Félicitations ! Ton soutien à bien été envoyé à l’auteur
Le Kyklos, épisode 03

Le Kyklos, épisode 03

Publié le 19 juin 2024 Mis à jour le 19 juin 2024 Horreur
time 9 min
0
J'adore
0
Solidaire
0
Waouh
thumb 0 commentaire
lecture 19 lectures
1
réaction

Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 29 articles à découvrir ce mois-ci.

Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit ! Se connecter

Le Kyklos, épisode 03

L’esplanade du port commençait à s’animer autour des chaises amarrées aux cafés. Les meilleures places, à l’ombre, face aux bateaux, s’offraient rarement aux promeneurs malgré la forte diminution de la foule. Anaïs connaissait bien sa ville et son café. Arrivée la première, elle avait choisi une place bien ensoleillée, particulièrement intéressante pour le matin, mais qui serait à l’ombre vers 11 heures. Laurent était à la boulangerie attenante et commandait chocolatines et cappuccinos. Il revint s’assoir avec le petit déjeuner au moment même où Antoine tirait une chaise, en prenant soin de la faire légèrement obliquer vers Anaïs.
— On pousse les sacs à dos et on dégage les téléphones  !
— Merci Laurent, lança Anaïs. Avec l’arrivée d’Antoine, elle n’avait plus besoin de garder un œil sur sa messagerie.
— Bonjour tout le monde, lança Antoine. 
— Alors, c’est quoi le programme aujourd’hui ? On va au Ponton ?
Son invitation à la baignade s’était immédiatement noyé dans l’ignorance. Anaïs avait plongé dans le regard d’Antoine et Antoine, dans l’œil couleur café au lait de sa grande tasse.
— Ok, je vois. Petit déj d’abord.

