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En manque

En manque

Published Sep 16, 2022 Updated Mar 6, 2024 Drama
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En manque

 

Avertissement

 

 

Le brouillard se mêlait aux feuilles ce matin.
Et
Elle chantait
à nouveau.

 

Dès huit heures

à son arrivée il avait posé pelle et râteau pour l’écouter. La sueur grisâtre qui collait au ciel le préservait de celle accrochée à sa peau lorsque sous le soleil il pétrissait la terre.
Il devait planter des tulipes dans les touffes d’herbe qui bouffaient comme un fait exprès autour d’elles.
À onze heures les rayons lisseraient les arbres pour jouer plus tard entre leurs branches et durant cette déclinaison sa petite cantatrice ferait ses vocalises puis elle entamerait un morceau que son chant affermi élargirait en volutes. La mélodie prolongerait ses accents jusqu’à lui insuffler une force neuve : creuser, semer, ficher serait sans peine ni ennui alors que sa journée finie, il aurait disposé les fleurs sans s’en être rendu compte.

 

Le lendemain

plus trace de stratus juste quelques poussières de nuages autour des bâtisses où fenêtres en gouttes d’eau basculaient dans les moires du jour, braquant plus tard la nuit de leurs yeux à l’affût de la ville.
Il oubliait leur laideur en se laissant emporter vers l’azur sur quelques notes.
Il regrettait souvent de devoir utiliser les outils dissonants ou mettre en route la tondeuse dont la barbarie couvrait la divine musicalité.

Pourtant à contourner les potiches, border les trottoirs, raser les pelouses il aurait pu s’imaginer créateur d’un nouvel Éden. Exalté par cette nouvelle lumière il se penchait alors avec tendresse sur les corolles, palpait la cendre brune dans laquelle elles s’enracinaient, aurait presque baisé leurs pétales duveteux.
La musique veillait sur lui, sur son ouvrage le jour tandis que la nuit ses rêves vibraient à l’unisson d’une aria entendue la veille. Même ses plantes suivaient cette mesure.

Ce soir-là la douce diva avait si bien chanté que les cieux eux-mêmes avaient versé quelques larmes sur le pavé.
Lui s’était réfugié sous le porche de l’entrée oublieux de toute astreinte, l’entendant se surpasser, bientôt sous l’emprise de ses arabesques.

Ce fut ce hasard qui lui apprit d’où venait la voix.

La porte d’escalier avait été ouverte laissant s’envoler arpèges et triolets ; comme envoûté il était monté sur la première marche, avait gravi la deuxième puis toutes les autres sans plus les compter.
Le palier l’avait mené à une porte dernier obstacle entre Elle et Lui sur lequel, en pâle substitut il se plaqua, se délectant de Bizet, Verdi …

Le sol ne lui avait jamais paru aussi dur lorsqu’il était redescendu.

 

Désormais

il s’arrangea pour moins utiliser d’instruments mécaniques qu’il déconseilla également à ses collègues.
Un éden désordonné ne conviendrait-il pas mieux finalement ?
Dans ce silence d’hommes il percevait mieux les piqués et les roulés échappés d’une fenêtre ouverte, il les suivait, fuyait avec eux.

Plus rien ne vivait à part l’aubade qui façonnait la pureté d’un monde que la moindre palpitation végétale auréolait d’un miracle.

Ses compagnons qui l’observaient d’abord en raillant, s’étaient vite fait perplexes pour redouter l’instant où ils le verraient à nouveau au bord de la rigidité, le visage renversé vers les hauteurs de béton, suspendu à un chant inaudible de leur point de vue.
Une marionnette n’aurait pas comporté moins de fils bien qu’il n’aurait eu que mépris pour un tel sous-entendu.

Il avait tellement ignoré le temps que le temps se rappela à lui.

 

À vingt et une heure,

ce premier crépuscule d’hiver
exactement.

Elle avait gravi une octave
puis une autre.
Elle avait vrillé tout en haut de la gamme.
Saisi d’une intuition le piano avait hésité, cherché à la soutenir mais sur un souffle elle s’était heurtée à la dernière ronde et comme étourdie par ces hauteurs
vacilla
se déchira
disparut dans un dernier soupir.

