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Chapitre 6 - Cela semble vous amuser

Chapitre 6 - Cela semble vous amuser

Veröffentlicht am 3, Feb., 2024 Aktualisiert am 20, Juli, 2024 Crime stories
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Chapitre 6 - Cela semble vous amuser

— Voilà qui est intéressant, murmura Strange d’un air ravi en sortant une paire de gants en cuir de sa poche.

— Que voyez-vous d’intéressant ? interrogea Alexander, mi-intrigué, mi-dégoûté.

— Rien pour le moment, et c’est cela qui est intéressant…

Il s’approcha du cadavre et prit son bras. Il le manipula plus d’une demi-minute avant de descendre à ses doigts qu’il plia lentement. Finalement, il le lâcha avec un soupir exaspéré.

— Wilson, comptez-vous réellement rester aussi immobile et silencieux qu’une tombe ? questionna-t-il sans cacher le reproche dans sa voix.

— Mais que diable voulez-vous que je dise ? s’étrangla le concerné, piqué au vif.

— Je ne sais pas, mais ce silence est pesant ! Quoiqu’il en soit, cet homme est bel et bien mort au cours de la nuit. C’est à peine si la rigidité cadavérique a atteint ses doigts.

— C’est ce que nous avait dit l’inspecteur, fit remarquer le blond.

— Si nous devons nous appuyer sur les hypothèses de Carter, nous ne sommes pas près de résoudre ce cas, répliqua Strange sans s’énerver.

— Et quelle est la vôtre ?

— Je n’en ai pas. Je relève les faits d’abord, après, je réfléchirais. D’ailleurs, vous me seriez plus utile en prenant ceci…

Il lui lança une deuxième paire de gants qu’il rattrapa au vol.

— Et que vous examiniez ce stylet pour moi.

Alexander ne chercha pas à discuter, mit les gants et s’approcha de l’arme. Il en saisit délicatement le manche et le regarda sous tous les angles.

— Que suis-je censé voir ? demanda-t-il après quelques secondes de silence.

— Que voyez-vous ?

— Du sang et du métal.

Strange se redressa et tourna la tête vers lui, un sourire amusé au coin des lèvres.

— Allons, un petit effort, Wilson…

— Je ne suis pas détective, moi, protesta le militaire. Je devais vous aider avec le loyer… attendez un instant…

Ses yeux se fixèrent sur la lame et il resta silencieux un moment. Comprenant qu’il s’agissait d’une potentielle découverte, son colocataire le rejoignit et s’accroupit à côté de lui.

— Ce sang est relativement frais, constata le noiraud avec déception.

— Ce stylet a été utilisé avant, murmura Alexander. Regardez près de la garde, ici…

Son compagnon prit son poignet et approcha l’arme de son visage. Un sourire étira soudainement ses lèvres, comme s’il était ravi.

— Effectivement, il y a une tache de sang séché. On s’en est servi avant qu’il ne soit utilisé pour tuer monsieur… j’ai oublié son nom.

— Pembroke.

— Oui, lui. Très bonne découverte, Wilson !

Strange se releva sans suite, comme si cette information était devenue inutile.

— Vous pensez qu’il a été poignardé avant le coup fatal ?

— Je vous l’ai dit, je ne pense pas…

L’ex-inspecteur se dirigea ensuite vers la cheminée et remua légèrement les cendres et le charbon.

— Ah-aaah !

Il ressortit du tas un morceau de papier à moitié calciné et aux bords noircis. Il le tendit à son compagnon qui l’examina à son tour. Il n’y vit qu’un mot presque indéchiffrable.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Quand on jette un papier au feu, c’est pour le détruire, répondit Strange d’un air vague. Et ce que les autres cherchent à réduire en cendres peut m’être utile…

— Comment pouviez-vous savoir que vous trouveriez quelque chose dans la cheminée ? questionna le soldat sans comprendre.

