà les ambitions. Il est ici des plumes graciles, des stylos doués ; finie l'époque où je rayais toute concurrence d'un trait de plume enfiévré ! Ces camarades-là couchent l'encre comme les dragons crachent le feu et chacun reste donc à distance de l'autre pour ne pas être brûlé. Les notes sont moyennes, peu de commentaires élogieux : l'exigence est forte. Et pourtant ce sujet.... Ce bon vieil Alceste, Le Misanthrope, ce vertueux, pourfendeur de l'hypocrisie à l'honneur injustement ridiculisé : je le connais par cœur. Il y avait ce groupe de metal nommé comme la pièce qui déroulait son concept autour de ce personnage dans une écriture altière et très référencée. J'en étais tellement fou qu'il m'avait fallu connaître leur source d'inspiration. Mon Molière préféré : je me reconnaissais dans cette neurasthénie, dans cette haine des usages sociaux où la vérité se courbait devant les susceptibilités.
Molière était arrivé à point à la rentrée. Mais ce qui, la semaine dernière, me semblait évident, l'est beaucoup moins maintenant. J'avais employé la technique habituelle, rodée pendant quatre années de collège : de l'audace et du panache quitte à produire des poissons noyés ! La plupart des professeurs s'y étaient laissés prendre, on attend en 5e bien peu de fulgurance. Pourtant l'an dernier en 3e, une prof peut-être maline, peut-être retorse, ne s'était pas toujours laissée embobiner... Et elle alors ? Que va-t-elle penser ? Après tout Fabrice, ici tu maîtrises plus que la forme, tu connais également le fond... Oui, mais je ne voudrais pas être moyen, je veux lui montrer qu'Alceste et moi nous souffrons ensemble, nous ne sommes qu'un.
— Fabrice !
Je lève la main, le regard de la classe braqué sur moi comme en un seul et puissant projecteur : le roi(telet) est nu. Elle traverse la salle prestement, sans un mot. Elle est derrière moi, je me retourne, elle parcourt rapidement ma copie, me la tend rapidement, sans sourciller, avec comme seul commentaire : « Atrabilaire, ça ne prend qu'un seul T. »
La classe est incrédule, je suis désarçonné... Je regarde ma note : 17/20. J'exulte ! j'ai enfin été compris ! Elle s'éloigne, gonflée de la prestance nouvelle que mes yeux humides lui octroient. Plus rien ne compte désormais, je suis amoureux.