Dans un silence commun, les trois se mirent à déchiqueter la viennoiserie, l’un préférant tremper, l’autre alterner et le troisième, séparer le plaisir gustatif. Seule Anaïs releva la tête pour observer les deux garçons.
— On continue de jouer au con ou on décide de parler d’hier ?
Ô temps ! suspend ton vol : le morceau de chocolatine de Laurent laissait tomber son trop-plein de café dans la tasse et celui d’Antoine restait en sursis à quelques centimètres de la bouche. Si le temps semblait figé après les mots d’Anaïs, ça n’était pas pour suspendre un moment de bonheur avant qu’il ne disparaisse. Pour les deux garçons, c'était surtout une sorte de lutte interne pour ne pas revenir en arrière et lire de nouveaux la soirée d’hier.
— Antoine, relança Anaïs, je crois que tu as des choses à nous raconter. J’espère aussi que tes virées en solo n’étaient pas toutes comme celle d’hier, ça me mettrait en colère de savoir que tu y allais seul.
Au mot colère d’Anaïs, un frisson avait pris les commandes et Antoine regardait Anaïs d’un air penaud. Il déglutit, le morceau de chocolatine toujours en suspension.
— C’est la première fois, murmura-t-il. C’est la première fois que ça arrive.
Laurent se réfugia dans son trempage. Son idée de la baignade venait de se briser sur l’écueil de sa soirée d’hier. Alors, il porta toute son attention à bien égoutter la chocolatine, afin de fair durer, non pas le plaisir, mais le moment où il devrait parler à son tour. Tant qu’il ne lèverait pas la tête, il était persuadé qu’on le laisserait tranquille.
Antoine jeta un œil à son copain, puis osa affronter le regard d’Anaïs.
— D’habitude, il ne se passe rien. Je m’inspire du lieu, je cherche dans les décombres des morceaux de passé, comme des pages déchirées de l’intimité de ceux qui ont fréquenté le Kyklos. C’est ça qui me plait dans l’urbex. M’imprégner du lieu, ressentir l’histoire, imaginer les gens déambuler et restaurer le film de leur vie.  
— Sauf que le film hier, c’était pas vraiment un documentaire, lança Anaïs.
Laurent trouva le moment idéal pour approfondir sa concentration en laissant retomber chaque nouvelle goutte au même endroit que la précédente. 
— Hier, je ne sais pas ce qui s’est passé. On était à peine entré que j’ai senti qu’il faisait froid. C’est comme un jet glacé qui est apparu de mes omoplates et s’est répandu dans mes épaules, mes bras, mon dos. Ensuite, j'ai entendu je ne sais pas quoi.
— Comment ça je ne sais pas quoi ?
— C’était pas une voix, tiens, c'était plus comme Laurent quand il aspire son cappuccino au travers de sa chocolatine.
Le regard de Laurent cessa de se porter sur les ondes de propagation des gouttes, pour se focaliser sur la viennoiserie. Il n’avait plus vraiment envie de la porter à sa bouche.
— Tu peux le faire s’il te plait Laurent ? demanda Anaïs.
— J’ai pas vraiment envie là. Il posa le morceau encore gorgé de café sur le rebord de la coupelle.
— C’était un bruit de succion, poursuivi Antonie. Succion et mastication.
— Je n’ai rien entendu, coupa Anaïs. Par contre, je t’ai bien vu t’envoler au travers de la pièce. Et, cette marque ?
— Je crois que c’est un peu comme un chien qui te mord si tu t’approches de sa gamelle pendant qu’il mange.
— C’était pas un chien, finit par lâcher Laurent.
— On t’écoute Laurent, dit simplement Anaïs pour ne pas le réfréner dans son envie de cracher le morceau.
— C’était un rat. Un énorme rat.
Avant qu’Anaïs ou Antoine ne le coupe sur sa lancée, il préféra tout déballer.
— Je sais très bien qu’un rat de cette taille n’existe pas, mais il était aussi gros qu’un Terre-Neuve ou un Saint-Bernard, peu importe. Je l’ai vu sortir de l’ombre quand il a frappé Antoine.
— Il n’y avait rien Laurent, rétorqua Anaïs.  
Toutefois, son propos se déchira lorsque la trace sur la joue d’Antoine lui revient à l’esprit. Elle pouvait presque la revoir aujourd’hui tandis que la lumière éclairait sa peau hâlée par le soleil.
— Je n’ai rien vu, confirma Antoine. J’ai juste entendu ce mélange de sons et puis j’ai reçu cette gifle. Tellement forte.
— Je sais très bien qu’il n’y avait rien, lança Laurent. Je ne suis pas débile non plus. Vous n’avez rien vu, sinon vous aussi, vous auriez pissé dans votre froc ! Oui, j’ai pissé dans mon froc et ça me suffit pour savoir que j’ai pas rêvé. Il était là. Peut-être pas pour vous, mais pour moi, il était là.
— On te croit Laurent, déclara Anaïs.
Elle avait bien remarqué qu’il s’était fait dessus, mais avait jugé que c’était à lui seul d’en parler.
— On te croit, mais je n’ai rien vu, tout comme ni toi ni moi n’avons entendu. Je pense qu’Antoine était le seul à entendre, et toi à voir. En fait, quand je dis que je n’ai rien vu, ça n’est pas vrai. 
Les yeux des garçons attendaient qu’elle parle. Tous les deux avaient besoin d’entendre qu’elle avait, elle aussi, sa pierre de crédibilité à apporter à l’édifice.
— Je n’ai rien entendu, pas plus que je n’ai vu de rat ou autre chose. Par contre, il n’a plus rien aujourd’hui, mais j’ai vu une énorme griffure sur la joue d’Antoine.
Un énième frisson vint glacer la peau d’Antoine.
— Tu l’as vu ? questionna-t-il. Tu peux la voir encore ?
— Bien sûr que non, Antoine ! Tu crois que je serais à parler d’autre chose que de ta balafre si je la voyais encore ?
Antoine se frottait la joue. Juste pour vérifier. Juste pour se rassurer. Laurent regardait son meilleur ami. Il n’avait pas vu la griffure, mais il avait besoin d’en savoir plus.
— AnaÏs, elle était grande comment cette griffure ? 
— Elle lui mangeait tout le visage et descendait sur son cou. Comme une main avec des doigts trop longs.
— Où comme une énorme patte de rat, souffla-t-il en posant de nouveau ses yeux sur le morceau de chocolatine qui attendait en pleurant du café dans la soucoupe.


