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Latex etc.

Latex etc.

Publié le 8 janv. 2022 Mis à jour le 11 janv. 2022 Culture
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Latex etc.

Premier roman d’une toute jeune auteure, Margaux Guyon avait 21 ans à la parution de son œuvre, ce Latex etc. traîne dans son sillage un parfum d’interdit, et a été clairement présenté à sa sortie comme le nouveau roman provocateur et sulfureux du moment.

Moi forcément, vous me connaissez, ça m’a de suite intrigué et j’ai voulu évidemment vérifier par moi-même si le bouillon était aussi savoureux que le fumet le laissait présager… Oui, aujourd’hui je fais dans la métaphore culinaire. Certainement parce que je viens de m’envoyer un pot-au-feu qui claque sa mère et que je ne vais pas tarder à aborder la phase de digestion. Bref, passons.

 

Bon, alors autant le dire de suite : l’enrobage est beau, mais la farce est un peu fade à l’arrivée, et je stoppe là avec mes analogies façon menu du jour. C’est toujours le problème quand on nous survend un truc, on s’expose fatalement à ce qu’un certain nombre de promesses ne soient pas tenues. Et c’est le cas ici. C’est dommage d’ailleurs, parce que c’est ce qu’on retient le plus, alors que l’ensemble possède aussi certaines qualités. S’il avait été présenté d’une façon un chouïa plus modeste, c’eut été à coup sûr un plus (pour le lecteur, pas pour les chiffres de vente on est bien d’accord).

 

Rentrons donc dans le vif du sujet et disséquons*.

Dans Latex etc. on suit les aventures d’une jeune fille, lycéenne de 17 ans, qui se prénomme Margaux et vit dans une petite ville de province, C*****, à côté d’Avignon. Intelligente et cultivée, elle s’ennuie à mourir, et pour tuer le temps elle lit de grands auteurs, fait la fête avec quelques amis, fume un chichon par-ci par-là, et baise. De fil en aiguille, elle va se mettre à se prostituer auprès de messieurs fortunés d’Avignon, gagner rapidement des sommes indécentes et tout claquer dans des marques de luxe. Jusqu’à ce qu’un événement vienne bousculer ses petites habitudes et lui faire relativiser sa condition un peu particulière…

 

Je n’en dis pas plus pour ne pas déflorer le (maigre) suspens, et je vais tâcher de ne pas dévoiler trop de l’histoire dans ma critique.

 

Commençons par le positif. C’est plutôt bien écrit. C’est pas du Balzac** mais c’est fluide, dans l’air du temps sans en faire trop, des phrases courtes et bien construites, bref le style sans être décoiffant est agréable à lire. Pour un premier roman et surtout pour une auteure d’à peine 21 ans, je trouve que c’est déjà suffisamment rare pour être mis en avant. On n’est pas dans un truc auto-édité qui claudique sur trois pattes, ni dans une bouillie façon fanfic du pauvre. Le texte a de la tenue et ça se remarque.

Autre source de satisfaction : la distanciation par rapport aux faits relatés. Il s’agit tout de même de choses pas super glamour, du genre même plutôt glauque à la base. On parle de prostitution, pas de pâte feuilletée ou de sauce béchamel. Ah merdum, pardon j’avais dit que j’arrêtais avec ça. Ce que je veux dire, c’est que ce qui est décrit dans le roman ne tient pas toujours de la plus grande légèreté, et comporte des implications assez graves pour les protagonistes. Et pourtant l’auteure parvient à ne pas verser dans le sensationnalisme, et se garde d’y coller un surplus d’émotions qu’il aurait pourtant été facile d’ajouter à peu de frais. Le ton reste froid (presque glacial par moment), analytique, posé, réfléchi. C’est une grande qualité à mes yeux que de ne pas chercher à jouer uniquement sur l’émotion dans ce genre de situations, et une qualité plus grande encore de ne pas y adjoindre des relents moralistes, accusateurs ou même simplement de se poser en juge. À mettre à son actif donc, preuve s’il en fallait qu’on peut avoir 21 ans et faire démontration de maturité intellectuelle.

