

LILY ET FRIDA ❤️ EPISODE 4
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LILY ET FRIDA ❤️ EPISODE 4
Lily et Frida sont invitées dans la maison d’Isabelle, l’une des rares femmes à être mariachi…
Dans la cuisine d’Isabel, il y avait, accrochée au mur, une grande
photographie en noir et blanc d’un groupe entièrement féminin
de mariachis. Au centre, la guitariste Lupita, déjà âgée, était celle
qui avait transmis à Isabel l’envie folle de devenir mariachi, par
amour de la musique et par détermination. Le groupe auquel
appartenait Lupita avait été encensé pour ces deux raisons, le
talent et la féminité affichée comme le symbole d’une liberté de
faire ce que l’on veut, d’être là où l’on veut, de chanter dehors, de
jouer dehors, tout comme les hommes.
— Lupita avait des larmes qu’elle retenait avec violence à l’angle
de ses paupières cerclées de noir, quand elle m’expliquait qu’une
fois mariées les membres du groupe se retrouvaient à la maison,
retenues là par leur mari comme des trésors bien tristes dont ils
étaient les propriétaires… C’était à la fin des années 50. Et moi, il a
fallu que je m’oppose à l’autorité de mon père, et il m’arrive encore
souvent de devoir monter le regard plus haut que celui de certains
hommes quand j’exerce mon métier. Je chante et je joue fort, c’est
ma façon de taire ma lutte incessante de femme mariachi.
— Bravo ! s’exclama Frida.
Les deux minuscules mains d’ivoire suspendues à ses oreilles
s’animèrent, comme pour joindre leur geste à la parole de
l’artiste. Et puis les quatre yeux si libres d’Isabel et de Frida se
posèrent sur Élisabeth, la petite Française au cœur de l’aventure
mexicaine.
— Oui, moi aussi je suis une fille, tellement vilaine avec…
— Oui ! Une vilaine fille qui découche pour boire de la tequila
avec un fantôme et écouter la si belle Isabel !
— On n’aurait pas le même regard sur ça, là, dit Isabel, en
pointant du doigt le nuage clair sur la joue d’Élisabeth, puis cette
part de nudité au sommet de son crâne.
— Foutez-moi la paix, murmura Élisabeth, rouge et enragée.
— Ben oui, dit Frida, mais commence par te foutre aussi un
peu la paix.
Et Isabel finit sa démonstration, expliquant à l’adolescente qu’il
fallait faire le choix de l’audace, c’est-à-dire d’oser apparaître avec
ce qui nous fait, l’option de la vie.
— Parce qu’il ne faut pas disparaître avant de mourir !
s’exclama Frida. Il faut que tu sois contente d’exister en tant que
celle que tu es, sans la vanité des masques.
— Sans les filtres des selfies, risqua Élisabeth, sans réelle
conviction. Facile quand on est belle comme vous deux.
— Les quoi ? interrogea Frida.
— Bon exemple, conclut Isabel, les filtres…
— Ce qui nous fait belles comme tu dis, Lily azurada, ce n’est
que la liberté, que vivre tout ce qui nous vient. Rire et pleurer. Il
faut prendre aussi cette liberté de l’accepter.
Les mains de Picasso s’agitèrent de plus belle donc.
Frida alluma une cigarette. Isabel sortit de la pièce et revint
chargée de froufrous qui bruissaient dans ses bras.
— Tu auras plus l’air d’une fille avec ça.
— Ça m’est égal d’avoir l’air d’une fille. Une fille, ça a le teint
frais et des cheveux.
Isabel baissa les yeux, soupira. Impossible de savoir si sur ce
visage dérobé s’inscrivait la gêne, l’exaspération ou un peu de
compassion.
— Une fille, ça poétise sa bouche avec du rouge, ça orne son
front de fleurs et de rubans, ça porte des jupes ultra féminines et
un duvet sombre d’homme au-dessus de la lèvre, ça laisse ses poils
gambader comme une herbe folle sur la glabelle ! Une fille, c’est
moi et toutes les autres, des libertés vives, ça ne doit pas plus
qu’un homme respecter une norme de beauté, de joliesse, de
respectabilité ou de je ne sais quelle cochonnerie qui l’enferme !
Alors Isabel déploya la robe au tissu de peu de valeur mais
gonflée de couleurs comme un gâteau d’anniversaire aux sucres
bourrés de colorants. L’arc-en-ciel s’attaqua aux yeux d’Élisabeth.
Elle ne put s’empêcher de toucher ce débordement joyeux, en
souriant.
— Il a appartenu à ma fille. C’est un déguisement. Aucune
adolescente mexicaine ne s’habille comme ça !
C’était une reproduction de l’ensemble porté par Mirabel
Madrigal dans le dessin animé Encanto, avec pléthore de papillons
et de bleus, bleus, bleus !
— Si, avec ça, tu ne sors pas de ta chrysalide ! s’amusa Frida.
Isabel désigna la salle de bains et Élisabeth y procéda à sa
métamorphose. Quand elle réapparut ainsi parée, les deux
femmes applaudirent au spectacle du plaisir léger de l’adolescente
mal dans sa peau, se regardant dans l’instant avec une manière de
satisfaction.
Tout d’un coup apparut dans la cuisine où s’activaient les trois
femmes, lourd de sommeil, tout juste extirpé d’un rêve, le fils
d’Isabel.
— T’en as pas marre de ramener tous les excentriques de
Mexico à la maison, maman ?
— Je vous présente José Luis, brillant étudiant, passionnément
comédien et mariachi pour faire plaisir à sa mère. Seize ans !
Élisabeth se sentait un peu stupide ainsi déguisée, devant cet
adolescent, beau même endormi, avec sa peau et ses traits
indiens. Stupide mais finalement plus attrayante que si elle avait
conservé ses oripeaux de fille paumée.
La plus grande apparition de José Luis à la télévision datait d’un
an, dans La rosa de Guadalupe. Il incarnait un jeune drogué dont
le dialogue avec la famille était rompu, que la rencontre avec la
voisine avait incité à s’adresser à une association qui lui avait
permis de se soigner. Il avait rechuté et la mère affolée s’était
rendue à son chevet, alertée par le père de la voisine qui écoutait
aux portes. Alors entre la vie et la mort, avec l’affection raisonnée
de ses proches et une intervention miraculeuse représentée par
la rose qui étincelle de la grâce de la Vierge, il s’en était sorti. Isabel
résuma ainsi l’épisode sous le regard gêné de son fils.
— Ouais, enfin, moi, c’est Shakespeare que je voudrais jouer.