Le silence s’installa de nouveau à la table, profitant du petit déjeuner tandis que les tables voisines se peuplaient des vacanciers de septembre. Les trois faisaient la différence entre ces vacanciers et les touristes des mois brûlants : les bruyants, les sans-gênes, ceux qui voulaient compenser le prix de leurs vacances par tous les excès dans le court temps impartis. Les vacanciers étaient pour eux plus sereins, plus respectueux. Ils n’étaient pas emportés par la masse et ses dérives. Emportés par le flux des hormones qui se mettaient à bouillir entre la chaleur, le bruit et la proximité.
Antoine brisa ce nouveau silence :
— Elle y est toujours.
— La griffure ? demanda Anaïs. 
— Oui. 
— Je ne vois rien. Et, toi Laurent ?
Laurent releva les yeux à son tour. Antoine tourna la tête vers la droite pour lui présenter sa joue gauche.
— Non, je ne vois rien. 
— Ma mère non plus n’a rien vu ce matin, mais moi oui. Dans la glace, elle était là et elle n'était pas jolie à voir.
— Attends, lança Anaïs. Elle fouilla dans son sac pour en sortir un miroir de courtoisie.
— Ben quoi ? Vous avez beaux dire « les gars » à tout bout de champ, je reste une fille. Regarde-toi dans la glace.
Laurent, instinctivement, regardait le miroir en offrant davantage sa joue droite. C’était une vaine tentative pour masquer la plaie à l’opposé. Beaucoup trop grande, trop profonde, trop souillée pour ne pas apparaitre, la griffure était bien là. Elle commençait de l’ailette du nez avant de sillonner la joue, de descendre le long du cou, puis de se réfugier sous le T-shirt. Jusqu’au creux de la salière.  
La réaction de dégout d’Antoine était suffisamment éloquente pour ne pas attendre de réponse de sa part. Anaïs inclina le miroir en oblique et jeta un œil sur le reflet. Elle baissa le miroir et le rangea sans un mot.
— Inutile de me montrer ça, soupira Laurent en s’avachissant sur sa chaise.
Anaïs n’avait aucune envie de laisser le silence reprendre possession des lieux. Elle sentait bien que les garçons avaient envie de planter la tête dans le sable en espérant que le vent recouvre tout. 
— On y retourne ce soir, intima-t-elle.
— Quoi ? s’écria Laurent. Non, mais ça va pas. Tu veux qu’on se fasse bouffer ?
Antoine ne bronchait pas. Il n’avait aucune envie de revivre ça, mais le besoin d’y retourner était là. Juste sous la griffure et il pulsait comme le pouls dans une artère.
— Lolo, relança Antoine, Anaïs a raison. Vous n’avez rien entendu, Anaïs et moi n’avions rien vu, et personne ne voit la griffure, sauf dans un miroir.
— Je l’ai vue hier, sans miroir. Je l’ai vue dans la pièce où tu as voltigé et sur le banc aux rizières.
— Et tu ne la vois plus.
— Non, à part dans le miroir, comme toi.
— Lolo, il faut qu’on y retourne, poursuivit Antoine. Pour savoir, pour ne pas devenir fou. Je suis sûr qu’en y allant plus gentiment, en indiquant notre présence, il ne se passera rien. Je suis persuadé qu’on l’a dérangé pendant son repas hier.
— Et tu veux qu’on soit son prochain repas ?
— Chacun a vu, entendu, senti des choses différentes. Je n’explique pas Anaïs qui voit et ne voit plus la marque. Pourtant, je pense que j’ai besoin d’y retourner. Je pense que vous aussi.
— Je confirme, déclara Anaïs, pour moi et pour ne pas te laisser y aller seul, car avec ou sans nous, tu vas y retourner. Laurent ?
Laurent regardait son morceau de chocolatine qui baignait dans une mare de café. Elle lui ressemblait, baignant dans son sang sur un sol qui n’était plus en faïence. 
— Faites chier, souffla-t-il. C’est ok.

 

Crédit image

Outside on the morning. Three cups of coffee, on a table of coffee shop, with a skull drawing with milk. In the background there are boats.
NightCafé Creator

lecture 19 lectures
thumb 0 commentaire
1
réaction

Commentaire (0)

Tu peux soutenir les auteurs indépendants qui te tiennent à coeur en leur faisant un don

Prolonger le voyage dans l'univers Horreur
Mermeth, Re dei morenti
Mermeth, Re dei morenti

Era notte. Un uomo camminava in un cimitero, quando vide che la porta di una delle cripte si stav...

Alessandro Perin
3 min
Le Kyklos, épisode 2
Le Kyklos, épisode 2

Un violent rayon doré vint se ficher dans l’œil d’Antoine qui se contenta de se retourner dans l&rs...

Jean-Christophe Mojard
8 min

donate Tu peux soutenir les auteurs qui te tiennent à coeur