 

Quoique, à propos de maturité intellectuelle, j’ai peut-être un contre-argumentaire qui tendrait à prouver le contraire. Et là du coup on passe dans la partie négative de ma critique. Si le texte sort indiscutablement du cadre habituel de ce qu’on peut s’attendre à lire sous la plume d’une auteure de 21 ans (oui, oui, j’assume pleinement mon préjugé sur les jeunes d’aujourd’hui, et je m’enfonce un peu plus encore en disant ceci, dans un rôle de vieux con que je ne me voyais pourtant pas endosser si tôt…), que ce soit sur la forme comme sur le fond, il reste cependant quelques traces assez évidentes de la jeunesse de Margaux Guyon. Et des traces qui à mes yeux font tâches.

 

Il y a tout d’abord le personnage principal de Margaux. L’héroïne porte le même prénom que l’auteure, et bien que le bouquin arbore le mot « roman » sur sa couverture, la promotion autour du livre laisse entendre qu’il s’agit d’une autofiction plus ou moins proche de la réalité et Margaux Guyon elle-même s’est fait un malin plaisir à sous-entendre que son récit est très largement inspiré par sa propre expérience et sa vie privée lors de différentes interviews qu’elle a données.

Dès lors la fameuse petite ville de C*****, faussement anonymisée de la sorte alors qu’il est fait « subtilement » allusion à la ville du melon, comment dire, ça fait un peu cachotterie de gamine non ? Elle ne veut pas dire le nom (au cas où on pourrait la reconnaître ?) mais fait tout pour qu’on sache quand même, ça fait un peu nunuche je trouve.

Mais bon, on va mettre ça sous le coup d’une quelconque coquetterie d’écrivain, soit, passons. Là où j’ai beaucoup plus de mal, c’est sur la personnalité de Margaux. Et quand je dis « Margaux », j’ai très envie de faire d’une pierre deux coups, et d’englober sous le même prénom unique l’auteure et son personnage, tant ce que j’ai pu percevoir de l’écrivain en interview la fait coller trait pour trait à son personnage de roman. Mais ne soyons pas mauvaise langue, je vais donc me contenter de développer mon argumentation par rapport au personnage du roman. Durant tout le récit on a une gamine (parce qu’à 17 ans je pense qu’il n’est pas injurieux de la qualifier de gamine, toute avancée intellectuellement qu’elle soit / se considère***) qui se décrit comme différente des autres. Et si elle ne le dit pas aussi abruptement dans le texte, c’est pourtant très clairement insinué à longueur de pages : Margaux est supérieure aux autres. À ses amis de son âge, aux membres de sa famille (tous affublés de tares, il est intéressant de remarquer que les descriptions se font bien plus sous un angle quasi-systématiquement négatif que positif), aux habitants de sa ville (c’est bien connu : les provinciaux sont petits, gris, ternes et terriblement ennuyeux. Il y en a même, eh ben c’est des beaufs dis-donc !!).

Quelques exemples pour illustrer ce que je dis ? Sans aucun problème, le texte en dispense à profusion...

