Comme chaque jour depuis près de cinq ans, je débutais ma journée à l'aube dans les cuisines de la maison de la meute, chargée du petit-déjeuner, tout comme l'était ma mère avant moi.

Quand j'étais enfant, j'avais pour habitude de l'aider dans ses tâches avant de partir pour l'école. Elle préparait toujours des gaufres par centaines et de la marmelade avec les fruits de saison trouvés sur le marché. Elle adorait chanter en travaillant, et sa joie de vivre était contagieuse. Tous ceux qui entraient dans les cuisines repartaient avec le sourire. Elle me manquait terriblement.

Les premiers temps, j'étais incapable de rester devant les fourneaux sans fondre en larmes. À chaque bruit de pas, j'espérais la voir apparaître. C'était un peu moins pénible maintenant, mais il m'arrivait encore de lever les yeux vers la porte en espérant la voir entrer, les bras chargés de linge ou de vaisselle. 

- Bonjour, Lia. Alors c'est le grand jour ? 

Paul. C'était un des guerriers de la meute. Il avait pour habitude de passer par les cuisines avant d'aller courir. Il avait toujours été attentionné, mais ces derniers mois, il se montrait plus insistant. Il arrivait chaque jour avant 6 heures et restait près d'une heure. Il m'aidait souvent pour mettre la table, mais ce qu'il préférait, c'était s'asseoir devant le plan de travail pour parler de lui et de son entraînement tout en buvant son café. Il avait essayé à plusieurs reprises de m'interroger sur ma vie, mes désirs, mes goûts, mais je n'avais pas grand-chose à lui dire. Surtout, je ne tenais pas à paraître impolie. Il ne m'intéressait pas, et je me méfiais de lui. Je préférais être seule avec mes pensées. Je n'avais pas l'intention de rester ici. 

- Bonjour, Paul. Oui, j'aurai 22 ans, ce soir. Dernière chance de rencontrer ma louve...

- Elle ne s'est pas encore manifestée ? 

Je secouai la tête pour dire non. Je ne voulais pas qu'il découvre que je l'avais déjà rencontrée, il y a quelques semaines, dans un rêve. Une grande louve noire, ornée d'une tache bleutée en forme de lune sur le front. Elle était tendre et enjouée, et j'étais impatiente de courir à ses côtés.

Le mensonge était devenu une seconde nature, un moyen de me protéger. Révéler que je l'avais vue pouvait avoir de graves conséquences, et je ne souhaitais pas prendre ce risque.

Paul s'approcha et posa une main sur mon épaule, tentant de me réconforter. Il me souffla à l'oreille : 

- Ne t'en fais pas. Tu auras l'opportunité de la rencontrer ce soir, lors du rituel de la pleine lune. Je serai là pour toi. Rien ne me ferait plus plaisir que d'être le premier à la connaître.

Je sentais son souffle chaud sur ma peau nue, provoquant un frisson. Un frisson de dégoût qu'il interpréta comme du désir. Il me sourit sans reculer. Avec agilité, je me libérai et contournai le comptoir. Les yeux baissés, je le remerciai tout en refusant poliment son offre.

- C'est très gentil de ta part, Paul. Mais avec toutes mes obligations, je doute pouvoir y participer...

Il s'avança vers moi, l'air suppliant. 

- Mais... tu dois y assister... Si tu veux, je peux parler à notre Luna. Je suis convaincu qu'elle n'y verra aucun problème...

- Non, m'écriai-je. Ne la dérange pas avec ça, Paul. Promets-le-moi. Luna a bien d'autres préoccupations... Ce n'est pas grave. Je peux attendre la prochaine pleine lune. Nous aurons moins de visiteurs. Je suis sûre de pouvoir me libérer quelques heures...

Face à mon angoisse, Paul se résigna. Il paraissait déçu, mais se tut. Il saisit une pomme du panier de fruits et quitta la cuisine sans un mot.

Je suppliais la déesse pour qu'il ne dise rien à Luna. Ce soir, je voulais qu'elle m'oublie. Ce soir, j'ai décidé de profiter du rituel de la pleine lune pour me sauver. 

Tous les loups devaient se rendre dans la grande prairie au cœur de la forêt. Tous devaient rendre hommage au couple Alpha béni par la lune.

Tous les loups étaient convoqués dans la grande prairie située au cœur de la forêt. Tous devaient rendre hommage au couple Alpha, béni par la lune.

Texte de L.S.Martins. 
Image créée par L.S.Martins à l'aide de Dall.E 3.