— J’espère que vous plaisantez… soupira son interlocuteur. Nous sommes au début de l’été, qui allumerait un feu par un temps aussi radieux ? C’était évident.

Sans se redresser, le noiraud commença à arpenter la pièce à quatre pattes, comme un chat à la poursuite d’une souris. Il contourna le lit avant de s’arrêter brusquement. L’air songeur, il attrapa le bas de la couette qui couvrait les jambes du mort et la souleva avant d’examiner ses pieds.

— Qu’est-ce que vous faites ? marmonna Alexander en haussant un sourcil sceptique.

— Il saignait, chuchota son interlocuteur.

— Je veux bien le croire, il a reçu un stylet dans le cœur, le railla le soldat avec ironie.

— Il y a un peu de sang sur le tapis, mais il était légèrement étalé, reprit Strange sans hausser la voix. Ce qui signifie qu’il l’a essuyé. Mais il a forcément constaté qu’il perdait du sang…

Il laissa retomber la couette avant de prendre la main qu’il n’avait pas touchée. Il la retourna dans tous les sens avant de la reposer.

— Il ne s’en est pas aperçu… marmonna-t-il comme s’il essayait de lier les éléments dans son esprit.

— De quoi parlez…

— Inspecteur Carter ! appela le noiraud d’une voix forte.

L’intéressé ouvrit la porte et passa la tête.

— Avez-vous besoin de quelque chose ? demanda-t-il avec amabilité.

— Oui. Ce verre, lança Strange en désignant le récipient sur la table de chevet, l’avez-vous examiné ?

— Bien sûr, acquiesça le châtain avec un hochement de tête approbateur. Le poison était une de mes premières hypothèses pour expliquer que Lord Pembroke ne se soit pas réveillé lors de son assassinat. Mais elle s’est avérée erronée : c’est un simple verre d’eau apporté par un domestique hier.

— Pourquoi voulait-il un verre d’eau ? interrogea Alexander.

— Il s’est apparemment senti mal et a demandé à boire. C’est compréhensible après la soirée qu’il venait de passer. Il y a une réception ici.

— Les fameuses soirées mondaines, lâcha Strange avec un ricanement amer.

Soudainement, son rictus disparut. Son visage prit un air sérieux, avant qu’une lueur de lucidité ne passe dans ses yeux bleus.

— La soirée… murmura-t-il pour lui-même. Bien sûr, c’était forcément là !

Il récupéra rapidement le bout de papier trouvé dans la cheminée, avant de passer à côté de Carter pour sortir de la chambre. Il semblait terriblement impatient et agité.

— Qu’avez-vous découvert, Strange ? demanda l’inspecteur-en-chef, visiblement intrigué.

— Ce meurtre n’a rien d’anodin, il était intégralement planifié ! s’exclama le noiraud avec excitation. Nous avons droit à un criminel intelligent ! Je les adore, avec eux, tout est dans la subtilité !

— Mais de quoi parlez-vous ? insista Carter en le regardant partir en direction des escaliers.

— Votre Lord…

— Pembroke, compléta le soldat.

— Oui, lui ! s’impatienta son colocataire. Il a été poignardé pendant sa soirée, au milieu de la foule ! C’était prémédité !

— Mais ce n’est pas logique, protesta Patel, alerté par le bruit. Sa chemise de nuit est trouée, on l’a attaqué pendant la nuit.

— Oh toi, tais-toi, siffla Strange avec mauvaise humeur. Tu fais régresser l’intelligence de toute la maison. Carter, dressez la liste de tous les invités de Lord-Chose !

Le concerné resta immobile, ne sachant visiblement pas ce qu’il devait faire.

— Vous savez que je suis le meilleur et que je ne dirais pas ça sans preuve de ce que j’avance ! continua le noiraud. Je vous expliquerai ça tout à l’heure si vous le voulez.

— Bon, très bien, céda son interlocuteur. Sergent, allez interroger la famille du défunt.