Margaux sèche régulièrement les cours. Mais attention, elle le fait pour lire chez elle ! Et c’est pas pour se farder du Marc Levy ou du Musso de pacotille (à croire qu’une des pires crainte de Margaux Guyon soit qu’on la confonde avec une adolescente qui tiendrait un blog sur la bit-lit !!), elle, elle lit des œuvres publiées dans la Pléiade. À C***** les gens pensent petit et ne voient pas bien loin, alors qu’elle, elle a de l’ambition. Autour d’elle les gens s’habillent comme des sacs, sans aucun goût, et pire que tout, pour pas cher. Elle, elle s’habille en Diesel, en Darel, en Prada, met des Repetto. Ce roman est un véritable catalogue de marques hypes et classes, où le moindre t-shirt coûte bien évidemment un bras. Clair que vous ne verrez pas mentionné un nom du type Kiabi ou H&M… ça aurait à la limite pu, mais sous forme d’insulte alors. Et c’est un peu la même chose pour tout : quel que soit le domaine, Margaux ne connaît et ne reconnaît que le must, l’élite. Du moins ce qu’elle considère comme tel. Sûr qu’on peut toujours trouver plus snob en cherchant bien, n’empêche elle a déjà un sacré bon niveau en la matière la petite. Pour pousser encore plus avant la logique, Margaux n’est pas une « simple » prostituée, mais une call girl de luxe, aux tarifs exorbitants et à la clientèle triée sur le volet de la grande bourgeoisie d’Avignon. Et quand elle prend des vacances c’est à Courchevel bien entendu. Dès lors deux réactions me viennent instantanément. Enfin non trois, parce qu’en tout premier lieu, c’est l’envie de la secouer un peu qui me vient, mais bon c’est pas bien je sais. Ce que je me dis en lisant ça, c’est que Margaux a clairement besoin de s’exprimer et de se positionner en tant que personne. Mais qu’elle ne parvient à le faire qu’à travers l’image qu’elle se figure que des objets vont pouvoir donner d’elle. Et comme elle se voit supérieure, au minimum intellectuellement, et accessoirement financièrement aussi puisqu’elle est issue d’une famille aisée et que par-dessus cela elle va se mettre à palper grave en se prostituant, il faut que les objets qui l’entourent, et dans son esprit la définissent, soient des objets élitistes, de luxe. Idem pour ses goûts. Bref, le paraître avant l’être, ça crève les yeux tout du long du roman (et des interviews de l’auteure). Ça n’empêche pas l’intelligence et la culture on est bien d’accord, mais ça les minimise quand même méchamment… À mon sens du moins.

L’autre réflexion que je me fais à la lecture de ce fatras de références si précisément choisies pour l’image qu’elles renvoient, c’est son artificialité d’une part, mais aussi et surtout l’effet pervers qu’elles induisent. À force d’en user, parfois avec une condescendance affichée envers le « commun des mortels » qu’elle côtoie, pour se situer par rapport aux autres, pour se placer de fait au-dessus de la mêlée, pour prouver qu’elle vaut mieux et bien plus que son entourage, elle en arrive à l’effet inverse. C’est à ce point appuyé que c’en devient grossier. Presque vulgaire. Et que finalement, au lieu de faire figure de preuves de sa supériorité intellectuelle, ça ne fait que démontrer que la gamine a encore beaucoup, beaucoup de chemin à faire dans sa tête avant de devenir ce qu’elle croit déjà être. Confondre l’intelligence et la culture avec la condescendance et le mépris des petites gens, ça en dit long sur le stade de maturité réel de Margaux…

 

Bon pour le dire en un mot comme en cent, plus d’une fois j’ai eu envie de lui en coller une, histoire de lui remettre un peu les pieds sur terre à la fillette. Façon Poelvoorde dans Podium : « toi avec le poulpe sur la tête, mets-toi à genoux. Et dirige-toi vers la porte, ça t’apprendra l’humilité ». Désolé hein Margaux, on a la culture qu’on peut… et personnellement j’ai la modestie de reconnaître que la mienne ne cherche pas à se revendiquer de la Pléiade (bien que je n’aie rien contre).

 

C’est, je crois, à la fois ce qui signe le caractère et marque un positionnement fort du roman, mais qui éloigne aussi viscéralement du personnage sur un plan purement humain. Cette condescendance qui ne dit pas son nom. Ce complexe de supériorité qui s’ignore. On ne peut pas réellement se prendre de sympathie pour cette fille. Des aspects de sa personnalité sont intéressants et hors-normes, mais elle n’est jamais, à aucun moment, attachante. Son cynisme n’est pas drôle, il n’est que méchant, parfois même injustement, et c’est là sa limite. On ne sent pas de second degré derrière ses sentences, on a du mal à percevoir une quelconque douceur, une trace d’humanité, comme s’il s’était agit d’une faiblesse que Margaux eut voulu à tout prix gommer et effacer de son être. Et du coup l’effet recherché par l’auteure s’annule, pire s’inverse. Ses lectures, ses goûts, sa sensibilité artistique et esthétique devraient faire d’elle un personnage profond et riche, alors qu’en fait ce que j’ai ressenti c’est un grand vide, une insensibilité, et une superficialité criante.