Plus un murmure
Pas un frisson de feuille
Aucune respiration.

Les branches élevèrent une complainte qui obscurcit le ciel
L’herbe la fleur la plante s’assombrirent.

Le monde s’éteignit.

L’homme quitta les lieux sans un regard pour le balcon coupable.

 

Il revint l’épaule raide et le regard à la dérive.
Il besognait n’existant que par sa fonction, indifférent aux remarques : là      « il traçait mal »      Ici      « il forçait les racines ».
Il ne prêtait plus attention à ce qui l’entourait
sauf
- rarement -
le balcon.

Peut-être parce que les brefs essais qu’il laissait descendre vers lui, n’étaient que le rappel difforme d’une mélopée d’antan.
Elle s’acharnait à reprendre, sans succès, les morceaux que sa voix ne pouvait rassembler.
La magie s’en était effacée et le dur labeur de ses répétitions le ramenait au sien : fait de tension et de fatigue sans échappatoire.

Il passa des jours dans cet état.

 

Une fin d’après-midi,

occupé à inspecter les fleurs il vit courir une ombre sur elles.
Comment le sut-il ?
De façon tellement immédiate ?
Il l’avait sentie … à sa légèreté rapide, une évocation de son chant.
C’était Elle
Il n’en doutait pas.
Il la suivit des yeux.

 

Une autre fois

il la vit jouer avec un chien.
Elle tentait de l’attraper en riant, écartait ses maigres jambes pour mieux le contrer et leurs ébats incessants découvraient par intermittence le losange blanc au creux  de ses cuisses sous la jupe.
La fine chevelure battait sa croupe.
Combien il aurait aimé être leur grande main pour férir à son tour les reins fragiles.
Elle ne méritait que cela !
Quelle perte de temps  ! Elle aurait mieux fait de travailler.

 

La semaine suivante

un voisin la héla pour lui demander :
- Eh bien, on ne vous entend plus ! Que se passe-t-il ? Vous chantiez si joliment …

La réponse de la jeune fille se perdit et il la haït pour avoir été ainsi écarté.

Pourtant il avait partagé l’exigence de son art, le bonheur procuré.
Tandis qu’elle bavardait sans remords, se pavanait sans douleur, il se voûtait de jour en jour, se vidant de dernières sensations, réduit à survivre par la rancoeur.

 

Ce matin

elle marchait un panier sur l’avant-bras, des nattes sagement posées sur ses seins - seins menus et frais dont la pointe agressait le corsage. L’eau des tuyaux d’arrosage ployait vers le sol avec tant de souplesse qu’elle leur laissa lécher sa peau.

Demoiselle sur fond de ville

Préférer exhiber ce corps inachevé au lieu de s’astreindre à des exercices vocaux qui auraient pu la remettre en voix.

Pendant combien de journées la vit-il passer sans qu’elle le voit, sans qu’elle ressente la passion qu’ils avaient tous deux partagée ?

 

Un soir

la lune comme suspendue à la nuit lui offrit une occasion.
Il avait ôté sa combinaison bleue et demeurait assis sur le banc proche de sa porte.
Il ne savait pas exactement ce qui le figeait dans l’obscurité à laquelle il se confondit progressivement.
Quelques fenêtres percèrent le néant.

Il était seul.
Tout semblait si évident, tellement inéluctable.

Elle claqua la porte du hall et d’une tête à demi tournée vérifia si elle se refermait. Raffermissant le col autour de son cou, elle avança.
Elle marchait vers lui.
Sans le savoir.

Où allait-elle encore traîner à cette heure ? Que ne restait-elle chez elle, au chaud ?

La fille paraissait absorbée.
Par quoi ?
Sûrement pas par son don perdu !
Quel autre souci que celui de la musique prétendrait l’accaparer ?
Peu à peu son pas effaça les merveilleux souvenirs, sa courte robe caressant ses cuisses dans une invite …

 

Il fut bien obligé de la violer.

 

 

 

Photo de couverture : Filmbetrachter sur Pixabey
Illustration : Chantal Perrin Verdier

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