— Wilson, nous partons !

Le blond hocha simplement la tête et suivit son compagnon. Alors qu’il dévalait les marches rapidement pour le rattraper, il se surprit à apprécier cette sortie pourtant sordide, voire macabre. Son esprit de combattant semblait être tout éveillé à l’idée d’une énigme à résoudre.

Sa curiosité était tout aussi active. Il avait été surpris par son colocataire : après avoir été un fumeur avachi sur le canapé, silencieux et presque immobile, il devenait un chien de chasse surexcité et bavard qui suivait sa piste.

— Où allons-nous, cette fois ? interrogea Alexander en marchant aussi vivement que l’ex-inspecteur.

— Juste au bureau de poste de l’autre côté de la place. Je dois envoyer un télégraphe à quelqu’un en urgence.

— Qui donc ?

— Une personne qui était certainement à cette réception et qui a peut-être pu voir quelque chose !

Il ne fallut pas plus de cinq minutes pour que Strange envoie son message. Son excitation semblait être un peu redescendue, mais il restait un sourire persistant sur son visage. Sur le trajet pour retourner à la maison des Pembroke, l’enquêteur alluma une cigarette.

— Commencez-vous à réfléchir, à présent ? supposa le soldat.

— En effet, confirma son compagnon avec satisfaction. Cela dit, malgré mon impatience de dévoiler mes avancées à Carter, je vais laisser notre pauvre inspecteur nous expliquer ses théories.

— Cela semble vous amuser d’avance.

— Je ne dis pas qu’il est idiot. Maintenant que je ne suis plus là, il est sans aucun doute le meilleur agent de Scotland Yard. Mais il a tendance à monter des hypothèses prématurément et à rater des éléments primordiaux.

— Et vous, comment procédez-vous ?

— Wilson, si vous désirez connaître ma méthode, vous allez devoir l’apprendre par vous-même… Allons-y.

Il retourna à l’intérieur, et Alexander le suivit de près. Carter les attendait dans l’entrée, discutant avec un de ses hommes.

— Vous voilà, soupira-t-il en les apercevant. Le sergent est entrain de récupérer la liste des invités d’hier.

— Combien sont-ils dans cette famille ? interrogea Strange sans détour.

— Lord Pembroke avait deux fils et une fille, et sa femme est ici. Mais il ne faut pas oublier les domestiques non plus, ils étaient là aussi. Honnêtement, je ne vois pas pourquoi vous voulez connaître l’identité des personnes de la soirée, admit l’inspecteur. Pour moi, il semble évident que c’est un de ses proches qui est coupable.

— Dans ce cas, vous avez peut-être encore une de vos brillantes théories, déclara le noiraud avec ironie.

— C’est mon travail ! répliqua Carter, piqué au vif. Il y a eu un meurtre et il est hors de question qu’il reste impuni !

— Chef, j’ai la liste, lança Patel en quittant le salon avant de lui tendre deux feuilles recouvertes de noms et d’adresses.

— Merci sergent, répondit le châtain en récupérant les documents.

— Vous permettez ? demanda Strange en tendant la main, bien qu’il semblait plus lui ordonner de les lui donner.

— D’abord, vous allez me dire, susurra l’enquêteur en les mettant hors de sa portée, vos théories sur cette affaire. Rien ne nous interdit dans un pari, à échanger les informations. Vos idées contre cette liste…

Son interlocuteur parut presque outré de cette proposition avant de soupirer en guise d’abandon.

— Bon, très bien. J’aimerais avoir du papier et un stylo, j’ai besoin d’écrire…

Ils partirent tous les quatre dans la salle à manger, une immense pièce dotée d’une table tout aussi longue, décorée de tapisseries onéreuses et de dorures importantes. Strange s’installa sur une chaise et commença à griffonner d’une écriture brouillonne.