 

Pour en revenir au sujet principal du livre, je dois dire que je l’ai trouvé à la fois intriguant et très révélateur quant à la personnalité profonde de Margaux, à savoir une gamine un peu gâtée et au-dessus du lot qui s’adonne à la prostitution par amusement et intérêt mais aussi je pense pour la sensation de transgression que ça lui apporte, et la réponse à cet impératif qui semble s’imposer à elle : se sentir différente (et meilleure au passage) des autres. Cela m’a immédiatement fait penser à un autre roman autobiographique qui aborde les mêmes thèmes, Escorte de Mélodie Nelson dont j’ai déjà parlé ici il y a longtemps. S’il y a de vraies différences (Escorte est beaucoup moins bien écrit et n’a pas de vraie qualité littéraire, et son personnage principal est bien plus sujette à la précarité avant de basculer dans la prostitution de luxe), il y a surtout beaucoup de points de convergence. Il est très intéressant de faire le parallèle entre les deux héroïnes de ces histoires. Elles sont toutes deux de férues lectrices et d’un niveau intellectuel certain. Elles envisagent le sexe de façon non seulement décomplexée mais surtout désacralisée, ce qui leur permet de se confronter à certaines réalités de la prostitution avec beaucoup de détachement. Et surtout elles sont très matérialistes toutes les deux, ne jurant que par les marques haut de gamme et ayant un concept particulier de l’élitisme comme leitmotiv. C’est tellement analogue d’un roman à l’autre que c’en est frappant. De là à en tirer certaines conclusions je ne sais pas si c’est suffisant, mais en tout cas c’est très largement remarquable. Enfin ce qui les lie également, c’est cette capacité à mixer gravité et légèreté sur un sujet qui d’habitude est traité uniquement sur un mode exclusivement grave et très sérieux.

 

Les mots que j’emploie dans cette critique peuvent paraître durs et cruels envers Margaux personnage/auteure, mais reflètent pourtant bien la réaction que la lecture de ce roman a entraînée chez moi. L’aspect positif c’est que pour susciter des réactions fortes, l’œuvre se situe forcément bien au-dessus du tout-venant littéraire, et c’est là une qualité que je lui concède volontiers.

Je tiens tout de même à pondérer et relativiser ma critique qui peut certainement sembler pencher davantage vers le négatif : malgré tout ce que je peux reprocher à ce roman, j’ai pourtant très envie de voir ce que Margaux Guyon, toute jeune et en devenir sur le plan de l’écriture, pourra produire comme textes ensuite. Je suis très curieux de lire autre chose d’elle, de voir si elle aura su atteindre cette fameuse maturité qui semble tant lui importer (et finalement lui échapper malgré tous ses efforts pour nous convaincre du contraire) dans ce premier roman. Une auteure qui donne envie de la suivre, n’est-ce pas là l’essentiel ?

 

* pas évident à placer celui-là. Je ne suis pas mécontent de moi sur ce coup.

** dit le mec qui n’en a jamais lu.

*** je vous laisse cocher le verbe qui conviendra le mieux selon vous.

***** ces étoiles ne sont pas de moi mais proviennent du texte original du roman.

Cet article a été initialement publié sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com

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Commentaires (2)

Votre lien est cassé tout en bas de la publication, un malheureux copié / collé et du coup la source n'est pas accessible ;-)
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Stéphane Hoegel il y a 2 ans

Merci Alexandre de me l'avoir fait remarquer, j'ai ainsi pu corriger un certain nombre de mes articles qui comportaient la même erreur !

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