— Voici la liste exacte de ce que j’ai relevé dans la chambre…

Sur le papier, il nota :

« Rigidité cadavérique : mort dans la nuit

Trou dans la chemise de nuit

Absence de lutte

Trace de sang frais et de sang séché sur le stylet

Stylet très ouvragé, de collection, sans garde

Papier presque entièrement brûlé dans la cheminée

Trace de sang sur le tapis, légèrement essuyée

Légère coupure à l’index gauche

Verre d’eau ordinaire »

— Brillant, ricana Patel avec sarcasme en lisant par-dessus son épaule. Et votre cerveau exceptionnel imbibé d’alcool en a déduit que la victime a été tuée pendant la soirée.

— J’ai dit qu’il avait été poignardé dans la soirée, mais mort dans la nuit, corrigea Strange. Je vais vous épargner la liste des suspects, puisque je compte dedans la famille, les domestiques et les invités.

— C’est sur ce point que je ne vous comprends pas, intervint Carter. Pourquoi les invités ?

— Wilson m’a fait remarquer que le stylet avait été utilisé avant cette nuit. Il y a environ quatre-vingt-cinq pour cent de chance que la personne sur qui il a été utilisé soit la victime. Vu combien le sang était sec, j’ai estimé ce premier usage au soir, quand tous ses invités étaient là.

— Est-ce suffisant pour les suspecter ? Vous semblez oublier que la chemise de nuit était trouée, et qu’il a donc forcément été attaqué pendant la nuit.

— Imaginons un instant que vous ayez raison, déclara son interlocuteur avec légèreté. Supposons que le tueur soit un membre de sa famille. Il aurait pris délibérément le risque d’aller poignarder Lord…

— Pembroke.

— …au milieu de la foule, devant des dizaines de témoins.

— Ce serait possible, rétorqua Patel en croisant les bras. Le coupable l’a fait pour brouiller les pistes.

— Votre avis, Wilson, quel est-il ? interrogea Strange.

Le blond resta surpris quelques secondes, ne comprenant pas en quoi son intervention dans ce débat policier pouvait apporter. Mais voyant le regard insistant de son colocataire, il se résolut à répondre.

— Il me semble presque impossible que quelqu’un l’ait poignardé au milieu de tous ses convives… Mais si c’est réellement arrivé, une personne est tout de même retournée dans la chambre pour trouer la chemise de nuit…

Le sergent le considéra avec scepticisme tandis que son compagnon approuvait d’un signe de tête.

— Voici mon idée, continua Strange avec brusquerie. Ce meurtre était particulièrement bien élaboré. Personne ne se promène avec un stylet dans ses poches pendant une soirée mondaine, c’était préparé. Un membre de la famille n’aurait pas pris ce risque, c’est donc un invité. Le stylet était une arme tout à fait désignée pour poignarder au milieu de la foule. Elle est tellement fine qu’elle s’enfonce dans la peau comme dans du beurre. La lame étant triangulaire, les blessures sont très difficiles à soigner. Quelqu’un a donc réussi ce coup de maître, mais la victime ne s’en est pas aperçue. Une autre personne, cette fois, quelqu’un habitant ou travaillant dans la maison, est revenue une fois qu’il était endormi, voire mort, et l’a poignardé à nouveau avant de repartir.

— Mais ce n’est pas… commença Patel avant de se faire interrompre.

— Ce qui signifie, reprit le noiraud en parlant plus fort, qu’il n’y a pas un coupable, mais au moins deux. Un invité et un habitant de la demeure. Puisqu’ils ont utilisé la même arme, nous pouvons supposer qu’ils sont complices.

— Cela n’explique pas, l’absence de lutte, le détail que vous donnez du stylet, fit observer Carter en regardant sur la feuille, le papier brûlé, la trace de sang sur le tapis, la coupure à l’index, et le verre d’eau.

— Aah, le verre d’eau, sourit Strange. Il ne sert qu’à prouver que votre théorie de l’empoisonnement était vraiment stupide !

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